25 décembre 2016

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Le principe de Monseigneur

SOURCE - Le Seignadou - janvier 2017

Des amis me signalent que notre bien modeste Seignadou est lu, commenté, voire critiqué, mais puisque rien ne nous est directement adressé, nous ne pouvons répondre !

Il sera donc certainement plus utile et intéressant, au terme de cette année qui nous a vu célébrer le 25° anniversaire du rappel à Dieu de notre fondateur, de nous remettre en mémoire ce qui a été l’âme de son action, son principe d’action.

En guise d’introduction, je relèverai cette idée, qui court un peu partout, que le pape François nous aurait donné une « juridiction » pour l’année jubilaire, ce qu’il vient de renouveler. Lisons simplement les termes employés : « Au cours de l’Année jubilaire, j’avais concédé aux fidèles qui, pour des raisons diverses, fréquentent les églises desservies par des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, la faculté de recevoir validement et licitement l’absolution sacramentelle de leurs péchés. Pour le bien pastoral de ces fidèles et comptant sur la bonne volonté de leurs prêtres afin que la pleine communion dans l’Eglise catholique puisse être recouvrée avec l’aide de Dieu, j’établis par ma propre décision d’étendre cette faculté au-delà de la période jubilaire, jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions, pour que le signe sacramentel de la réconciliation à travers le pardon de l’Eglise ne fasse jamais défaut à personne. » C’est la même formule qu’il avait déjà utilisée dans la lettre adressée à Mgr Rino Fisichella, dans laquelle il ne s’adressait pas à la Fraternité mais aux fidèles : « Une dernière considération s’adresse aux fidèles qui, pour diverses raisons, désirent fréquenter les églises où les offices sont célébrés par les prêtres de la Fraternité Saint Pie X.[…] j’établis, par ma propre disposition, que ceux qui, au cours de l’Année Sainte de la Miséricorde, s’approcheront, pour célébrer le Sacrement de la Réconciliation, des prêtres de la Fraternité Saint Pie X recevront une absolution valide et licite de leurs péchés. »

Le Pape, entre autres choses, ignore visiblement le Droit Canon, car je ne vois nulle part qu’il ait parlé de donner une « juridiction » ou une « faculté » aux prêtres de la Fraternité ! Il ne s’adresse pas aux prêtres mais aux fidèles ! Il n’a rien changé à la situation canonique des prêtres – ce qui nécessiterait un acte clair et une déclaration explicite – et il est donc évident que ce geste en faveur des fidèles suppose que nous possédions le pouvoir de les absoudre ! Et Mgr Fellay dans sa réaction ne s’y était pas trompé : « La Fraternité Saint-Pie X exprime sa reconnaissance au Souverain Pontife pour ce geste paternel. Dans le ministère du sacrement de pénitence, elle s’est toujours appuyée, en toute certitude, sur la juridiction extraordinaire que confèrent les Normae generales du Code de droit canonique. A l’occasion de cette Année sainte, le pape François veut que tous les fidèles qui souhaitent se confesser aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X puissent le faire sans être inquiétés. » Alors, fallait-il dire aux fidèles de ne pas venir se confesser chez nous pour ne pas courir le risque de recevoir une absolution « conciliaire » ? La juridiction, même suppléée, comme la grâce elle-même sont des biens qui appartiennent au trésor de l’Église, pour y instaurer l’ordre voulu et assurer aux fidèles les moyens de la grâce, et qui n’ont rien à voir avec ce qu’il y a en elle de « conciliaire ». Ce sont des mesures normales et bonnes qui font partie de la vie normale de l’Église catholique… et qui ne sont pas propres à l’Église « conciliaire ».

Ces considérations ne sont pas étrangères à mon propos et manifestent même clairement ce principe qui guidait Monseigneur, et qui nous guide encore, principe prudentiel et non détermination a-priori, qui applique cette loi fondamentale de la suppléance de l’Eglise pour le salut des âmes : "salus animarum suprema lex."

C’est pourquoi, s’il m’est arrivé souvent dans le passé de mettre en lumière le « Monseigneur des batailles », avec ses déclarations polémiques, ses refus, ses critiques et ses condamnations (certains, malheureusement, ne veulent rien savoir d’autre, comme s’il avait été un va-t’en guerre, toujours sur la brèche, avide de tirer sur tout ce qui bouge au Vatican),

Je préfère retenir aujourd’hui le Monseigneur, dont on parle moins, être de chair et d’esprit et non mythe désincarné, celui que j’ai connu et qui m’a formé: père, prêtre et missionnaire… évêque, fondateur et formateur d’âmes sacerdotales ! J’ose affirmer que c’est là le Monseigneur « substantiel », celui qui n’a jamais changé sous ses différents visages, fidèle en profondeur à sa grâce sacerdotale, immuable dans sa vocation au service de l’Eglise, de la Messe et du sacerdoce. L’autre visage, plus connu, de Monseigneur, le Monseigneur de la sainte résistance, n’est pas moins vrai que le premier, mais il est le fruit des circonstances et des évènements, celui qui n’aurait jamais dû avoir à se manifester. C’est le Monseigneur « prudentiel » agissant et réagissant avec force au gré des nécessités et des besoins des âmes et de l’Eglise.

Derrière ces visages variés, l’âme de Monseigneur est demeurée la même, après comme avant les condamnations. Combien de fois l’avons-nous entendu dire qu’il aurait préféré mourir que de devoir s’opposer à Rome ! Et ceux qui l’ont connu reconnaitront avec moi que c’est presque malgré lui, à contrecœur, poussé par la nécessité et le sens de son devoir d’évêque que Monseigneur a dû prendre des positions publiques fracassantes. Car son cœur était ailleurs, et ne se révélait librement que lorsqu’il se sentait en confiance, en famille, parmi ses prêtres et ses séminaristes. C’est à eux, quand il avait le bonheur de se retrouver parmi eux, qu’il livrait et libérait son âme. « Je m’excuse de revenir sur des problèmes qui paraissent des problèmes un peu polémiques. Je n’aime pas beaucoup cela – je préférerais faire des conférences sur la doctrine comme je l’ai fait sur Notre Seigneur Jésus-Christ… » (7 juin 1979)

Et s’il faut chercher encore où se trouve le principe qui faisait agir Monseigneur, il suffit de réentendre ces conférences aux séminaristes en février 1979, où il nous exposait le principe d’action que lui attribuaient ses interlocuteurs romains, au sujet d’une petite phrase qu’ils voulaient lui faire signer : « Par votre lettre du… vous avez fait des considérations générales sur la situation de l’Eglise depuis le concile Vatican II, qui seules permettent une réponse adéquate aux questions posées au sujet de l’Ordo Missae, au sujet de votre persévérance dans l’activité de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, malgré les interdictions que vous avez reçues des évêques et de Rome. Sur la base de ces considérations, votre position nous semble pouvoir être exprimée par la thèse suivante. » – La thèse est encadrée : « Un évêque jugeant en conscience que le pape et l’épiscopat n’exercent plus en général leur autorité, en vue d’assurer la transmission fidèle et exacte de la foi, peut légitimement pour maintenir la foi catholique ordonner des prêtres sans être évêque diocésain, sans avoir reçu des lettres dimissoires et contre la prohibition formelle et expresse du pape et attribuer à ces prêtres la charge du ministère ecclésiastique dans les divers diocèses. » Voilà, ils avaient trouvé cela ! Il faut reconnaître qu’ils sont plus forts que moi, puisque moi je n’avais pas trouvé ce principe, et eux me disent : « Voilà votre principe, voilà le principe qui vous a fait agir ». J’ai dit : « Ce n’est pas vrai. En tout cas, si, vous, vous le trouvez, moi, je ne le trouve pas, au moins formulé de cette manière-là ! Certainement pas !  Ce qui m’a fait agir, ce n’est pas un principe, un principe général, c’est la situation dans laquelle l’Eglise s’est trouvée. On s’est trouvé dans des circonstances qui, chaque mois, chaque année, nous ont fait prendre des décisions qui nous ont paru demandées par Dieu, c’est tout, demandées par les besoins de l’Eglise, par les besoins des âmes, pour le salut des âmes, c’est tout. Et ce n’est pas à partir d’un principe général comme celui-là. Evidemment on pourrait poser un principe général, mais pas exprimé comme il l’est là. » […] De plus en plus, on peut mettre des doutes partout, alors les fidèles se trouvent désemparés. Et comme les fidèles ont droit, absolument un droit strict, à recevoir les sacrements pour la vie de leur âme, pour vivre spirituellement, alors c’est un devoir pour celui qui peut donner ce secours aux fidèles, le secours de la doctrine, le secours de la foi et le secours des sacrements, d’aller le leur donner. Et donc, je disais : « Un évêque a le devoir de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la foi et la grâce soient transmises aux fidèles qui les réclament légitimement, surtout par la formation de vrais et saints prêtres formés en tous points selon l’esprit de l’Eglise, quand bien même ces prêtres n’auraient qu’une incardination fictive. »

Tel est le seul principe qui faisait agir Monseigneur, exercice  de la vertu de prudence, mêlée de force et de justice, et non principe théorique implacable et immuable, applicable dans toutes les situations. C’est le même principe qui l’a conduit à sacrer quatre évêques en 1988, pour que la foi et la grâce soient transmises aux fidèles qui les réclament légitimement, surtout par la formation de vrais et saints prêtres formés en tous points selon l’esprit de l’Eglise.

Et si je dois encore citer le Monseigneur d’après les condamnations, je relèverai un signe de ce qui a toujours animé son âme, dans son « Itinéraire spirituel », où il confie: j'ai toujours été hanté par ce désir de désigner les voies de la vraie sanctification du prêtre selon les principes fondamentaux de la doctrine catholique de la sanctification chrétienne et sacerdotale.

Et nous avons encore les ultimes conférences qu’il donna au séminaire du 7 au 11 février 1991, quelques semaines avant sa mort. Hormis quelques rapides réflexions autour du cardinal Béa, il ne parle que de la liturgie et de la sainteté des prêtres, des dispositions qu’ils doivent avoir dans leur apostolat ! « quelle devrait être la disposition fondamentale du prêtre s’approchant des fidèles qui lui sont confiés ? Il est évident que la disposition fondamentale sera surtout une disposition de foi ! […] la première chose, c’est de prier et de demander à Dieu, par l’intermédiaire de Notre Seigneur, d’avoir le sens de Dieu.[…] Voilà la disposition fondamentale dans laquelle il faut vous mettre, il faut nous mettre pour nous efforcer d’être les meilleurs instruments possibles. Et pour cela, encore une fois, demander à Notre Seigneur puisque c’est par lui que tout nous est donné, c’est lui qui est notre lumière, c’est lui qui notre voie, c’est lui qui est notre sainteté, de nous aider ; de nous aider à mieux comprendre le plan du bon Dieu, à mieux comprendre ce que le bon Dieu veut des âmes et ce qu’il veut de nous ! »

Tel est le vrai Monseigneur, dévoilant une dernière fois cette âme sacerdotale qui avait animé toute sa vie même au cœur des combats les plus terribles pour Jésus-Christ, pour le Christ-Roi, pour l’Eglise, la Sainte Messe, le sacerdoce, la foi catholique, la Tradition doctrinale, morale et spirituelle de l’Eglise. Tel fut son unique combat, du premier au dernier jour de sa vie sacerdotale ! Que l’on relise le mystère de Jésus. C’est là que se révèle l’âme de Monseigneur Lefebvre. Ce serait une bonne lecture pour bien commencer l’année.

Je ne sais ce que nous réserve l’an 2017… Eglise, Fraternité St Pie X, politique … mais je sais que nous célèbrerons le centenaire des apparitions de Notre-Dame à Fatima. Même si la consécration n’a pas été faite comme la Sainte Vierge l’avait demandé, si nous faisons ce que Notre-Dame attend de nous… nous n’aurons que de bonnes surprises !