2 mai 2016

[Paix Liturgique] L'attachement à la Tradition n'est pas une affaire "franco-française": la preuve par le Mexique

Le RP jésuite Sáenz y
Arriaga et l'un de ses
ouvrages au titre éloquent
SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 540 - 2 mai 2016

«Somos cristianos y somos mexicanos. Guerra, guerra contra Lucifer.» (Refrain d'un cantique populaire mexicain)

Pour certains, en dépit de l'essor continu de la forme extraordinaire à travers le monde, du Gabon à l'Indonésie et du Chili à la Finlande, la tradition serait une affaire franco-française. De retour d'un séjour à Guadalajara, au cœur du pays des Cristeros, Paix liturgique y a découvert un catholicisme qui n'a pas attendu Mgr Lefebvre pour rester attaché au Catholicisme traditionnel et critiquer, souvent très durement, le concile Vatican II et refuser du même coup la réforme liturgique.

Sur ce fond de décor ancien de traditionalisme « ultra », qui va souvent jusqu'au sédévacantisme, le Motu Proprio Summorum Pontificum s'enracine peu à peu à Guadalajara. Comme nous le rapporterons dans notre prochaine lettre, nous y avons rencontré de jeunes prêtres nord-américains à l'esprit missionnaire qui attirent à la forme extraordinaire du rite romain et à « ce qui va avec », de plus en plus de silencieux qui s'accommodaient jusque-là d'un catholicisme paroissial demeuré plutôt classique. Mais, avant cela, penchons-nous cette semaine sur ce traditionalisme mexicain qui voit volontiers en Écône une officine libérale...
I – Des Cristeros au sédévacantisme
La France a connu le « ralliement », le Mexique a subi les « arreglos » – les accords de 1929 entre le Saint-Siège, l’épiscopat et l'État mexicain marquant la fin de la guerre des Cristeros (1). Depuis, une bonne part du catholicisme mexicain regarde ce qui vient de Rome avec méfiance, en particulier dans l'État de Jalisco, cœur de la Cristiada.

Capitale de l'État de Jalisco, Guadalajara abrite la première université autonome du Mexique : l'Universidad Autonoma de Guadalajara (UAG). Fondée au lendemain de la guerre des Cristeros, en 1935, et fondamentalement contre-révolutionnaire, l'UAG bénéficiera dans un premier temps du soutien des jésuites, avant d'échapper à leur contrôle pour continuer d’assumer des positions politiques et religieuses traditionnelles. Toutefois, tous les jésuites n'abandonneront pas l'UAG puisque c'est l'un d'entre eux, le RP Joaquín Sáenz y Arriaga (1899-1976), qui entraînera l'université dans la critique frontale du concile Vatican II.

Auteur durant le Concile, sous le pseudonyme de Maurice Pinay, du pamphlet 2000 ans de complot contre l'Église (disponible en 2 volumes aux éditions de Chiré), le RP Sáenz y Arriaga est l'un des pères du sédévacantisme. Au lendemain de l'entrée en vigueur du nouveau missel, il écrivit un livre au titre éloquent qui lui vaudra d'être excommunié : La nouvelle Église montinienne (1971). En 1973, il récidiva en publiantSede Vacante : Paul VI n'est plus le pape légitime. Dans l'intervalle, en 1972, il appuya la fondation de l'Union sacerdotale de Trente, qui constituera pendant quelques années la colonne vertébrale du sédévacantisme au Mexique et aux États-Unis (2).

L'un des disciples du RP Sáenz y Arriaga, l'abbé Moisés Carmona, ancien curé d’Acapulco et membre de l'Union sacerdotale de Trente, sera consacré évêque en 1981 par Mgr Ngo Dinh Thuc (3), aux côtés d'un autre prêtre mexicain – le père Adolfo Zamora, religieux de l'ordre de la Merci – et du dominicain français, le P. Michel Guérard des Lauriers. À partir de là se développe au Mexique un sédévacantisme « épiscopalien » dont Guadalajara est l'un des bastions. De fait, aujourd'hui, cinq ou six groupes sédévacantistes, issus des différentes scissions provoquées au fil des ans par la course à l'ordination épiscopale de leurs prêtres, sont implantés dans l'agglomération. Plus d'une vingtaine de célébrations sont tenues chaque dimanche par ces groupes sédévacantistes qui rassemblent plus d'un millier de fidèles.
II – L'installation difficile de la FSSPX
Dès 1977, Mgr Lefebvre s'employa à développer la Fraternité sacerdotale Saint Pie X en Amérique latine et en particulier au Mexique. Toutefois, sous pression du nonce apostolique, le gouvernement mexicain lui refusa l'entrée dans le pays. Ce n'est finalement qu'en 1981 qu'il put visiter le pays, suscitant autant d'enthousiasme parmi les fidèles – il y administra des centaines de confirmations (4) – que de protestations parmi les évêques, le gouvernement et les sédévacantistes.

Il fallut toutefois attendre 1984 pour que soit fondé le district du Mexique de la FSSPX. Le développement de la Fraternité au Mexique a été porté par des prêtres qui ont marqué les fidèles, comme les abbés Jean-Michel Faure, Giulio Tam et Jean-Luc Lafitte, mais qui ont souvent, depuis, pris leurs distances avec elle (5). Il faut dire que la pression exercée par les sédévacantistes sur la FSSPX est constante dans le pays. Ainsi, en 1989, 14 séminaristes mexicains de la Fraternité abandonnèrent le séminaire de La Reja (Argentine) à la suite du recteur de l'époque, l'abbé argentin Andrés Morello – devenu depuis « évêque » de sa propre congrégation...

Rien d'étonnant donc si, à Guadalajara, le prieuré de la FSSPX se remet doucement des conséquences de l'entrée en résistance de Mgr Williamson. Aujourd'hui dirigé par un Français, l'abbé Gardère, assisté de deux prêtres locaux, il offre trois messes dominicales pour plus de 300 fidèles réguliers.
III – Les réflexions de Paix liturgique
1) Sans attendre la France, des catholiques mexicains ont proclamé haut et fort leur attachement à la foi traditionnelle en s'engageant à défendre le catéchisme et la liturgie pré-conciliaires. Preuve, s'il en fallait, que le « traditionalisme » n'est pas un phénomène franco-français comme le proclament certains mais bel et bien, et plus largement, une réaction universelle et commune à tous les catholiques fidèles.

2) Vu de France, le sédévacantisme est généralement perçu comme un phénomène marginal et peu influent. Le succès de la FSSPX a en effet grandement contenu sa diffusion dans notre pays. Au Mexique, c'est presque le contraire puisque, jusqu'à ce qu'il n'éclate en une multitude de chapelles concurrentes, le sédévacantisme y a longtemps été le traditionalisme ordinaire. Cette considération devait faire réfléchir tous ceux qui s'obstinent à considérer le catholicisme français comme une exception dans le monde. Car, si l'on observait chaque grand pays catholique attentivement, on y trouverait des pans significatifs de fidèles, et parfois du clergé, traumatisés par la soudaineté unilatérale des réformes post-conciliaires et y donnant des réponses variées : du succès de la Fraternité Saint Pie X en France à celui du sédévacantisme au Mexique, en passant par l'accueil favorable réservé à la Contre-Réforme Catholique de l'abbé De Nantes au Québec...

3) Dans notre lettre 530, où nous parlions de la renaissance de la messe traditionnelle au Mexique, dans le cadre diocésain, nous notions que ce phénomène est particulièrement émouvant au pays des valeureux et saints Cristeros. La messe qui a été conservée par les divers groupes traditionalistes et qui refleurit aujourd’hui dans une dizaine de diocèses sur 90, est la messe dont les Cristeros ont défendu la libre célébration au prix de leur sang, comme chez nous jadis les Vendéens et les Chouans. La trahison que les Cristeros ont eue à supporter de la part des autorités ecclésiastiques – l'abandon de la doctrine du Christ-Roi et de ses défenseurs – n’est pas sans analogie avec l’abandon par l'Église, dans les années 60, de la liturgie antique et des prêtres et fidèles qui n’ont pas accepté sa disparition.

4) Le traditionalisme français, certes très vivace, n’a été qu’une forme parmi d’autres du refus de la réforme liturgique de la fin des années soixante. De même et plus généralement, le traditionalisme institutionnel – soit en sa forme « sauvage » (FSSPX, Mexique à l’origine, etc.), soit en sa forme « officielle » (les instituts Ecclesia Dei) –, n’est pas le tout de la résistance liturgique. Seule une infime portion du peuple chrétien qui souhaitait continuer à vivre sa foi au rythme du catéchisme de saint Pie X et de la messe traditionnelle a pris position. De nombreux sondages internationaux ont montré que de 40 à 60 % des fidèles pratiquants vivraient volontiers leur foi au rythme de la messe traditionnelle. Au Mexique, comme nous l'avons rapporté dans notre lettre 530 et l'illustrerons encore la semaine prochaine, ce peuple silencieux continue d'offrir une magnifique illustration de l’instinct de la foi qui a marqué le martyre de leurs ancêtres Cristeros.
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(1) Le Saint-Siège y demandait notamment aux insurgés de déposer les armes. Le clergé cessa tout soutien aux rebelles, allant jusqu'à les menacer d'excommunication. 5000 catholiques, ayant déposé les armes, furent ainsi liquidés par le gouvernement et souvent pendus le long des voies ferrées, pour l’exemple...

(2) La Providence a voulu que nous rencontrions à Guadalajara une nièce du RP Sáenz y Arriaga, Gabriela, qui nous a assuré qu'il s'était réconcilié avec Rome sur son lit de mort.

(3) Mgr Pierre Martin Ngo Dinh Thuc (1897-1984) était archevêque de Hué au Vietnam. En voyage à Rome dans le cadre de la préparation du concile Vatican II, il y apprend l'assassinat de son frère Jean-Baptiste, Président de la république vietnamienne. S'exilant alors en Italie puis à Toulon – où auront lieu les ordinations de 1981 –, il accepta, pour des raisons mal connues, de consacrer en 1976 cinq évêques pour la secte espagnole de Palmar de Troya. L'un de ces évêques, Clemente, s'autoproclamera « pape » en 1978 au lendemain de la mort de Paul VI. À la demande de Rome, Mgr Ngo Dinh Thuc fera amende honorable, mais il récidivera fréquemment pour des sectes françaises et répondra également à des demandes de consécrations épiscopales de prêtres sédévacantistes. Mis en résidence dans le Missouri, il fera à nouveau amende honorable, avant sa mort en 1984.

(4) Dans la ville de Tlaxiaco, dans le diocèse d'Oaxaca, l'évêque local avait choisi de répondre à la venue de Mgr Lefebvre en célébrant au même moment une messe de confirmation. Seuls 25 habitants répondirent présents tandis que Mgr Lefebvre célébrait devant plusieurs centaines de personnes !

(5) L’abbé Jean-Michel Faure, prêtre français d’origine pied-noir, a été le premier supérieur du district d'Amérique du Sud de la FSSPX. Il a construit en Argentine le séminaire de La Reja. Le 19 mars 2015, il a été consacré évêque par Mgr Williamson auquel le lie une vieille amitié. Tout comme Mgr Williamson et comme Dom Thomas d’Aquin, bénédictin brésilien lui aussi récemment ordonné évêque par Mgr Williamson, Mgr Faure se défend d’être sédévacantiste.