20 mai 2014

[Abbé R. de Cacqueray, fsspx - Lettre aux amis et bienfaiteurs] Face à cette nouvelle doctrine qui continue à ruiner la religion, demeurons fermes dans la Foi

SOURCE - Abbé R. de Cacqueray, fsspx - Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 82 - 20 mai 2014
Les canonisations de Jean XXIIII et de Jean-Paul II ont maintenant eu lieu. Conscients de la gravité de notre refus formel de reconnaître la validité de telles canonisations, commençons, chers amis et bienfaiteurs, par recenser une volée de légitimes interrogations et d’objections que peut nous valoir cette contestation. Pour y répondre, c’est à une remontée à la racine du mal que nous vous convions : Vatican II a rendu les voies de la sanctification inaccessibles et indéchiffrables. D’abord, ce concile a attaché bien peu de prix au retour à la vérité catholique de ceux qui sont égarés dans les fausses religions ou dans l’irréligion, si bien que les conversions se sont taries. En conséquence, bien peu nombreux sont ceux qui se convertissent et moins nombreux encore ceux qui escaladent la montagne de la perfection. Du même coup, le concile a aussi détruit l’esprit missionnaire chez les catholiques, leur faisant perdre leur zèle pour le salut des âmes, à commencer par celui de leur propre âme. Ce sont les ailes de leur propre sanctification qui se trouvent ainsi coupées. Pour finir, nous dirons l’un des motifs pour lesquels le concile se soucie si peu de communiquer un véritable esprit missionnaire : il affirme que, d’une certaine manière et du seul fait de leur appartenance à l’humanité, tous les hommes se trouvent déjà reliés au Christ. Il importe seulement de les aider à en prendre conscience. La prise de conscience remplirait le rôle de la grâce pour servir de nouveau moteur de la sanctification et la nouvelle sainteté se trouverait alors redéfinie comme étant la plénitude de cette prise de conscience.


Ne serait-il pourtant pas raisonnable, après nous être si longtemps opposés à ces canonisations, que nous fassions désormais contre mauvaise fortune bon cœur en révisant nos jugements ? Etant donné la déclaration réputée infaillible prononcée par le pape François, ne sommes-nous pas tenus d’accepter la présence de ses deux prédécesseurs dans le catalogue des saints ? Ne devrions-nous pas nous inspirer de l’exemple de Monseigneur Dupanloup qui, après s’être insurgé de longues années contre la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale, se soumit ensuite à la volonté de Pie IX et à la décision du concile Vatican I proclamée le 18 juillet 1870 ?

Si nous persistons dans notre opposition, n’allons-nous pas nous laisser emporter par la logique d’une opposition qui nous éloignera inexorablement des chemins balisés du catholicisme et des autorités de l’Eglise ? Le fossé se creusera de plus en plus. Le petit nombre que nous sommes à nourrir des griefs envers des décisions aussi unanimement reçues et venues de si haut devrait nous faire douter du bien-fondé de nos positions. Nos objections ne représentent que nous-mêmes et il est vraiment paradoxal, alors que nous prétendons être les plus fermes défenseurs de l’infaillibilité pontificale, que nous en soyons, au moins dans la pratique, les contempteurs. De la contestation des documents conciliaires à celle de la nouvelle messe, de la critique du nouveau code de droit canon de 1983 à celle du nouveau catéchisme, ne nous rendons-nous pas compte que plus rien ne trouve grâce à nos yeux ? Et maintenant, jusqu’au refus de ces canonisations ?

Si nous maintenons notre rejet de ces canonisations, la roue conciliaire continuera à tourner sans nous. Les messes de ces deux papes se trouvent déjà intégrées dans le calendrier liturgique, le 11 octobre pour Jean XXIII et le 22 du même mois pour Jean-Paul II. Ces nouveaux saints sont maintenant priés par les catholiques du monde entier comme étant de puissants intercesseurs qui jouissent certainement de l’éternité bienheureuse auprès du bon Dieu. Leur doctrine et leur exemple ont d’autant plus de poids sur les chrétiens d’aujourd’hui qu’ils sont à la fois des papes et encore des contemporains ; comment les catholiques ne seraient-ils pas attirés par une sainteté papale, vécue dans un contexte proche de leur propre existence ? Chacun ressentira le désir de connaître la vie de ces papes pour s’imprégner des vertus qu’ils ont pratiquées jusqu’à un degré héroïque. Cette sainteté que nous récusons, c’est elle qui façonnera les saints du 21e siècle ! Ne nous en déplaise, le concile Vatican II, convoqué par un pape saint et mis en œuvre par un autre pape également saint sera nimbé d’un immense prestige. Que de sainteté! Jamais autant de saints n’ont d’ailleurs été canonisés qu’au cours de ces dernières décades !

Et si le monde doit durer, les catholiques à venir ne manqueront sans doute pas de se pencher avec admiration sur notre époque qu’ils estimeront avoir été empreinte d’une ferveur singulière au regard de ceux qui se sont succédé sur le siège de Pierre. Jean XXIII, Jean-Paul II et bientôt Paul VI qui sera déclaré bienheureux au mois d’octobre prochain. Qui pourra encore parler des fruits amers d’un concile tout auréolé de la sainteté de ses principaux acteurs? Qui osera douter de son contenu ? Les enfants des familles catholiques, toujours sous le charme puissant de la vie des plus beaux exemples chrétiens qu’on leur raconte, ouvriront toutes grandes leurs oreilles lorsqu’ils entendront l’histoire de cette sainteté devenue si fréquente au moment du concile Vatican II, sorte de nouvel âge d’or inconnu de l’Eglise depuis les premiers siècles de son histoire.

Et pourtant, seront-ils vraiment conquis par cette sainteté, avides d’imiter ces saints nouveaux comme peuvent l’être les enfants, lorsqu’ils ont le bonheur de découvrir le récit de la vie des héros chrétiens des siècles passés ? Voudront-ils s’engager sur leurs traces pour être leurs émules et leurs disciples ? Si, dans les rayonnages des bibliothèques familiales, les hagiographies des saints nouveaux n’ont pas supplanté celles des saints de naguère, leurs lecteurs ne sursauteront-ils pas de se trouver confrontés aux contradictions opposant les motifs pour lesquels certains catholiques des siècles passés sont placés sur les autels et ceux pour lesquels ces trois papes, qui ont fait et répandu le concile, ont été canonisés ou sont en passe de l’être aujourd’hui ? Pourront-ils aller et venir de la vie de saint Pie V à celle de Jean-Paul II ou de celle de saint Pie X à celle de Jean XXIIII sans sursauter ? A moins que l’histoire n’ait été revisitée pour transformer le vainqueur de Lépante en un précurseur du dialogue interreligieux et l’auteur de l’encyclique « Pascendi» en un admirateur caché de Loisy, comment concilier la sainteté des papes du passé avec ceux du concile ? La question ne peut être escamotée aux yeux des esprits soucieux de vérité.

Si les catholiques des années à venir font part de la perplexité qu’occasionnent en eux ces contradictions, quelles réponses recevront-ils ? On leur dira sans doute que les temps ont bien changé, l’Eglise également et qu’au 20e siècle, cette vieille institution ne ressemblait déjà plus à celle des siècles précédents. Ou encore qu’à cette époque, justement, elle prit conscience d’un certain nombre d’erreurs dont son histoire était jonchée et dont les vies des saints lointains n’étaient pas exemptes - c’est pourquoi elle demanda pardon à la modernité. Enfin qu’il existe l’herméneutique de la continuité, moyen particulièrement cher au pape Benoît XVI, pour prouver que les contradictions apparentes n’existent pas en réalité. Cette théorie entend démontrer que les contextes historiques successifs vécus par l’Eglise, dans leur diversité, suffisent à rendre compte de tout ce qu’elle a pu dire à un temps donné, la validité de ses propos devant être comprise comme limitée à cette époque. A contrario, la même herméneutique permet de légitimer, à la vue de nouvelles circonstances, que des idées neuves, éventuellement opposées à celles d’antan, soient aujourd’hui tenues pour vraies.

Dans la réalité, ces canonisations nous contraignent à nous demander comment les hommes d’Eglise envisagent aujourd’hui l’activité missionnaire et la sainteté. Faut-il encore prêcher l’Evangile sur toute la terre ? La vie surnaturelle est-elle seulement accessible aux catholiques ou l’est-elle aussi par le biais des différentes religions chrétiennes ? L’Eglise prône-t-elle le dialogue interreligieux avec les autres religions pour construire l’art de vivre ensemble sur la terre, la promotion de la justice et de la paix ou favorise-t-elle la prédication de l’Evangile à toutes les nations ? Est-elle au service de l’épanouissement de l’homme ou de la glorification de Dieu? Exige-t-elle de considérer les droits de l’homme comme le premier socle sacré hors duquel aucune vertu n’est possible ou de devoir s’opposer à ces nouvelles tables des sociétés modernes ? La sainteté passe-t-elle par l’exaltation de la conscience ou par la soumission aux lois divines ? Est-elle ou non l’épanouissement d’un germe divin qui se trouve dans l’homme du seul fait de son appartenance à l’humanité ?

Le concile, à différentes reprises, exprime le devoir des hommes « de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise ; et quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles. »(1). Cependant la valeur de tels rappels se trouve annihilée, comme nous allons le voir d’après trois exemples, par des propos lénifiants qui confortent les hommes dans leurs diverses opinions religieuses respectives.

C’est surtout dans la conclusion de « Gaudium et Spes » (2) que sont récapitulées les voies sur lesquelles le concile invite les hommes à cheminer. Ces routes ne ressemblent pas à celles de l’Evangile et du Royaume des Cieux. Les Pères conciliaires y présentent des perspectives humanistes : «Tirées des trésors de la doctrine de l’Eglise, les propositions que ce saint Synode vient de formuler ont pour but d’aider tous les hommes de notre temps, qu’ils croient en Dieu ou qu’ils ne le reconnaissent pas explicitement, à percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur vocation, à rendre le monde plus conforme à l’éminente dignité de l’homme, à rechercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus profonds,et, sous l’impulsion de l’amour, à répondre généreusement et d’un commun effort, aux appels plus pressants de notre époque. »

Comment ne pas être consterné par l’horizontalité de ces considérations ? S’il ne s’agit que de « rendre le monde plus conforme à l’éminente dignité de l’homme », ou de « rechercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus profonds » ou de « répondre aux appels plus pressants de notre époque », le concile n’était pas nécessaire et d’autres hommes, mieux placés que les pères conciliaires, auraient été capables de délivrer ce message.

Les humanistes auxquels les pères conciliaires adressaient ces recommandations ont dû considérer l’assemblée conciliaire avec commisération. L’Eglise n’avait-elle donc que de tels poncifs à leur offrir ? Elle ne faisait, en l’occurrence, que leur resservir leurs propres thématiques. Comment ne pas hausser les épaules face à un psittacisme servile ? Certes, ces humanistes n’auraient pas été d’accord si le concile leur avait adressé un rappel succinct des vérités catholiques mais ils n’en auraient pas attendu moins de la part de cette auguste assemblée. Beaucoup d’entre eux, en ces années, connaissaient encore les encycliques si consistantes écrites par Pie XII de sorte que la platitude du discours du concile dut paraître étonnante à plus d’un. C’était à croire que l’Eglise s’était mise à douter d’elle-même. Son silence ne traduisait-il pas une sorte de gêne à encore affirmer ses dogmes éculés à la face du monde moderne ? Le mot « enfer » ne se trouvait pas une seule fois cité tout au long des documents conciliaires ! Si le concile dénonçait l’athéisme, c’était après avoir posé bien des distinctions entre ses adeptes et non sans avoir rendu les chrétiens largement responsables de sa diffusion. Quant à bousculer les humanistes dans leur humanisme, le concile ne s’en souciait pas. Il leur donnait plutôt bonne conscience en approuvant le vague fond philanthropique plus ou moins présent au fond de chaque homme. Point de devoir de se convertir ou de revenir à la vraie religion !

De même, le concile ne s’est pas montré empressé de convertir ceux qui se trouvaient égarés dans les fausses religions. Il ne contient pas le souffle missionnaire qui cherche à gagner les âmes. D’ailleurs, pourquoi se convertir au catholicisme si finalement les autres confessions chrétiennes sont des voies possibles pour se sauver ? Or le concile s’est justement opposé à la vérité : « Hors de l’Eglise, point de salut » en affirmant à propos de ces diverses confessions chrétiennes: «Ces Eglises et communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Eglise Catholique. »(3) Il n’est plus question du retour des dissidents à la foi catholique. Au contraire, le concile fournit une caution aux différentes confessions chrétiennes pour attester qu’elles véhiculent la grâce et sont capables de conduire leurs membres jusqu’au salut éternel. A quoi bon devenir catholique ?

Enfin, dans « Nostra Aetate », la déclaration du concile Vatican II sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, nous constatons que le souci de la conversion des âmes a cédé le pas à une vision positive des autres religions, très opposée à l’esprit missionnaire. Les musulmans par exemple, s’ils sont intéressés de savoir ce que le Concile attend d’eux liront que « L’Eglise regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du Ciel et de la terre qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme à aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. » (4)

Ce portrait de l’Islam est particulièrement scandaleux. Il est pétri de mensonges ou d’omissions coupables. Nulle part n’est formulé l’espoir -qui devrait pourtant être celui de tout catholique- que des musulmans abandonnent l’Islam pour se convertir au Catholicisme. Pourquoi les musulmans, les juifs et les autres se tourneraient-ils vers l’Eglise Catholique si le concile trouve leurs religions respectables, chacune apportant sa pierre à la construction d’une humanité fraternelle sur la terre ?

C’est ainsi que Vatican II a signé la perte de l’esprit missionnaire par ses visées humanistes et maçonniques et par son indifférence à la vérité de la religion catholique. Ce drame touche tous ceux à qui la bonne parole de l’Evangile n’est pas portée. Mais il est en même temps celui de tous ces catholiques qui ne connaissent pas leur devoir de porter la bonne parole autour d’eux. Comment la charité s’enflammera-t-elle chez ceux qui ne croient pas ? Et comment pourra-t-elle croître chez ceux qui croient peut-être mais qui ignorent leur devoir d’être sur la terre les instruments de l’évangélisation et les brandons de l’amour divin pour que les âmes soient sauvées ? Comment naîtront les vocations missionnaires si l’Evangile est devenu facultatif et si, dans l’éternité bienheureuse, catholiques et protestants côtoient juifs et musulmans ?

Quel mal affreux aura provoqué l’atmosphère empoisonnée du dialogue interreligieux promu par le concile ! Voilà des dizaines d’années qu’a été laissé de côté le travail intellectuel des catholiques pour étudier les objections du monde et des différentes religions contre le catholicisme. La théologie naturelle, l’apologétique ne sont plus enseignées dans les séminaires et les universités catholiques. Elles ne sont plus connues des fidèles. Beaucoup de catholiques et d’adeptes des fausses religions sont de bonne foi lorsque ils déclarent être persuadés que l’Eglise Catholique borne sa prétention à être une religion parmi d’autres et qu’elle se préoccupe uniquement de promouvoir sur cette terre le règne de la justice et de la paix.

Pourtant, c’est dès l’envoi des apôtres en mission, le jour de la Pentecôte, que l’Eglise a engendré des âmes généreuses, prêtes à donner leur vie pour l’amour de Jésus-Christ et des âmes à sauver. Son élan missionnaire propulsait ses prêtres, ses religieux et ses religieuses par dizaines de milliers aux quatre coins de la planète et jusqu’au plus profond des jungles et des déserts. Nous saluons ici la plus belle et la plus pure épopée de toute l’histoire humaine, celle de ces hommes et de ces femmes qui partaient, les mains nues et le cœur rempli de charité, apporter la bonne nouvelle à tous ceux qui ne la connaissaient pas et purifier les cœurs dans le sang de Dieu.

Ils ne s’en allaient ni pour les plaisirs de la terre, ni pour l’argent, ni pour la gloire. Ils ne voguaient au loin que pour l’amour de Jésus-Christ et des âmes qu’ils désiraient lui conquérir, mus par le grand désir de leur porter le message du salut. « Ce zèle du salut des âmes, disons mieux, ce zèle de l’honneur et de la gloire de Dieu, est un désir si ardent de voir Dieu aimé, honoré, servi de tous les hommes, qu’il est dans le cœur qui en est animé comme une flamme active qu’il ne peut contenir, qu’il éprouve le besoin de propager autour de lui et dont il voudrait embraser le monde entier. » (5) Tout leur bonheur consistait à les instruire et à les convertir pour qu’ils s’emparent des grands trésors de l’évangélisation. Ils priaient pour que des âmes, toujours plus nombreuses, se baignent à leur tour dans cette mer du sang divin, laquelle grandit toujours à mesure que s’avancent les âges et que s’étend l’Eglise.

Souvent, ils poussèrent l’amour de Notre-Seigneur et le désir de l’imiter jusqu’au martyre comme en témoignent ces mots de saint Ignace d’Antioche : « Je vous écris, enflammé du désir de mourir pour le Christ… Il n’est en moi aucun feu d’amour (pour la créature) ; mais une eau vive, jaillissant en moi, me dit au fond du cœur : Viens vers le Père. Je ne me réjouis pas d’une nourriture corruptible ni des plaisirs de cette vie ; je veux le pain de Dieu, le pain céleste, le pain de vie, qui est la chair du Christ Fils de Dieu… je veux un breuvage, le sang du Christ, qui est la charité incorruptible et la vie éternelle. »(6) La mer féconde du sang de Dieu fut ainsi enflée du sang de cette innombrable cohorte de héros chrétiens qui s’offrirent pour la conversion de leurs bourreaux et des peuples à qui ils étaient venu enseigner l’Evangile. « Le pourpre des martyrs »(7), voilà le plus beau manteau dont la terre a été revêtue par les hommes.

Que cette charité conquérante, véritable sainteté en action, se soit trouvée expulsée de la vie de l’Eglise, c’est ce que nous venons de montrer sur ces trois exemples. Le demi-siècle postconciliaire que nous venons de vivre illustre que cette fausse conception de l’oecuménisme et la nouveauté du dialogue interreligieux l’ont emporté sur le souci de l’évangélisation. Pour finir, nous indiquons l’une des racines, à la fois paradoxale et hétérodoxe, de cette nouvelle attitude.

L’abandon de la charité, missionnaire par définition, trouve en réalité sa racine dans l’inédite et flatteuse notion de la dignité de la nature humaine telle qu’elle semble avoir été envisagé par le concile. C’est d’elle qu’a été déduite la liberté religieuse qui consacre la laïcité des états. C’est également d’elle que provient une moindre ardeur dans la prédication missionnaire et un changement dans la conception même de ce qu’est la mission. Quelle est donc cette dignité de la personne humaine si extraordinaire que le concile a découverte ? C’est que tout homme, dès sa conception, serait, d’une certaine manière, déjà relié au Christ. Sa destinée surnaturelle s’inaugurerait en même temps que sa vie humaine. En effet, le concile affirme comme un principe : « Par son incarnation, le Christ s’est en quelque sorte uni à tout homme. »(8). Jean-Paul II placera ce nouveau principe au cœur de sa première encyclique Redemptor Hominis. Elle est une clef de la compréhension de son action pontificale.

Nous nous demandons évidemment comment une telle union sanctifierait d’ores et déjà les hommes, avant même que la grâce sanctifiante ne leur soit donnée au baptême. Vraisemblablement, l’explication est à rechercher dans l’encyclique « Pascendi », lorsque saint Pie X expose les idées des modernistes réformateurs : « …Ce qu’ils se font fort de montrer au non-croyant, caché au fond de son être, c’est le germe même que Jésus-Christ porta dans sa conscience et qu’il a légué au monde. »(9) et encore : « Toutes les consciences chrétiennes furent enveloppées en quelque sorte dans la conscience du Christ, ainsi que la plante dans son germe. Et de même que les rejetons vivent de la vie du germe, ainsi faut-il dire que tous les chrétiens vivent de la vie de Jésus-Christ. Or la vie de Jésus-Christ est divine selon la loi ; divine sera donc aussi la vie des chrétiens. » (10)

Notre confrère, l’abbé Guy Castelain qui a soigneusement étudié cette affirmation du concile, suggère que « La théorie envisagée par saint Pie X, moyennant une extension non seulement à tous les chrétiens, mais à tous les chrétiens anonymes, que sont tous les hommes, ne serait-elle pas un principe explicatif valable qui rendrait intelligible Gaudium et Spes 22, 2 ? L’hypothèse semble confirmée par la doctrine conciliaire qui affirme de l’homme qu’ « un germe est déposé en lui, et que la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »(11) C’est donc là, au cœur de la conscience de tout homme, que le germe divin est déposé. »(12)

En conséquence, lorsque le concile parle de l’activité missionnaire, la nature de cette dernière se trouve profondément modifiée. Elle ne sera plus là que pour aider à la prise de conscience que chacun est appelé à vivre de ce que le Christ est déjà partie intégrante de son humanité : « L’activité missionnaire possède un lien intime avec la nature humaine elle-même et ses aspirations. Car en manifestant le Christ, l’Eglise révèle aux hommes par le fait même la vérité authentique de leur condition et de leur vocation intégrale, le Christ étant le principe et le modèle de cette humanité rénovée… à laquelle tout le monde aspire. » (13)

Le rôle de l’Eglise consiste à devoir conduire tout homme à la connaissance de la plénitude de lui-même, à opérer le déchiffrage de ce qui se trouve déjà en lui mais qu’il ne parvient pas à lire tout seul. L’Eglise doit apprendre aux hommes ce que l’Esprit-Saint a placé de divin au plus profond d’eux-mêmes. Les échanges divers entre les hommes, la connaissance réciproque de leurs cultures, des sociétés auxquelles ils appartiennent, de leurs traditions et de leurs religions leur permettront de « découvrir les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées et apprendre dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa magnificence, a dispensées aux nations. » (14)

Dès lors, le regard sur l’humanité se trouve profondément modifié. Si chaque homme se trouve déjà relié au Christ, le travail de missionnaires comme celui des éducateurs consistera à respecter et à suivre les voies intérieures et mystérieuses par lesquelles le Christ agit au fond de chaque âme. Leur rôle sera bien plus de conduire chacun à faire l’expérience de la présence du Christ en lui-même, de favoriser sa rencontre intérieure avec Dieu, que de lui délivrer un enseignement. Il est inutile d’insister sur l’extrême gravité de cette nouvelle doctrine qui mélange l’ordre naturel et l’ordre surnaturel et dont les conséquences pour la foi sont nombreuses et ruineuses. Elle s’oppose à la vérité révélée qui nous demande de croire au contraire que l’homme arrive en ce monde marqué par le péché originel, séparé de Dieu, et que c’est par le baptême uniquement qu’il recevra sa délivrance par le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ et deviendra le temple de Dieu.

Chers amis et bienfaiteurs, face à cette nouvelle doctrine qui continue à ruiner la religion, demeurons fermes dans la Foi - à jamais inchangeable - reçue de nos Pères. Nous ne voulons en aucune façon ce nouvel esprit du concile qui ne cesse d’éloigner davantage les catholiques de la doctrine catholique et des voies de la sanctification. Nous ne voulons pas être coiffés par le carcan de l’appareil conciliaire qui étouffe ou muselle la foi de ceux qui se le laissent imposer. C’est précisément à l’occasion des canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II que l’on se rend mieux compte du bâillonnement de ceux qui ont choisi la voie de la régularisation. Puisque le prix à payer pour la liberté de confesser la foi reste celui d’une apparente irrégularité, nous ne balançons pas un instant et nous préférons demeurer comme nous sommes pour ne pas avoir à nous taire.

« Ce que Dieu veut, c’est votre sanctification. »(15) Nous voulons, avec la grâce de Dieu, toujours entretenir ce grand désir bien vivace dans notre âme. Puisque Dieu nous veut saints, quelle joie pour nous que de vouloir la même chose que ce qu’Il veut pour nous ! Nous le voulons et nous sommes impatients de le vouloir davantage et que toutes les âmes se retrouvent unies dans ces mêmes aspirations si belles et si profondes. La vie humaine, même si elle se déroule dans ces temps de perversion et même si elle est remplie des grandes misères de chacun, vaut mille fois d’être vécue pour se sanctifier, pour glorifier Dieu et pour aller au Ciel. 

Pour vous aider à œuvrer avec courage sur ces chemins qui mènent à Dieu, je suis particulièrement heureux de vous offrir, avant de quitter le district, cette image bénite du Cœur Douloureux et Immaculé de Marie. Elle représente la très sainte Vierge Marie telle qu’elle est apparue le 13 juin 1917 aux petits bergers de Fatima. Son cœur qui est entouré d’épines se trouvait visible devant la paume de sa main droite. Les petits voyants comprirent que les épines signifiaient tous les péchés des hommes qui outragent le cœur de la très sainte Vierge Marie et qui demandent des réparations. C’est pourquoi la récitation du chapelet et nos sacrifices quotidiens sont au cœur du message de Fatima.

Ne rangez pas trop vite cette image dans une boîte d’images pieuses, ni même dans votre missel. Gardez-la toujours sous vos yeux et puisse-t-elle ne jamais vous quitter. Elle vous sera d’un merveilleux secours tout au long de vos journées pour demeurer dans un perpétuel climat de dévotion mariale et pour que croisse sans cesse en vos âmes un plus vif amour de la très sainte Vierge Marie.

Portez-la souvent à vos lèvres, dans les tentations, dans les difficultés et dans chacune de vos activités, en demandant à la sainte Vierge Marie la faveur de l’aimer chaque jour un peu plus et de vous apprendre à vivre en esprit dans son coeur dès cette terre avant d’y passer toute votre éternité. C’est elle qui a voulu nous montrer son cœur et qui a dit à Lucie : « Mon cœur immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. » Qui ne pressent, en face d’un tel signe et de tels mots, qu’il s’agit là d’une incitation décisive pour que nous vivions sur cette terre dans le cœur de notre Mère ? Nous serions insensés de ne pas y prêter attention.

Notre-Dame est fidèle à sa parole. Plus nous nous fierons à son cœur, plus nous constaterons avec reconnaissance et avec amour qu’il est bien cet unique refuge et cet unique chemin pour les hommes de notre temps et qu’il n’y en a nul autre. Nous attendons avec une grande certitude que la dévotion à ce Cœur produira les fruits de vive foi, de piété, de ferveur et de sainteté dont nous avons tant besoin. Elle nous rappellera sans cesse la grande demande faite à Fatima qui est la consécration de la Russie à son Cœur Douloureux et Immaculé. Qui ne voit déjà le poids qui serait celui de la Russie, si elle quittait son orthodoxie pour le catholicisme vrai, traditionnel, qui proclamerait alors les droits de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la sainte Eglise Catholique à la face des nations !

Ayez le désir de procurer cette image à chacun de vos enfants, à vos amis, à vos voisins, à vos connaissances et distribuez-la autant que vous le pourrez autour de vous. Vous multiplierez les bienfaits par sa diffusion massive. Au verso, elle vous rappelle exactement les conditions pour bien suivre la dévotion des cinq premiers samedis du mois. Commandez-en nous d’autres si vous le voulez. Inondez-en la terre ! Je vous bénis et j’emporte avec moi toutes les intentions de prières du district de France et de chacun d’entre vous, accumulées depuis douze années. Elles me sont trop chères pour ne jamais pouvoir les oublier. Je me recommande aussi encore une fois à vos propres prières. Donnons-nous rendez-vous, si vous le voulez bien, dans le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie qui nous est cette maison de famille où nous aurons le bonheur de nous retrouver dès cette terre et, nous l’espérons de toute notre âme, dans l’éternité bienheureuse.

Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France

Suresnes le 20 mai 2014

Extrait de la LAB n° 82 de mai 2014