12 juin 2012

[Un prêtre catholique - Lupin] Mgr Lefebvre et les accords pratiques

Texte écrit par un prêtre catholique sous le pseudo d'Arsène Lupin - 12 juin 2012

Certaines personnes, favorables aux accords de la Fraternité Saint-Pie X avec le Saint-Siège, se réclament de l’autorité de Mgr Lefebvre pour justifier un accord pratique (et doctrinal?) avec Rome. Cette utilisation des propos et de l’autorité morale de Mgr Lefebvre suscite les observations qui suivent: 
 
1. Se réclamer de Mgr Lefebvre pour passer des accords alors que sa mémoire n’a pas été réhabilitée témoigne plutôt d’une récupération que d’une fidélité;
 
2. S’appuyer sur Mgr Lefebvre, tout saint et sagace qu’il fût, reste un argument d’autorité qui ne dispense pas de réfléchir avec prudence selon les circonstances d'aujourd'hui.
 
3. Le citer honnêtement exige de le faire avec ses textes et interventions produits après 1988 et pas seulement avant 1988. L’honnêteté réclame de privilégier les citations ultimes qui témoignent de l’évolution de sa pensée. Autrement, on pourrait exhumer les propos de Mgr Lefebvre du début des années 1970 autorisant les séminaristes à assister à la nouvelle messe selon certaines conditions, et dire que Mgr Lefebvre ne s’opposait pas en principe à la nouvelle messe…;
 
4. Et donc pourquoi s’appuyer sur son témoignage lorsqu’on s’éloigne de ses dernières recommandations en manière de relations romaines? (Cf. Fideliter 66, 68, 70, 71)
 
5. Pourquoi citer Mgr Lefebvre en s’appuyant sur ses dires, et affirmer dans le même temps à ceux qui le citent en défaveur d’un accord pratique, que les circonstances actuelles ne sont pas comparables à 1988 et que les propos de Mgr Lefebvre ne s’appliquent pas à la situation actuelle?
 
6. Les variations de pensée de Mgr Lefebvre manifestent que, jusqu’en 1988, il n’était pas opposé en principe à un accord purement pratique, tandis que les propos postérieurs à 1988 manifestent que Mgr Lefebvre ne voyait plus d’accord pratique possible que lorsque le problème doctrinal serait résolu. Aujourd'hui, non seulement, on ne relève pas ce changement, mais on ne cherche pas à l’expliquer. Et pour cause, puisque Mgr Lefebvre place comme condition à la reprise de discussions pratiques un accord doctrinal;
 
7. On dit que Mgr Lefebvre aurait signé en 1988 si on lui avait accordé un évêque et les membres les plus importants de la Commission romaine. En 2001, on a accordé la première condition à Campos. Cette condition s’est révélée insuffisante. Or, aujourd’hui, on s’apprête à accepter un accord pratique en se contentant d’évêques déjà sacrés et sans Commission romaine. Les deux conditions posées par Mgr Lefebvre ne semblent donc pas remplies et l’évolution de Campos a manifesté que l’une des deux conditions (avoir au moins un évêque) était nettement insuffisante;

8. Après 1988, et déjà du vivant de Mgr Lefebvre, on a soigneusement caché que Mgr Lefebvre avait, semble-t-il, avalisé le principe du nouveau code de droit canonique dans le protocole d’accord. Pourquoi l’avoir caché si cette concession correspondait mal aux autres jugements de Mgr Lefebvre sur ce même code et à l'attitude prudentielle adoptée par la FSSPX sur ce sujet? 23 ans après, on argue de cet accord pour l’avaliser. N’est-ce pas contradictoire?

9. En 1988, on a reproché à la FSSP de reprendre le protocole d’accord de Mgr Lefebvre et aujourd’hui on veut le reprendre partiellement en disant qu’il fut signé de Mgr Lefebvre. N’est-ce pas contradictoire? Qu’est-ce qui nous distingue aujourd’hui de la FSSP?

 
10. On s’appuie sur la signature de Mgr Lefebvre pour affirmer que le protocole d’accord était acceptable doctrinalement et qu’il est donc possible de s’appuyer dessus pour un accord doctrinal et pratique. Même si rien n'était doctrinalement à revoir dans le protocole d’accord, cela ne signifie pas qu’il soit une base suffisante pour un accord pratique. La reprise de la signature par Mgr Lefebvre témoigne justement qu’il estimait ce protocole d’accord insuffisant pour un accord pratique en 1988. Il est pour le moins étrange de repartir comme point de départ sur ce qui fut explicitement rejeté par Mgr Lefebvre. Mais on comprend que Benoît XVI reprenne en 2012 les mêmes exigences qui avaient été celles du Cardinal Ratzinger vis-à-vis de Mgr Lefebvre, en mai 1988: la pleine acceptation de Vatican II et du magistère qui a suivi le Concile. Cf. le document publié dans le livre Sa Sainteté, les papiers secrets de Benoît XVI, de Gianluigi Nuzzi, Editions Chiarelettere, mai 2012, p.207-208: [la phrase] « le Saint Père n'a pas l'intention de faire l'impasse sur une condition qui est indispensable » est effacée par Benoît XVI et remplacée par: « la pleine reconnaissance du Concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier et II et Benoît XVI lui-même est une condition indispensable ».
 
11. Benoît XVI lui-même, alors qu’il était le cardinal Ratzinger, reconnaissait que les accords de mai 1988 avaient échoué pour des raisons doctrinales:
« Le fait que Mgr Lefebvre ait dénoncé à la fin l'accord signé montre bien que le Saint-Siège, malgré les concessions vraiment larges qu'il a faites, ne lui a pas accordé la licence globale qu'il désirait. Dans la partie fondamentale des accords, Mgr Lefebvre avait reconnu qu'il devait accepter Vatican II et les affirmations du magistère postconciliaire, admettant l'autorité propre de chaque document. (…)
L'explication que Mgr Lefebvre a donnée de sa rétractation de l'accord est révélatrice. Il a déclaré qu'il comprenait maintenant que l'accord signé voulait simplement intégrer sa fondation dans l'"Eglise du Concile" 1. L'Eglise Catholique en communion avec le Pape est, pour lui, l'"Eglise du Concile", qui s'est détachée de son passé propre
» (conférence au Chili, été 1988). 

 
12. Pourquoi s’appuyer sur le protocole d’accord de 1988 au nom de Mgr Lefebvre alors que Mgr Lefebvre a lui-même reconnu être allé trop loin:
« Nos vrais fidèles, ceux qui ont compris le problème et qui nous ont justement aidés à poursuivre la ligne droite et ferme de la Tradition et de la foi, craignaient les démarches que j’ai faites à Rome. Ils m’ont dit que c’était dangereux et que je perdais mon temps. Oui, bien sûr, j’ai espéré jusqu’à la dernière minute qu’à Rome on témoignerait d’un petit peu de loyauté. On ne peut pas me reprocher de ne pas avoir fait le maximum. Aussi maintenant, à ceux qui viennent me dire: il faut vous entendre avec Rome, je crois pouvoir dire que je suis allé plus loin même que j’aurais dû aller ». (Fideliter n° 79, p. 11).

Arsène Lupin, prêtre catholique, lequel vous écrira de nouveau la semaine prochaine… 
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1 N’en déplaise à M. l’abbé Simoulin, selon le cardinal Ratzinger, Mgr Lefebvre n’a pas refusé l’accord en raison d’un problème de calendrier dans l’obtention d’un évêque mais pour une raison doctrinale…