18 février 2013

[Frédéric Potet - Le Monde] Polémique à Châteauroux, où les catholiques intégristes remplacent les militaires

SOURCE - Frédéric Potet - Le Monde - 18 février 2013
L'endroit ressemble davantage à ce qu'il était il y a encore sept mois - une caserne militaire - qu'à une école. Avec sa clôture barbelée, sa porte en fonte hérissée et ses panneaux "Défense de pénétrer", il invite le visiteur à se demander s'il ne s'est pas trompé d'adresse. Une statuette de la Vierge à l'entrée enlève les derniers doutes. Bienvenue sur le site de la future école St-Michel de Châteauroux. 
 
"Future" ou plutôt "probable" : l'installation de cet établissement scolaire placé sous le patronage de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (organisation catholique intégriste créée par Mgr Lefebvre) provoque des remous.

Au départ était un site géant de l'armée (500 hectares) appelé la Martinerie, victime de la récente réforme de la carte militaire. Pour un euro symbolique, la communauté d'agglomération de Châteauroux (CAC) s'est portée acquéreur auprès de l'Etat avant de se lancer dans une opération de vente à la découpe. Une parcelle accueillera une douzaine de PME locales, une autre est promise à la Fédération française de tir. Des entreprises chinoises devraient également s'y installer (Le Monde du 21 mai 2010). Restent ces 26 hectares, cédés au prix de 450 000 euros à l'école Saint-Michel de Niherne, un village de l'Indre situé à 12 km.

A l'étroit dans ses murs, cet établissement privé hors contrat cherchait depuis plusieurs années à déménager. Il accueille aujourd'hui 170 collégiens et lycéens - uniquement des garçons -, venus de toute la France. Il en recevra 250 demain dans ses nouveaux locaux. Un lycée professionnel sera ouvert, le premier du genre en France. Le lot mis en vente par la CAC comprend une quinzaine de bâtiments dont un restaurant, un gymnase, un théâtre, une piscine, une chapelle... Sa remise en état et aux normes coûtera 12 millions d'euros. Si tout se déroule comme prévu...

L'idée passe mal. D'autant plus que l'établissement a entretenu des relations régulières avec les intégristes de Civitas, organisation proche de l'extrême droite. Comme l'a révélé La Nouvelle République, Civitas a organisé trois sessions d'été à Niherne, notamment une en 2011 qui servit de répétition aux manifestations contre la pièce de théâtre Golgota Picnic à Paris.

Le directeur de l'école, l'abbé Vincent Bétin, ne nie pas : "Il y a trois ans, Civitas ne représentait rien d'autre qu'une association de personnes d'un certain âge qui faisaient de la théologie dans leur coin et organisaient des conférences sur saint Thomas d'Aquin par exemple. Ce n'est qu'à partir de cette histoire de pièce de théâtre que Civitas a pris cette dimension politique qui ne cadre pas avec la vocation de notre établissement. Civitas ne reviendra plus chez nous." Sans être organiques, les liens que la Fraternité Saint-Pie-X entretient avec Civitas n'en demeurent pas moins réels et historiques.

Mais le contenu de l'enseignement prodigué à l'école Saint- Michel suscite également bien des interrogations chez les opposants au projet, rassemblés au sein d'un collectif issu des différents partis de gauche (PS, PCF, NPA, EELV...).

A Niherne, on apprendrait ainsi que "Voltaire et Rousseau sont les responsables de la décadence philosophique, morale et politique de la France", relève le journaliste Xavier Roujas, auteur d'un documentaire sur l'école Saint-Michel où il a pu s'immerger entre 2004 et 2008. L'abbé Bétin évacue, en soulignant que ses élèves sont "sanctionnés chaque année par le bac" - comprendre qu'il serait impensable de leur enfoncer pareille idée dans le crâne. "J'enseigne ce qu'il y a de brillant chez Rousseau, mais aussi ses arguments captieux, n'en reconnaît pas moins le religieux. Quant à Voltaire, dont je ne nie pas qu'il était brillantissime, il a été dépassé par ses idées."

S'il en est un que ces débats n'émeuvent pas, c'est bien Jean-François Mayet, président de la CAC et maire (UMP) de Châteauroux. "Depuis qu'elle existe, l'école Saint-Michel n'a jamais fait parler d'elle, argumente -t-il. Elle dispense un bon enseignement, avec 100 % de réussite au bac. Ses responsables sont des gens biens, sympas, posés, raisonnables... Dans l'exercice de leur métier, ils sont parfaits." Civitas ? "Je m'en fous de Civitas ! Je ne suis pas d'extrême droite, mais gaulliste. On est dans un pays de droit et laïc. La laïcité, c'est respecter les autres."

Reste qu'un an après le vote de la CAC, la stratégie de l'école St-Michel pour lisser son image et faire passer la pilule apparaît plus clairement. Outre un lycée généraliste et une filière technique, le site devrait accueillir un centre d'hébergement pour enfants trisomiques et un foyer pour personnes âgées - deux structures liées à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Un bâtiment serait loué à une association (laïque) du département du Nord, Ensemble autrement, qui le transformera en gîtes pour personnes handicapées.

Ce partenariat "m'a servi d'alibi quand j'ai présenté le dossier au maire", avoue l'abbé Bétin. Ce dernier envisage enfin d'ouvrir les installations sportives aux associations et aux établissements scolaires des communes environnantes, notamment la piscine dont la rénovation coûterait 3 millions d'euros.

"Le but de l'école St-Michel est très clair : véhiculer ses valeurs antirépublicaines vers l'extérieur et s'acheter une image acceptable, tout ceci avec la complicité du maire de Châteauroux", s'offusque José-Manuel Félix, de la CGT-Educ'action. "Il faut savoir que beaucoup de maires de gauche ont voté en faveur du projet dans l'espoir de pouvoir utiliser la piscine", dénonce Patricia Danguy, élue écologiste de la CAC. Maire-adjointe du Poinçonnet, cette dernière a saisi la justice en dénonçant le prix de vente du terrain.

En cours d'instruction au tribunal administratif de Limoges, ce recours pourrait retarder un peu plus une acquisition qui n'en finit pas de traîner. La vente de la Martinerie par l'Etat à la CAC n'a toujours pas été officialisée en raison de retard pris dans la publication du décret. M. Mayet y voit "la main" de Michel Sapin - ex-député de l'Indre, aujourd'hui ministre du travail - afin de le déstabiliser, même s'il ne se représentera pas aux municipales de 2014.

Le rectorat, quant à lui, n'a pas encore attribué son "numéro d'établissement" au lycée technique, plusieurs "problèmes d'ordre pédagogique" ayant été notifiés par les deux inspecteurs de l'éducation nationale chargés du dossier.

Titulaire d'une autorisation temporaire d'occupation, l'école St-Michel a néanmoins tenu à investir le lieu symboliquement. Depuis la rentrée, huit élèves de seconde pro y apprennent les rudiments de la menuiserie et de l'électricité dans des ateliers... très peu chauffés, faute de crédit. Le retard pris par l'opération a gelé le financement par les banques.