29 septembre 2017

[Anne Le Pape - Présent] Colloque Summorum Pontificum – “Cette source d’eau vive que constitue la liturgie”

SOURCE - Anne Le Pape - Présent - 29 septembre 2017

Comment ne pas commencer un colloque remerciant de la remise à l’honneur de la messe de rite tridentin par une célébration de cette messe ? C’est ainsi que le 14 septembre, dans la chapelle de l’Angelicum – l’université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin, dirigée par les Dominicains – le père Nuara offrit aux participants arrivés dès 8 heures la possibilité d’assister à cette cérémonie.

Puis le père accueillit les participants dans le grand amphithéâtre de l’université. Prélats (le cardinal Sarah, le cardinal Burke, le cardinal Muller, Mgr Pozzo, Mgr Wach, Dom Pateau, le père de Blignières entre autres) présidaient en quelque sorte l’assemblée, placés au premier rang. Des religieuses, des prêtres parsemaient le public des laïcs, fervents et studieux, venus manifestement à Rome pour marquer de cette façon leur reconnaissance pour le pape émérite.

Le père Nuara souligna combien les catholiques avaient attendu cette décision prise par Benoît XVI, qui les avait enfin entendus. Il dit aussi le « succès » de ce rite près des jeunes catholiques ou l’attirance qu’il exerce près des futurs convertis, un trait que rappelèrent plusieurs des intervenants.
Bilan
Il revint à Mgr Pozzo de faire le bilan de ces dix années, bilan en demi-teintes. Car il rappela les chiffres : si le nombre des célébrations dans le « rite extraordinaire » a augmenté, elles n’ont pas vraiment « bondi » : en France, il y a dix ans, nous avions 104 célébrations le dimanche. Nous en trouvons aujourd’hui 224, donc plus du double, sans oublier que, si nous comptons celles de la Fraternité Saint-Pie X, cela nous en donne 430. En Allemagne, nous sommes passés de 35 à 54, en Angleterre de 18 à 40, en Pologne de 5 à 40… Mgr Pozzo précisa qu’en Extrême-Orient et en Europe orientale, le « rite ancien » suscitait un grand intérêt. Il n’esquiva pas les problèmes pratiques : le faible nombre de prêtres pouvant célébrer, la méfiance de certains évêques, le manque de formation dans les séminaires. Il conclut en affirmant que cette liturgie ne constituait en rien une gêne ou une menace contre l’unité de l’Eglise mais qu’au contraire, elle était un don qui servait à l’unification du corps du Christ.

Le cardinal Muller traita brillamment le sujet « dogme et liturgie », insistant sur l’idée centrale de sacrifice, évacuée par Luther. La liturgie ne peut être reconstruite artificiellement à partir d’écrits paléochrétiens, comme on a tenté de le faire au XIXe siècle. Elle est constituée de divers éléments, dont l’héritage des Apôtres, les saintes écritures et la tradition. Il insista aussi sur les dangers des traductions en langue vernaculaire (n’oublions pas l’expression italienne : traduttore, traditore, ou « traduire, c’est trahir »).

Dom Pateau, père abbé de Fontgombault, donna un témoignage sur l’expérience faire par le monastère de la liturgie nouvelle, sur ordre de l’évêque du lieu, dès 1974. Dom Roy, alors père abbé, obtempéra, malgré les réticences qu’il ressentait. Il mourut « dans ce climat liturgique pesant » à Rome, en 1977. Dès 1985, les moines reprirent le rite traditionnel sous certaines conditions, tout en conservant le nouveau calendrier et en adoptant de nouvelles préfaces.

A Fontgombault passent de nombreux prêtres désirant découvrir la messe de toujours. Soit ils la célèbrent ensuite régulièrement, soit exceptionnellement, mais quoi qu’il en soit sa connaissance nourrit leur recueillement. Pour Dom Pateau, le retour au missel de 1962 offre un chemin de l’âme vers Dieu, un cœur à cœur avec l’éternité. Le fait de répéter certaines formules ou certains rites permet de « réveiller » la pesanteur humaine, la place du corps (agenouillements, signes de croix), dont on parle tant de nos jours, n’est pas oubliée.

Martin Mosebach, célèbre romancier et essayiste allemand, dut conclure les travaux de cette matinée. Il le fit avec brio, nourrissant son propos d’exemples précis (répétitions des invocations du Kyrie, de l’Agnus Dei), ayant à traiter le thème de « La sainte routine ou le mystère de la répétition ». Il montra que les formes du rite ancien n’étaient pas choisies au hasard, mais que ses éléments répondaient à des principes stylistiques précis. « Expérimenter dans l’habitude la joie de se sentir chez soi » : voilà ce que l’homme peut gagner s’il s’abandonne au rite.
Rien de trop beau
Le cardinal Sarah offrit une réflexion profonde et émouvante sur la liturgie et le silence, un de ses sujets de prédilection. Pourquoi la vitalité missionnaire de l’Eglise diminue-t-elle, pourquoi le témoignage des chrétiens s’affaiblit-il ? « Peut-être parce que nous n’approchons pas comme il le faudrait de cette source d’eau vive que constitue la liturgie », pour laquelle rien n’est assez beau, musique, ornements, tout devant concourir à élever les esprits vers Dieu. Le cardinal assura les fidèles de l’usus antiquus qu’ils étaient bien catholiques et pas des « fidèles de seconde classe », mais qu’ils perpétuaient un culte et des pratiques qui avaient été celles d’innombrables saints.

Le défi, pour les deux derniers intervenants, était d’empêcher les auditeurs de sommeiller dans la chaleur devenue étouffante de la salle. Ils le relevèrent fort bien. Mgr Graulich donna avec pertinence et humour une lecture canonique du motu proprio, remarquant que cette loi était celle qui avait suscité le plus de commentaires dans toute l’histoire de l’Eglise. La possibilité de célébrer dans les deux rites enfin reconnue devenait donc loi universelle de l’Eglise. Il analysa ses termes (« groupe stable », le curé « accueillera »), et demanda que cette messe joue son rôle dans les séminaires et même dans la formation des évêques.

Le professeur Tedeschi, quant à lui, représentait pour finir « l’usager ». Il démontra que la misère morale, contrairement à l’idée reçue, est bien à l’origine de la misère matérielle et non sa conséquence, et que la première cause en est… l’état de la liturgie. Comment donner un sens à l’économie ? Comment nourrir l’homme ? Par les sacrements. Quel est donc le premier des sacrements ? La sainte messe, qui nous transforme. La meilleure façon de le constater est d’expérimenter des célébrations dont on sort plus riches et plus forts… et les autres. Si la liturgie est corrompue, elle ne nourrit plus les hommes et les rend indifférents.

Tous les intervenants, à un moment ou à un autre de leur propos, saluèrent l’acte clairvoyant et prophétique accompli par Benoît XVI par ce motu proprio, apportant une nouvelle jeunesse à l’Eglise car animé par celui qui est ressuscité et reste avec nous jusqu’à la fin des temps.

Anne Le Pape