1 juillet 2016

[DICI] Nouvelle étude critique de l’Exhortation Amoris lætitia

SOURCE - DICI - 1er juillet 2016

Le 2 mai 2016, la Fraternité Saint-Pie X demandait une révision de l’Exhortation Amoris lætitia et tout particulièrement du chapitre 8 : « Ce qui est ambigu doit être interprété de façon claire, et ce qui est en contradiction avec la doctrine et la pratique constante de l’Eglise doit être retiré, pour la gloire de Dieu, pour le bien de toute l’Eglise, pour le salut des âmes, spécialement de celles qui sont en danger de se laisser tromper par l’apparence d’une fausse miséricorde ». (Voir DICI n°335 du 06/05/16)

Le 7 mai, à Rome, John Smeaton, directeur général de la Société pour la Protection des Enfants à Naître (SPUC), et co-fondateur de Voice of the Family, dans le discours d’ouverture du Rome Life Forum – en présence du cardinal Raymond Leo Burke –, souhaitait même le retrait pur et simple du document romain.

Le 26 mai, dans une lettre adressée à l’avocat américain Christopher Ferrara, Mgr Athanasius Schneiderévêque auxiliaire de Sainte-Marie d’Astana (Kazakhstan), réclamait « une analyse solide de toutes les expressions ambiguës et objectivement erronées contenues dans Amoris lætitia ». (Voir Nouvelles de Chrétienté n°159 – mai-juin 2016)

Le 7 juin, le vaticaniste Sandro Magister reprenait sur son site Chiesa une étude critique très précise de l’universitaire australienne Anna M. Silvas, qui enseigne à l’University of New England et à l’Australian Catholic University. Son analyse est intitulée « Alice au pays d’Amoris lætitia », en référence aux « Aventures d’Alice aux pays des merveilles » de Lewis Caroll. On verra pourquoi à la fin du 3e paragraphe des extraits que nous reproduisons ici.
Lecture du chapitre 8 
(…) Au n°297, nous voyons que la responsabilité, en ce qui concerne les “situations irrégulières”, est transférée au discernement des pasteurs. Pas à pas, subtilement, les arguments font avancer un programme bien défini. Le n°299 demande comment “les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées” peuvent être surmontées et le n°301 introduit l’idée d’un “colloque avec le prêtre, dans le for interne”. Ne peut-on pas déjà détecter dans quelle direction va l’argumentation ?
Nous en arrivons ainsi au n°301, qui abandonne le style circonspect alors que nous entrons dans le maelström des “circonstances atténuantes”. Ici, on a l’impression que la “vieille Eglise méchante” a enfin été remplacée par la “nouvelle Eglise gentille” : dans le passé, nous avons pu penser que les personnes qui vivaient en “situation irrégulière” sans se repentir étaient en état de péché mortel ; mais, maintenant, il est possible que ces personnes ne soient pas en état de péché mortel, après tout, et la grâce sanctifiante peut effectivement être à l’œuvre en elles. 
Le texte explique alors, dans un excès de pur subjectivisme, qu’« un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les ‘valeurs comprises dans la norme’ ». C’est une circonstance atténuante plus forte que toutes les circonstances atténuantes. Alors, avec cet argument, pouvons-nous maintenant disculper Lucifer de son envie originelle, parce qu’il avait une “grande difficulté à saisir”, pour lui, la “valeur” de la majesté transcendante de Dieu ? A ce point, j’ai la sensation que nous avons complètement perdu pied et que nous sommes tombés, comme Alice, dans un univers parallèle, où rien n’est ce qu’il paraît être. (…) 
Nous en arrivons enfin au crucial n°305. Il commence par deux de ces caricatures désinvoltes que l’on retrouve tout au long du document. Le pape François répète et réaffirme maintenant la nouvelle doctrine qu’il a présentée un peu plus tôt : quelqu’un peut être dans une situation objective de péché mortel – car c’est de cela qu’il parle – et continuer à vivre et à progresser dans la grâce de Dieu, tout en “recevant à cet effet l’aide de l’Eglise”, qui, à ce qu’assure la tristement célèbre note 351, peut inclure, “dans certains cas”, à la fois la confession et la sainte communion. Je suis certaine qu’il y a maintenant beaucoup de gens qui travaillent activement à “interpréter” tout cela selon une “herméneutique de continuité”, pour en montrer l’harmonie, je présume, avec la Tradition. Je pourrais ajouter que, dans ce n°305, le pape François se cite quatre fois. En réalité, il apparaît que le point de référence le plus fréquemment cité par le pape François tout au long d’Amoris lætitia, c’est lui-même, ce qui est intéressant en soi. 
Dans le reste du chapitre, le pape François change d’approche. Il reconnaît avec embarras que son approche peut “prêter à confusion” (n°308). A cela, il répond en parlant de la “miséricorde”. Au tout début de l’exhortation, dans le n°7, il a déclaré qu’il est probable que “tous se sentiront interpellés par le chapitre 8”. Oui, c’est vrai, mais pas tout à fait dans le sens joyeusement heuristique auquel il pensait. Le pape François a volontiers admis, dans le passé, qu’il est le genre de personne qui aime faire du “bruit” ? Eh bien, je crois que l’on peut reconnaître qu’il y est certainement parvenu avec son exhortation. (…) 
Dans ma jeunesse, j’ai été angoissée par le problème suivant : comment peut-on obéir à celui qui désobéit ? Parce qu’un pape est, lui aussi, appelé à obéir – et il l’est même tout particulièrement. 

Les implications plus larges d’Amoris lætitia 
Les graves difficultés que je prévois, en particulier pour les prêtres, seront le résultat des interprétations contradictoires des failles dont est discrètement parsemée Amoris lætitia. Que fera un jeune prêtre récemment ordonné, qui, étant bien informé, souhaitera maintenir le principe selon lequel les divorcés remariés ne peuvent en aucun cas être admis à la Sainte Communion, alors que son curé adoptera une pratique d’”accompagnement” qui considérera au contraire qu’ils le peuvent. Que fera un curé ayant le même sens de la fidélité, si son évêque et son diocèse décident de mettre en œuvre une pratique plus libérale ? Que feront les évêques d’une région par rapport à ceux d’une autre région, étant donné que chaque groupe d’évêques décidera de la manière de prendre en compte les “nuances” de cette nouvelle doctrine, ce qui aura pour conséquence, dans le pire des cas, que ce qui sera considéré comme un péché mortel d’un côté de la frontière, sera “accompagné” et approuvé tacitement de l’autre côté ? Nous savons que cela se fait déjà, officiellement, dans certains diocèses allemands, et non officiellement en Argentine, et même ici en Australie, depuis des années, comme je peux m’en porter garante en ce qui concerne ma propre famille. 
Un tel résultat est effrayant, il peut marquer (…) l’effondrement de ce qu’affirme le christianisme catholique. Mais, bien entendu, d’autres aspects de la détérioration ecclésiale et sociale nous ont également conduits jusqu’à ce point : les dégâts provoqués par le pseudo-renouvellement dans l’Eglise au cours des dernières décennies, la politique d’inculturation, d’une stupidité ahurissante, qui est appliquée à une culture occidentale désormais sans racines et confrontée à un sécularisme militant, l’incessante et progressive érosion du mariage et de la famille dans la société, les attaques contre l’Eglise qui viennent de l’intérieur, plus fortes que celles qui viennent de l’extérieur, ce que déplorait tant le pape Benoît, la défection de longue date de certains théologiens et laïcs en matière de contraception, les effrayants scandales sexuels, les innombrables sacrilèges commis avec désinvolture, la perte de l’esprit de la liturgie, les schismes de facto à l’intérieur de l’Eglise à propos de toute une série de sujets et d’approches graves, à peine masqués par une apparente unité de jure de l’Eglise, les formes de profonde dissonance spirituelle et morale qui, de nos jours, bouillonnent sous l’étiquette délabrée de “catholiques”. Et nous sommes étonnés que l’Eglise soit faible et sur le chemin de la disparition ? (…) 

Péroraison 
Ici Anna M. Silvas s’adresse aux cardinaux et évêques. 
(…) Pour le moment, vous qui avez des responsabilités dans le gouvernement de l’Eglise, vous allez devoir prendre des mesures concrètes en ce qui concerne les questions délicates soulevées par Amoris lætitia. Tout d’abord, dans notre esprit, il ne doit pas y avoir de doutes quant à ce qu’est et ce que sera toujours l’enseignement de l’Evangile. Bien évidemment, toutes les stratégies imaginables tendant à une clarification officielle de la pratique pastorale envisagée doivent être essayées. J’insiste particulièrement sur ce point auprès des évêques australiens. Certains d’entre vous vont peut-être se trouver, vis-à-vis de leurs pairs, dans des situations très difficiles, qui demanderont presque les vertus d’un confesseur de la foi. Etes-vous prêts pour les coups, au sens figuré, que vous pourriez être amenés à recevoir ? Vous pouvez, bien entendu, choisir la sécurité illusoire d’une superficialité conventionnelle et d’une popularité apparente, ce qui est une grande tentation pour les ecclésiastiques comme pour les gens qui travaillent en entreprise. Je ne le conseille pas. L’époque est grave, peut-être bien plus grave que nous ne l’imaginons. Nous allons être mis à l’épreuve. “Le Seigneur est là. Il t’appelle” (Jn 11,28).
(Source : Chiesa – Traduction française par Antoine de Guitaut – DICI n°338 du 01/07/16)