22 juin 2012

[Un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X] La "Trahison" de Monseigneur Fellay ?

SOURCE - Un prêtre de la FSSPX - Si Scires Donum Dei - 22 juin 2012

Depuis que la possibilité d'une reconnaissance canonique se concrétise, nous avons tout entendu au sujet de notre Supérieur Général Monseigneur Fellay.

Depuis un laïc quelque peu hystérique parlant de la « trahison de Fellay » (oubliant même la plus simple des corrections à l'égard d'un évêque, alors que la politesse est pourtant la « fine fleur de la Charité »… ) en passant ensuite par un prêtre qui annonce à ses fidèles « Monseigneur Fellay a vendu la Fraternité » et pour finir jusqu'à un évêque l'accusant de ralliement à « l'évangile de Vatican II », on a tout entendu! J'en passe...

Monseigneur Fellay pouvait-il alors légitimement négocier avec les autorités romaines une reconnaissance canonique pour la Fraternité?

Notez d'abord que je récuse le terme « d'accord ». Ce terme sous-entend précisément qu'on se rallie en tout ou partie à la pensée de l'autre. Il est volontairement utilisé par ceux qui s'opposent de manière absolue à toute éventualité d'une reconnaissance canonique, laissant accroire par-là que le simple fait d'être reconnu canoniquement entend nécessairement un ralliement aux idées du concile. C'est de la pure dialectique, car il n'en va pas nécessairement ainsi. Nous allons le montrer.

Ceux qui ont eu la Grâce de connaître Monseigneur Lefebvre savent qu’il fut un homme d'une vertu et d'une prudence remarquable et pour vous en convaincre, je vous renvoie à ce bel éditorial, de la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs de mai 2011, de M. l'abbé de Cacqueray que vous trouverez ici.

Or on voit que Monseigneur Lefebvre a toujours voulu répondre à la moindre sollicitation des autorités romaines, et Dieu sait d'ailleurs combien certain le lui ont reproché. Pour s'en convaincre, il suffit de réécouter les nombreuses conférences spirituelles qu'il a données aux séminaristes à Ecône. Il y revient souvent.

Voici ce qu'il disait en janvier 1979 :

« Chers amis, avant de poursuivre les quelques explications et discussions que j'ai pu avoir là-bas à Rome, je voudrais quand même préciser le pourquoi de ces démarches. Je sais qu'il y en a quelques-uns parmi vous qui ne comprennent pas bien et qui même ne comprennent pas du tout. Je le regrette parce que je le dis franchement, je crois que c'est une tendance au schisme. Ceux qui croient qu'on peut ne plus avoir de contact du tout ni avec Rome, ni avec les évêques, ni avec tout ce qui se fait dans l’Église ont une tendance schismatique. Or moi je ne veux pas entrer dans le schisme. Je veux rester dans l’Église. Et s'il y a dans l’Église des difficultés, s'il y a des dangers, s'il y a des épreuves, s'il y a des douleurs dans l’Église, ce n'est pas une raison pour dire « moi, je m'en vais, je pars, je quitte, ils feront tout ce qu'ils voudront, je ne suis plus de cette bande-là, je m’en vais ! » C'est une position schismatique ! Vers quelle église vont-ils ? Où ? Chez qui ? Chez quoi ? Plus rien, plus d'autorité, plus rien, plus rien ! Ce n'est pas parce qu'il y a des malades autour de vous ce n'est pas parce qu'il y a des malades dans l’Église, ce n'est pas parce qu'une autorité est malade qu'on doit dire : « cette autorité n'existe plus ! ». Quand bien même elle est malade, il faut essayer de lui montrer où est le remède, puis essayer de lui faire du bien ! »

Voici aussi ce qu'il disait dans une conférence à Angers en novembre 1980 :

« Nous demandons simplement, peut-être, de ne pas trop discuter les problèmes théoriques, de laisser les questions qui nous divisent, comme celle de la liberté religieuse. On n'est pas obligé de résoudre tous ces problèmes maintenant, le temps apportera sa clarté, sa solution. Mais dans la pratique, comme je l'ai dit maintes fois, qu'on nous laisse faire l'expérience de la Tradition ! On peut me dire « Mais vous pouvez le faire! »

Oui, mais imaginez qui, si le pape lui-même disait « Mais laissez-les tranquilles! ». S'il disait aux évêques un tout petit mot : « Laissez-les faire! Ils ne font rien de mal, ils font ce que nous avons fait nous-même pendant la moitié, les deux tiers de notre vie... Laissez les faire, on verra bien ce qui va arriver. » C'est la seule chose que nous lui demandons!

A ce moment-là, je suis persuadé que la vérité retrouverait ses droits, que la Tradition reprendrait ses droits et que l'Église retrouverait une nouvelle jeunesse! »

Comme vous le voyez, ces deux passages suffisent pour nous faire comprendre l'esprit romain et missionnaire qui animait Monseigneur Lefebvre dans la perspective de ces discussions avec les autorités. Cet esprit qui est bien celui de la Fraternité.

En 1988, il répondait encore aux appels romains. Pourtant, nous étions après Assise ! Il acceptait même de signer un texte (discuté entre les autorités romaines et des représentants de la Fraternité parmi lesquels M. l'abbé Tissier de Mallerais). Certes, il a vite repris sa signature, en raison des circonstances qui lui ont clairement montré la réelle volonté romaine, mais cette signature montre cependant qu'il était disposé à le faire. Une fois sa signature donnée, les autorités romaines se sont dévoilées et la grande prudence de Monseigneur l'a conduit à mettre fin aux discussions et à sacrer quatre évêques. Monseigneur Fellay n'est donc en rien infidèle à Monseigneur Lefebvre et à la Fraternité en acceptant de telles discussions. Pourquoi serait-il plus royaliste que le roi ?

Peut-on présumer que Monseigneur Fellay, à l'occasion de ces discussions, avait décidé de transiger dans le domaine de la doctrine, de se rallier à « l'évangile de Vatican II »?

Les premiers contacts avec Rome, qui ont amené à l’actuelle situation, ont commencé en 2000, suite au pèlerinage du Jubilé à Rome. C'est Rome, en la personne du cardinal Hoyos, qui en a pris l'initiative. En 2002, ce même cardinal Hoyos adressait à Monseigneur Fellay une longue lettre où il fait un point complet de la situation. Concernant la position de Monseigneur Fellay, voici ce qu'il dit :

« Position de Son Excellence Mgr Fellay » : (d’après le cardinal Hoyos !)

Il manifeste sa volonté d'être pleinement catholique.

Il reconnaît Sa Sainteté Jean Paul II comme Successeur de Pierre et il veut se soumettre à Son autorité. Il a fait faire aux séminaristes la promesse de prier pour le Saint-Père et de citer le nom de Sa Sainteté Jean Paul II dans le Canon de la Messe. Il accepte le Concile Vatican II tout en rappelant des difficultés sur quelques points.

(NDLR : Pour ceux qui se scandaliseraient de cette formule un peu lapidaire, il faut rappeler :
1° l'auteur du texte est une autorité romaine qui cherche sans doute à minimiser les difficultés dans ce domaine
2° On ne rejette pas et on n'a jamais rejeté le concile dans son intégralité. Monseigneur Lefebvre a plusieurs fois expliqué les distinctions qu'il fallait faire selon les textes du concile. Ces explications sont clairement reprise dans le « Catéchisme de la Crise de l'Eglise » de l'abbé Gaudron, édité par les Editions du Sel.)
« Principales difficultés » :

- En revenant à la pleine communion il n'entend pas renoncer à la lutte contre le modernisme dans l'Eglise, la libéralisation, le démocraticisme et l'influence de la franc-maçonnerie;
- l'expérience du passé l'empêche d'être confiant, et lui fait craindre que la Fraternité soit malmenée et abandonnée, en perdant par conséquent son charisme de défense de la Tradition;
- Il considère que la Messe de Paul VI présente des silences qui ouvrent la voie à la protestantisation (les célébrants laïcs), et qui ne soulignent pas la dimension sacrificielle de la Messe;
- concernant le Sacrement de la Confirmation il considère (mais ce serait à étudier) que l'huile d'olive est une matière ad validitatem; en cas de doute, envers quelques candidats, ils procèdent à une nouvelle administration sub conditione; il considère en outre que certaines traductions de la formule ne sont pas exactes théologiquement;
- Il croit que le Droit canonique ouvre le chemin à une conception démocraticiste de la collégialité (les Conférences Episcopales), qui présenterait la collégialité au détriment de la primauté pétrinienne;
- Il considère que le texte conciliaire sur la liberté religieuse se prête à des interprétations relativistes et tendant au protestantisme;
- Il considère qu'il n' y a qu'une forme d'œcuménisme qui fait perdre l'idée de l'unique Eglise, avec le danger d'une mentalité protestante (S.Ex. Mgr Kasper parle d'abandon de l'œcuménisme "de retour", pour un œcuménisme "de chemin commun", qui oriente les chrétiens vers l'unité réconciliée). »

Cette lettre montre à l'évidence que Monseigneur Fellay n'a jamais cherché à diminuer ou à cacher quoi que ce soit dans nos positions.

D'autre part, il a toujours cherché à expliquer dans quelle perspective il envisageait cette reconnaissance canonique. En février 2012, c'est une conférence de plus de quatre heures et demie qu'il faisait aux prêtres présents à la session d'étude à Flavigny. Assistaient notamment à cette conférence tous les doyens, prieurs et directeurs d'école du District de France. Si certaines choses ont cependant dû rester confidentielles dans les discussions, on ne peut pas dire que ce soit par une volonté de cacher ce qui se passait. Les nombreuses fuites de secrets commises depuis des années ont montré à quel point il fallait rester discret sur le fond des échanges.

Mais suspecter notre Supérieur Général d'une volonté de tromper les membres de la Fraternité et les fidèles pour réaliser un ralliement est une grave offense à son égard.

Je ne ferais que reprendre ce que le Supérieur du District de France écrivait voici quelques années à son sujet: « au-travers de bien des vicissitudes (...), Monseigneur Fellay a fait paître le petit troupeau dont il avait la charge. Il a été jusqu’ici l’instrument dont, de nos jours, Dieu s’est servi pour continuer ce « miracle permanent » qu’est la survie de la Tradition catholique. Comment ne pas continuer à faire confiance pour défendre l’avenir de cette même Tradition à celui que la Providence me paraît avoir évidemment choisi ? Cette vocation m’apparaît en effet comme manifeste depuis le jour où, peu de temps avant sa mort, Monseigneur Lefebvre conféra l’épiscopat à l’abbé Fellay que son jeune âge devait normalement écarter à ce moment de cette dignité. »

Nous pouvons donc conclure de ce qui précède qu'il est parfaitement légitime pour le Supérieur Général de poursuivre des discussions avec les autorités romaines et qu'en faisant cela, il n'a jamais eu l'intention d'abandonner le combat ou de baisser la garde. Quelle légitimité y a-t-il à contester son action ?

C'est là où il importe de sortir de cette dialectique dans laquelle certains veulent enfermer le débat : « accordistes » contre « anti-accordistes ». Le terme même d'accordiste laisse entendre que ce camp est pour un accord à tout prix. Et que donc on est prêt à faire des concessions dans le domaine de la foi. Cela, je le récuse formellement ! Je ne connais personne qui soit pour un tel accord. Ceux qui l'étaient ont depuis longtemps rejoint les instituts ralliés. La seule volonté de ceux que l'on nomme avec un certain mépris "accordistes" est de suivre le Supérieur Général dans la nouvelle forme de combat qu'apportera nécessairement une reconnaissance canonique de la Fraternité (Voir ici). S'il y avait le moindre doute fondé de la volonté du Supérieur Général de nous tromper dans ce domaine, nous serions les premiers à nous y opposer.

Les opposants à une reconnaissance canonique (les « anti-accordistes ») ont nécessairement besoin de rentrer dans cette dialectique pour justifier leur contestation. Seule une question de foi pourrait en effet la justifier. Mais je les mets au défi de donner des éléments probants à cette soi-disant « trahison », autre qu'une simple lettre aux Oblats de Bellaigues, mal interprétée !

Mais parmi ceux-là, il y a des évêques, c'est l'Église Enseignante, me direz-vous, ce n'est pas rien ! Il est vrai que le titre d'évêque qui est le leur donne du poid à leur parole. Mais peut-être -avec tout le respect que je leur dois – ne faut-il pas exagérer celui-ci. Pour le comprendre, il suffit d'en revenir à la lettre que leur adressait Monseigneur Lefebvre avant leur sacre.

Dans cette lettre, il leur dit clairement à quel titre il va les sacrer (c'es nous qui soulignons) : « Le but principal de cette transmission est de conférer la grâce de l'ordre sacerdotal pour la continuation du vrai Sacrifice de la Sainte Messe et pour conférer la grâce du sacrement de confirmation aux enfants et aux fidèles qui vous la demandent. »

Ensuite, il ajoutait ces graves avertissements : « Je vous conjure de demeurer attachés au Siège de Pierre, à l'Église romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises, dans la foi catholique intégrale, exprimée dans les Symboles de la foi, dans le catéchisme du Concile de Trente, conformément à ce qui vous a été enseigné dans votre séminaire. Demeurez fidèles dans la transmission de cette foi pour que le Règne de Notre-Seigneur arrive.

Enfin, je vous conjure de demeurer attachés à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, de demeurer profondément unis entre vous, soumis à son Supérieur Général, dans la foi catholique de toujours (...) »
Encore une fois avec tout le respect que je leur dois, puis-je leur rappeler qu'ils n'ont pas les grâces d'état, en la matière, pour discuter d'égal à égal avec leur Supérieur Général ? Que seul le Supérieur Général, parce qu'il est à la tête de la Fraternité Saint-Pie X, peut prétendre à avoir toute la prudence nécessaire pour juger, dans la conduite de la Fraternité Saint-Pie X. Qu'au demeurant, on peut légitimement douter de la réelle prudence de l'un d'entre eux quand on se rappelle les conséquences de ses prises de positions dans un domaine historique pourtant bien éloigné des questions de foi.

Pour tous enfin, prêtres, fidèles, faut-il leur rappeler ce que Monseigneur Lefebvre disait en parlant de ceux qu'il nommait les « francs-tireurs » : « facilement, ceux qui sont en première ligne deviendront des francs-tireurs, croiront avoir une mission particulière. Mais il est dangereux de se constituer en francs-tireurs. On peut non seulement ne pas accomplir la volonté de Dieu, ne pas accomplir la volonté de nos supérieurs, mais on peut aussi détruire involontairement, sans doute, l'œuvre que le Bon Dieu nous demande d’accomplir. (...) C’est pourquoi j’insiste aujourd’hui, particulièrement, sur cette unité entre nous. Sans doute, est-il plus facile pour des familles religieuses, qui sont des familles monacales, qui forment des monastères, il est plus facile pour elles de maintenir cette unité. Pour nous qui sommes très dispersés par la nature même de notre fraternité sacerdotale, l’unité peut paraître quelques fois plus difficile. Eh bien, si elle est plus difficile, justement, elle demande que nous ayons des liens plus forts, plus solides, plus résolus, afin de demeurer unis les uns aux autres et de travailler au règne de Notre Seigneur Jésus Christ dans cette famille religieuse qui est, encore une fois, unie à l’Église de toujours et unie à l’Église d’aujourd’hui, et même unie, je dirais, à ses chefs qui, s’ils sont influencés par les idées modernes auxquelles nous ne pouvons pas adhérer, s’ils sont influencés par des idées de ce droit nouveau comme le disait Léon XIII, droit qui a été condamné par Léon XIII et par tous ses prédécesseurs, en ce sens nous ne nous sentons pas parfaitement en communion de pensée avec ceux avec lesquels nous devrions être en pleine communion de pensée, eh bien cela – peu importe – cela ne rompt pas cependant cette unité car, à travers leur personne qui devrait être parfaitement soumise à la Tradition, parfaitement soumise à ce que leurs prédécesseurs ont enseigné, eh bien, nous sommes réunis par eux quand même à cette apostolicité qui descend à travers tous les souverains pontifes jusqu’au pontife régnant aujourd’hui. »

Un prêtre de la Fraternité Saint Pie X

Note : pourquoi garder l'anonymat ? Il y a pour cela deux raisons essentielles. Tout d'abord parce que lorsqu'on est amené à se lancer dans un débat quelque peu polémique, il y a malheureusement des gens qui, lorsqu'ils sont à court d'argument, se lancent dans des attaques bassement personnelles pour essayer de discréditer le discours de l'adversaire (on l'a vu récemment avec M. l'abbé Simoulin que ses détracteurs n'ont pas hésité à qualifier de "fatigué" quand ils ne sont pas allés jusqu'à laisser entendre chez lui une sénilité commençante!"). L'anonymat permet donc de s'en tenir uniquement au débat des idées.

Le deuxième motif tient dans le fait que dans ce que l'on fait présentement, l'on ne se cache pas pour faire quelque chose d'immoral et de honteux, bien au contraire. Il est de l'ordre normal des choses de défendre sa hiérarchie lorsqu'elle est gravement attaquée mais tout le monde comprendra qu'il peut vite devenir embarrassant de le faire sans rester dans l'ombre. Si certains ont un goût particulier à se retrouver sous le feu des projecteurs, ce n'est pas forcément le cas de tous! Là encore, il faudrait sortir d'une vaine dialectique qui voudrait mettre sur un même plan ou renvoyer dos à dos ceux qui critiquent l'autorité et ceux qui la défendent. C'est, analogiquement, la même erreur que les états qui mettent sur un même plan la Vraie et les fausses religions, comme on ne peut pas non plus mettre sur un même plan d'égalité la Vérité et l'erreur, le Bien et le mal.