6 octobre 2017

[Jacques Breil - Présent] Eglise Sainte-Odile à Paris: une situation potentiellement délicate

SOURCE - Jacques Breil - Présent - 6 octobre 2017

A Paris, ceux qui sont attachés au rite extraordinaire connaissent (entre autres) l’église Sainte-Odile de la Porte de Champerret, où cette liturgie est célébrée en concurrence avec la messe de Paul VI. Cette église n’a toutefois pas toujours été d’orientation aussi traditionnelle. C’est dans sa crypte, en effet, que fut votée le 21 juin 1969 par les prêtres révolutionnaires de Paris la motion suivante : « « Nous voulons que le prêtre soit situé dans une vie de travail à plein-temps. Nous désirons une Eglise-peuple-de-Dieu, une Eglise qui soit authentiquement un peuple sacerdotal et qui se donnera les prêtres dont elle aura besoin. Présentement, nous demandons que les prêtres aient une activité professionnelle. Dès aujourd’hui, le fait que des prêtres soient au travail oblige les prêtres permanents à repenser leur rôle » (La Croix, 25 juin 1969).

C’est toutefois sur une autre singularité de cette église que nous voudrions attirer l’attention. L’édifice a été construit autour de la Seconde Guerre mondiale, d’une part grâce aux dons des paroissiens de Saint-François de Sales (près du métro Wagram), d’autre part et surtout grâce au réseau de 10 000 correspondants et bienfaiteurs que possédait leur curé, Mgr Edmond Loutil, plus connu par son pseudonyme de « Pierre l’Ermite », sous lequel il écrivit durant soixante ans pour La Croix (cf. Yves Poncelet, Pierre l’Ermite (1863-1959), prêtre, journaliste à La Croix et romancier, Cerf, 2011).

L’église Sainte-Odile a été bénite le 17 novembre 1946 par le cardinal Suhard, et la paroisse érigée le 19 avril 1953. Mais le chantier avait commencé légalement le 1er janvier 1935, jour de la mise à disposition du terrain sur lequel elle devait être construite.

Et c’est là que se situe la particularité de Sainte-Odile (même si elle doit la partager avec quelques autres églises des Chantiers du Cardinal). Le terrain, en effet, n’a pas été acheté par le diocèse, mais loué par bail emphytéotique à la Ville de Paris, pour une durée de 99 ans.

Un bail emphytéotique, qui concerne normalement un terrain non bâti, connaît certaines caractéristiques. D’un côté, le loyer est très faible, pour ne pas dire symbolique, et le preneur possède durant le bail à peu près tous les droits du propriétaire, notamment celui de construire les édifices qu’il souhaite. De l’autre côté, à l’expiration du bail (habituellement de 99 ans), toutes les constructions réalisées sur le terrain reviennent de plein droit au bailleur.

Autrement dit, le 1er janvier 2034, la Ville de Paris deviendra propriétaire de l’église Sainte-Odile. Et que se passera-t-il alors ? Car la République est laïque et ne peut favoriser ni subventionner aucun culte. Donc, la Ville de Paris aura (légalement) trois possibilités : utiliser le bâtiment pour un usage municipal ; le mettre en location ; le vendre. Dans les deux derniers cas, il faudra faire un appel d’offre, et le bâtiment devra être cédé (par bail ou par vente) au « mieux disant »… qui sera peut-être un supermarché ou une mosquée !

On veut croire qu’une habile solution politique pourra être trouvée d’ici-là pour éviter un conflit avec la communauté catholique, mais il faudra que les juristes fassent preuve d’une riche imagination. Et 2034 est une date très proche : même pas la durée d’une génération. Le temps presse car, comme le disent plaisamment nos amis suisses, « il y a le feu au lac ».

Jacques Breil