2 juillet 2014

[Fr. Thomas d'Aquin, osb - Monastère de Santa Cruz] Les douze degrés d'humilité

SOURCE - Fr. Thomas d'Aquin, osb - Monastère de Santa Cruz - juillet 2014

Saint Thomas nous enseigne que le fondement de l'humilité est la révérence envers Dieu. C'est pourquoi saint Augustin rattache l'humilité au don de crainte par lequel l'homme honore Dieu. L'humilité nous fait nous assujettir à Dieu. Elle est donc radicalement opposée au libéralisme qui n’est autre chose que l’orgueil érigé en système. Le libéral veut être libre de tout assujettissement, comme si se soumettre à Dieu était un mal, alors que c'est non seulement la seule attitude qui convient à la créature mais aussi le seul moyen d'être élevé par Dieu à la fin ultime pour laquelle Il nous a créé.

Mais voyons ce qu'en dit saint Benoît, moins spéculatif que saint Thomas et saint Augustin, mais éminemment pratique dans l'application des mêmes principes énoncés par saint Thomas et saint Augustin.

Éduquer ou élever sont des synonymes. Saint Benoît se propose d'élever les moines, adultes ou enfants, qui se présentent à la porte du monastère. Comment s'y prend-t-il ? Il leur répète le mot de l’Évangile : « Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera exalté » (Luc, XIV, 11) et il fait précéder cette citation par ces simples et engageantes paroles : « La divine Ecriture, mes Frères, nous fait entendre ce cri : » Saint Benoît veut attirer toute notre attention sur ce point décisif de toute éducation. Il faut se faire petit si l’on veut que le bon Dieu se charge de nous et nous rende grands par la participation à sa nature divine.

Saint Benoît va ensuite énoncer douze degrés par lesquels on arrive à la perfection à la fois de l'humilité et de la charité, parce qu’être exalté dans le texte de l'Ecriture ne veut pas dire autre chose que d'être sanctifié en cette vie et glorifié dans l'autre et cela se fait essentiellement par la charité qui est la vie divine en nous.

Saint Benoît commencera par l'intérieur pour terminer par le maintien extérieur du moine. Ce qu'il dit aux moines s'applique à tout homme, puisque ce que veut saint Benoît n'est autre chose que de former des bons chrétiens.

Saint François de Sales tombe parfaitement d'accord avec cette manière de procéder de saint Benoît. Voici ce qu'il en dit : « Je n'ai jamais pu approuver la méthode de ceux qui, pour réformer l'homme commencent par l'extérieur, par les contenances, par les habits, par les cheveux. Il me semble au contraire, qu'il faut commencer par l'intérieur car quiconque a Jésus-Christ en son cœur, il l'a bientôt après en toutes les actions extérieures. »

Nous voilà suffisamment renseignés sur l'humilité et sur la méthode d'éducation de saint Benoît pour commencer à étudier les douze degrés proposés par le patriarche des moines d'Occident.

Un dernier mot, cette fois-ci de saint Bernard, nous mettra encore mieux sur la bonne voie. Saint Bernard définit l'humilité comme la vertu qui nous fait nous mépriser par suite d'une très vraie connaissance de nous-mêmes. Nous sommes donc sur la voie de la vérité. L'humilité c'est la vérité, disait sainte Thérèse d'Avila.

Commençons, donc, notre étude. Prenons le sommaire du chapitre de l'humilité qu'en fait le Père Emmanuel du Mesnil de Saint Loup :

1. Avoir continuellement devant les yeux la crainte de Dieu, et par suite se tenir en garde contre tous les péchés, et notamment contre la propre volonté ;

2. Renoncer à ses propres désirs, par suite du renoncement à la propre volonté ;

3. Se soumettre en toute obéissance à son supérieur pour l'amour de Dieu ;

4. Accepter en paix les commandements difficiles, même les mauvais traitements et les injures ;

5. Découvrir au supérieur les pensées mêmes mauvaises qui viennent à l'esprit ;

6. Se contenter de ce qu'il y a de plus vil et plus abject ;

7. Se regarder du fond du cœur comme le dernier de tous ;

8. Suivre simplement la règle commune, et fuir toute singularité ;

9. Garder le silence jusqu'à ce que l'on soit interrogé ;

10. N'être point prompt à rire ;

11. Parler doucement, gravement, en peu de mots bien raisonnables ;

12. Porter l'humilité dans son cœur et dans tout son extérieur, baissant les yeux, comme un criminel qui se regarde comme étant sur le point d'être appelé au tribunal redoutable de Dieu.

Voilà le résumé donné par le Père Emmanuel. Tout résumé rétrécit un peu la pensée d'un auteur, mais le résumé a l'avantage de dresser devant nos yeux une vue d'ensemble du sujet traité. Nous y voyons qu'en effet, saint Benoît commence par l'intérieur pour terminer par le maintien extérieur. Il commence par la présence de Dieu pour terminer aussi sur cette même présence. D'abord l'effet de cette présence à l'intérieur de l'âme, c'est la crainte. La crainte peut être servile ou filiale. Toutes deux font que l'homme se soumet à Dieu, mais seulement la seconde entre avec lui au ciel. À la fin il y ajoute que le corps aussi doit être rempli de cette même crainte, qui est la révérence envers Dieu.

Le tableau ne serait pas complet si saint Benoît avait oublié de parler explicitement de la charité qui suit pas à pas tous les degrés de l'humilité ou, au moins, rejoint le moine en cours de route. C'est elle qui anime le moine et anime tout chrétien dans cette ascension vers le Dieu de toute bonté. Écoutons saint Benoît nous parler de cette charité quand le moine arrive au sommet des douze degrés de l'humilité :
« Le moine ayant donc monté tous ces degrés d'humilité parviendra bientôt à cette charité de Dieu, laquelle étant parfaite, chasse dehors la crainte et fait que tout ce qu'il observait auparavant avec un sentiment de terreur, il commence alors à le regarder sans aucune peine, comme naturellement et par une habitude contractée ; non plus par frayeur de l'enfer, mais par amour pour le Christ, par l'heureux usage et l'attrait propre des vertus que le Seigneur daigne faire paraître dans son serviteur purifié de ses vices et de ses péchés. »
Le libéralisme ne connait pas la crainte, mais il ne connait pas non plus la charité. Le Libéralisme chasse la crainte mais chasse aussi la charité. Le libéralisme attire parce qu'il semble être arrivé au sommet de l'échelle, mais, en vérité, il n'a pas mis le pied ni au premier barreau. Le catholicisme, par contre, sait avoir le visage antipathique de vraie bonté, selon l'expression d'un illustre écrivain. Antipathique au péché, mais souriant à la vertu. Seul le catholicisme sait unir sévérité et bonté, humilité et magnanimité, pour arriver à cette charité qui chasse la crainte servile pour ne laisser que cette crainte révérencielle, elle-même toute pénétrée de sainte intimité entre l'âme et son Créateur et Sauveur.

Dans un prochain bulletin, si le bon Dieu nous en fait la grâce, nous reprendrons soit chaque degré un par un, soit quelques-uns pour approfondir la pensée de saint Benoît qui a formé des milliers de saints, moines et laïcs et a façonné l'Europe catholique, phare du monde entier.

Pour donner un avant-goût de ce que d'illustres commentateurs ont écrit sur chacun de ces degrés, écoutons Dom Etienne Salasc qui commente le onzième degré :
« Il appartient au moine entré ostensiblement dans la milice du Christ d'imiter Jésus-Christ dans son langage plein de douceur, exempt du rire inconvenant, toujours humble et sérieux, sobre, raisonnable, jamais bruyant, sans cesse assaisonné du sel de la sagesse. Devant ces formes d'une correction si parfaite et si attrayante, le désir de l'imitation s'impose avec d'autant plus de charme que l'on reconnaît dans ces bons effets de l'humilité, les caractères d'une civilité exquise et d'une éducation accomplie. Il en est de l'humilité comme de la vraie piété ; elle est utile à tout, avec ses promesses de la vie présente et de la vie future. Le parfait chrétien ne le cède en rien au parfait gentilhomme. »
Et sur le dixième degré qui pouvait sembler exclure toute gaîté dans le cloître, voici le sage commentaire du même auteur, Dom Etienne Salasc, moine cistercien :
« Le rire est un besoin de nature qui dépend beaucoup de la diversité des tempéraments plus ou moins sensibles aux causes qui l'excitent. Il serait absurde de vouloir l'interdire radicalement. Telle n'est pas la condition faite à l'humilité, ni la pensée de N. Père S. Benoît. Bien plus, le rire est une détente parfois nécessaire. »
A vrai dire ce que veut saint Benoît avec le dixième degré d'humilité c'est que le moine (et cela vaut pour tout chrétien) sache exclure les plaisanteries et bouffonneries incompatibles avec « l'inexprimable sérieux de la vie chrétienne ».

Nous recommandons à tous ceux qui veulent approfondir ces leçons d'humilité l'excellent livre de l'abbé G. A. Simon « La Règle de Saint Benoît Commentée pour les oblats et les Amis des Monastères » édité dans les années 30 et réédité par les Editions de Fontenelle en 1982.

L'abbé Simon commente avec grande érudition et grand bon sens toute la Règle. Il nous la fait mieux comprendre pour mieux la vivre. Que tous puissent trouver en cette Règle qui est, selon Bossuet, « un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de la doctrine de l'Evangile », une précieuse aide pour tout restaurer dans le Christ, comme le voulait saint Pie X.