22 mai 2012

[Paix Liturgique] Sèvres, l'exemple ordinaire d'un déni de la forme extraordinaire

SOURCE - Paix Liturgique n°336 - 22 mai 2012

Dans notre Lettre 333, nous avons présenté la situation de la demande à Notre-Dame de Versailles où 600 fidèles demeurent privés de Motu Proprio. Cette étude de cas venait illustrer la question du « fichage » des demandeurs sur laquelle nous nous étions penchés dans nos lettres 327 et 330 pour en dénoncer le caractère illégal, injuste, inutile et malhonnête. Cette semaine, dans le même esprit, nous nous arrêtons sur l'histoire de la demande de célébration de messe selon la forme extraordinaire du rite romain entreprise à Sèvres, dans le diocèse de Nanterre, et demeurée insatisfaite encore aujourd'hui. Pourtant, en 2007, près de 75 fidèles représentant plus de 50 familles (soit plus de 250 âmes) avaient participé à une réunion organisée par le curé pour envisager l'application du Motu Proprio dans la paroisse.

Mieux qu'une liste typographiée, le curé avait ce jour-là devant lui la preuve vivante de l'existence d'un groupe de fidèles demandeurs existant au sein de sa paroisse. Un groupe d'autant plus stable qu'il était composé de familles intégrées souvent depuis longtemps – Sèvres est plus un village qu'une commune de banlieue de Paris – à la vie de la paroisse. Pourtant, rien n'a suivi. Un exemple de plus pour conclure que l'exigence du comptage et de l'identification des demandeurs n'est généralement qu'un prétexte pour ne pas exaucer la volonté du Saint-Père et ne pas satisfaire le désir des fidèles...

I – HISTORIQUE D’UNE DEMANDE ENLISÉE

1) Un excellent départ

Dès la publication du Motu Proprio Summorum Pontificum, la question de son application à Sèvres fut accueillie avec bienveillance par le curé de Saint-Romain, l'abbé Philippe Blin. Au point d'organiser, à la demande d'un groupe de fidèles, une réunion autour du texte de Benoît XVI et de ses conséquences paroissiales le 29 septembre 2007.

Comme l'indiquait les Nouvelles des Amis de Sainte-Marie des Fontenelles et de Notre-Dame des Airs dans leur bulletin 31, s'était établi ce jour-là : “ Un vrai dialogue dans la charité à Sèvres ”.

Voici le compte rendu que nous livrait ce bulletin.

“ Ce ne sont pas moins de 75 personnes qui ont répondu à l’invitation du Père Blin et qui ont échangé autour de la question de l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum cura dans la zone de Sèvres. ”

“ Après avoir rappelé les grandes lignes de ce texte du Saint-Père et posé le cadre général des débats, le Père a invité chacun à s’exprimer sur le sujet. ”

“ Quelques personnes ont d’abord exprimé leurs interrogations quant à l’opportunité d’une telle célébration à Sèvres. Le Père Blin a utilement insisté sur la liberté que procure ce texte en rappelant que le Pape ne disait pas de « faire tout blanc ou tout noir ». Plusieurs personnes, essentiellement des jeunes pères et mères de familles habitant Sèvres, ont expliqué qu’en dépit de célébrations de messes selon la forme extraordinaire en région parisienne, notamment à Saint-Cloud, il leur était matériellement impossible, avec de jeunes et nombreux enfants, de s’y rendre de manière habituelle. Ces familles ont insisté sur le fait qu’elles ne pouvaient actuellement pas, dans les faits, assister à la liturgie à laquelle elles souhaiteraient assister et que si une célébration de la liturgie dans sa forme extraordinaire voyait le jour à Sèvres, elles y participeraient systématiquement et s’y investiraient. Il a d’ailleurs été rappelé que le Pape faisait de la paroisse le cadre normal de la célébration de la liturgie (dans sa forme ordinaire ou extraordinaire) et que l’existence de lieux de cultes traditionnels voisins était en quelque sorte hors sujet avec l’application ou non à Sèvres du Motu Proprio dès lors que de nombreuses personnes étaient localement demandeuses. ”

“ Le Père Blin ayant expliqué qu’il n’était pas possible de proposer des célébrations de la liturgie dans sa forme extraordinaire dans toutes les paroisses du diocèse – ce dont tout le monde a convenu –, il est apparu évident à tous que des « grands secteurs » se dessinaient naturellement dans le diocèse. Ainsi, si une messe traditionnelle était célébrée à Sèvres, des familles de Ville d'Avray, de Garches ou de Boulogne y participeraient assurément, à défaut de pouvoir bénéficier d’une telle célébration dans leurs propres paroisses. ”

“ Il fut également question d’un point tout à fait central dans le texte du Saint-Père qui consiste à rappeler qu’il n’y a qu’un seul rit romain sous deux formes. Dès lors qu’il s’agit du même rit, un jeune père de famille a proposé de réfléchir à une solution consistant à ce qu’une des cinq messes dominicales célébrées à Saint-Romain le soit dans sa forme extraordinaire. Cette solution aurait notamment l’avantage de ne pas surcharger un peu plus nos prêtres déjà bien occupés et de manifester d’une manière bien concrète cette unicité du rit rappelée par le Saint-Père. ”

“ Un autre jeune père de famille a proposé qu’une célébration mensuelle de la forme extraordinaire du rit romain soit mise en place dans un premier temps, à titre d’essai. ”

“ Le Père Blin a remercié l’assemblée – et l’assemblée a remercié le Père Blin d’avoir organisé cette réunion – et a bien expliqué qu’il ne s’agissait pas de prendre une décision dans l’immédiat (le Père Blin ayant notamment dit qu’il ne savait pas célébrer cette liturgie) mais de se rendre compte de la demande et des suites à y apporter. La réunion s’est terminée par un temps de prière. ”

Que s'est-il passé depuis ?

2) Une suite prometteuse

Commençons par rendre une nouvelle fois hommage au Père Blin qui a organisé cette réunion de concertation et d'information avec bienveillance, et ce, dès le mois de septembre 2007. Si tous les curés avaient agi avec autant de bon sens pastoral et de fidélité au Pape, nul doute que la proportion de catholiques n'ayant jamais entendu parler du Motu Proprio (cf. sondages Paix liturgique) serait moins importante et que nous n'en serions pas, dans nos diocèses de France, à appliquer timidement le Motu Proprio Ecclesia Dei de 1988 pour éviter d'avoir à appliquer celui de Benoit XVI.

Une telle réunion ne pouvait que donner de bons fruits. Ainsi, tout au long de 2008 et début 2009, les rencontres et les discussions individuelles entre les demandeurs de l'application du Motu Proprio et l'abbé Blin continuèrent-elles. Si bien que, le 1er juillet 2009, le coordinateur de la demande, ancien enfant de chœur de la paroisse, pouvait nous écrire les lignes suivantes :

“ Après de longs mois de rencontres, nous sommes parvenus à obtenir qu'une messe soit dite le samedi matin, non en remplacement de la messe dominicale que nous continuons de demander, mais pour permettre dans l'immédiat aux prêtres de la paroisse d'apprendre à célébrer la liturgie traditionnelle. C'est donc bien en vue d'une messe dominicale que nous avons accepté cette messe du samedi. ”

“ La première messe sera dite le samedi 28 novembre 2009, et tous les samedis qui suivront. Les horaires ne sont pas encore fixés, puisque nous attendons une réunion du groupe stable qui porterait justement sur le choix d'un horaire. Nous avons également demandé le retour pour cette liturgie aux soutanelles et aux surplis, ce qui a été accepté ; une chorale est en train de se monter également. "

Bref, les bonnes et patientes relations entretenues avec le curé aboutissaient. Une dame avait offert à l'abbé Blin un DVD pour qu'il se familiarise avec la messe traditionnelle et, d'un point de vue pratique, tout se mettait en place.

3) Mais une promesse, à la fin, non tenue

Seulement, le 28 novembre 2009, la messe n'eut pas lieu. Et la forme extraordinaire est restée à la porte de Saint-Romain. Pour deux raisons convergentes :

- la première, c'est que le coordinateur de la demande a pris le chemin de Wigratzbad pour rentrer au séminaire de la Fraternité Saint-Pierre ; une grande et belle nouvelle mais qui a eu pour effet de laisser la demande orpheline de son principal animateur ;

- la seconde, c'est que l'abbé Blin a dû être hospitalisé et n'a donc pas eu le loisir d'apprendre à célébrer la forme extraordinaire.

Joint par nos soins, l'abbé Blin nous a précisé en outre que, alors qu'il y avait trois prêtres pour desservir la paroisse à sa nomination en 2006, ils se sont retrouvés assez vite à deux dont un en retraite. Une retraite active mais une retraite quand même. Du coup, faute de temps et ne ressentant pas l'urgence de la demande, il reconnaît avoir laissé la situation en suspens.

Cependant, il s'efforce d'introduire peu à peu les réformes de Benoît XVI dans la liturgie paroissiale (cinq messes sont célébrées le dimanche dans la paroisse, dont quatre à Saint-Romain, église dont la fondation remonterait à saint Dagobert) : l'arrangement de l'autel est celui de Saint-Pierre de Rome (six chandeliers et crucifix central), le service de l'autel est réservé aux garçons, le canon romain est principalement utilisé et, désormais, quatre fois par an, une messe en forme ordinaire en grégorien est chantée par la schola de la paroisse comme cela vient d'être le cas pour l'Ascension.

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Manque de temps ? D'une certaine façon, l'histoire de la demande de Sèvres, c'est celle de demandeurs trop " gentils " (alors qu'il est systématiquement reproché aux demandeurs ne n'être que des perturbateurs de leurs paroisses...) – rappelons que les demandeurs de messe selon la forme extraordinaire ne font que solliciter l’application d’un droit strict reconnu désormais par la loi de l’Église – et celle d'un jeune curé débordé. Toutefois, justifier le gel de l'application du Motu Proprio – ou plus exactement le gel du commencement de la préparation de cette application par une messe de semaine – par la défection du demandeur le plus dynamique et le manque de temps, c'est faire passer les contingences terrestres avant “ le bien des âmes ” dont parle le Pape à l'article 9 du Motu Proprio...

Les demandeurs de la forme extraordinaire du rite romain sont souvent confrontés à cet argument du manque de temps des curés. Un manque de temps pour la “ cura animarum ”. Que dirait-on d’un médecin qui dirait n’avoir pas le temps de soigner les malades de telle ou telle catégorie ? Qu’il n’a peut-être pas choisi le métier lui convenant… Nous ne saurions trop inviter ceux que le Seigneur a appelé à être médecins de (toutes) les âmes à méditer ces deux invitations faites par le Pape dans sa lettre aux évêques du monde entier accompagnant la promulgation du Motu Proprio : “ Ouvrons généreusement notre cœur ” et “ Votre charité et votre prudence pastorale serviront de stimulant et de guide pour perfectionner les choses. ”

D’ailleurs, l'argument du manque de temps avait déjà été abordé lors de la réunion du 29 septembre 2007. S’agissant de deux formes d’un même rite, on ne voit pas pourquoi une des cinq messes dominicales ne pourrait pas être célébrée selon la forme extraordinaire. Sans changer le nombre de messes : une messe sur cinq seulement. D’autant qu'à Sèvres la plupart des demandeurs qui se sont manifestés lors de la réunion de septembre 2007, sont des fidèles qui, souvent, pratiquent déjà la forme ordinaire au sein de la paroisse.

Refuser de se poser la question dans ces termes – le passage d'une des célébrations dans la forme ordinaire de la paroisse en célébration dans la forme extraordinaire –, tout en refusant simultanément l'aide des communautés Ecclesia Dei (ce qui n'est pas forcément le cas à Sèvres), c'est bien ne pas avoir envie de favoriser l'application du texte de Benoît XVI.

2) Une Lettre de Paix liturgique sur une paroisse du diocèse de Nanterre qui ne mentionnerait pas le rôle de Mgr Daucourt ne serait pas très crédible. N'oublions pas que c'est du mépris et du refus catégorique de dialoguer de Mgr Daucourt qu'est née notre action, initialement connue sous le nom de Paix liturgique 92. Depuis, les eaux ont bien coulé dans les boucles de la Seine et Mgr Daucourt a fini par accueillir, en 2005, une première célébration, puis, en 2008, un évêque auxiliaire notamment chargé des relations avec les fidèles traditionnels, Mgr Brouwet, ancien curé de... Sèvres ! Le nouvel évêque de Tarbes et Lourdes est en effet le prédécesseur direct de l'abbé Blin à Saint-Romain.

Aujourd'hui, trois messes dominicales paroissiales hebdomadaires sont célébrées dans le diocèse de Nanterre selon le Missel du Bienheureux Jean XXIII (Le Plessis-Robinson, Saint-Cloud et La Garenne-Colombes), ce qui en fait le diocèse le plus Summorum Pontificum de la région parisienne. Trop ou en tout cas bien assez pour Mgr Daucourt ? C'est l'avis de plusieurs paroissiens de Saint-Romain qui nous ont confié que l'abbé Blin avait été tancé par son évêque, ce que le jeune curé, dont c'est la première affectation, aurait pris pour une incitation à la prudence, en l'occurrence à l'immobilisme. Dans un courrier à l'une des paroissiennes de Sèvres, l'évêque jugeait d'ailleurs que c'était " une toute petite affaire " au regard des défis du diocèse (sic !).

Ce nouvel exemple pose une fois encore la question cruciale de la nomination d'évêques Summorum Pontificum. On a vu tout le bien que la nomination d'un simple évêque auxiliaire, en la personne de Mgr Brouwet, a pu faire au diocèse après des années de ségrégation liturgique. À l'inverse, on a pu constater par le passé le frein à l'application du Motu Proprio que représente un évêque hostile au texte de Benoît XVI. Et on s'interroge aujourd'hui sur son attitude... C’est une banalité de le dire : il faut des hommes pour appliquer les textes. C’est plus vrai dans l’Église que partout, et plus vrai encore dans l’Église idéologisée du post-concile que jamais. Au minimum faut-il des évêques qui n’interdisent pas à leur curé d’appliquer les lois de l’Église.

3) Et puis, il faut aussi dire ceci : le droit reconnu par le Motu Proprio fait dépendre son application – c’est une singularité, mais c’est ainsi – de l'expression d'une demande. Il suffit, théoriquement, de demander, mais encore faut-il demander, encore faut-il savoir demander, encore faut-il oser demander.... Or le fait qu’à Sèvres personne n'ait repris la charge écrasante de coordination et de représentation qu'accomplissait le jeune homme ayant rejoint les rangs de la Fraternité Saint-Pierre a évidemment joué dans le gel de la situation. Cela démontre une nouvelle fois, si besoin était, que si les demandeurs potentiels de la messe en forme extraordinaire sont très nombreux, les demandeurs actifs et héroïques sont naturellement rares.

Il faut dire que, comme nous l'a précisé l'abbé Blin : “ Il n'y a pas de lycée catholique sur Sèvres, donc beaucoup de familles ont leurs habitudes hors de la paroisse, en fonction des écoles ou des activités des enfants. De fait, beaucoup de familles qui auraient voulu la forme extraordinaire sont habituées à aller à Versailles ou Saint-Cloud. ”

Certes, mais beaucoup de familles qui aiment la forme extraordinaire ont également leurs habitudes... à Sèvres et se contentent, pour l'heure, de la forme ordinaire. Commençons par nous occuper de celles-là et les autres familles parties ailleurs reviendront. En tout état de cause, le problème est que le Motu Proprio n'est pas appliqué à Sèvres malgré une demande locale incontestée.

Le sondage JLM Études d'avril 2011, voir notre lettre 317, réalisé pour notre compte dans le diocèse de Nanterre, faisait apparaître que 33,3 % des pratiquants assisteraient chaque semaine à la forme extraordinaire dans leur paroisse. Le résultat particulier correspondant au territoire s'étendant de Meudon à Vaucresson, incluant donc Sèvres, est de 43,9 % ! Chaque dimanche, deux fidèles sur cinq assistant à la messe à Saint-Romain de Sèvres choisiraient la liturgie traditionnelle si elle leur était proposée par leur curé.

4) Nous ne savons pas la suite que connaîtra la demande de Sèvres. On peut juste considérer aujourd'hui que le résultat de demandeurs polis, d'un curé bienveillant, d'un évêque devenu indifférent c'est : néant ! Nous ne disons pas que seule l'affirmation forte et claire du droit des fidèles à jouir de cette richesse liturgique qu'est la forme extraordinaire de la messe est la clé de l'application du Motu Proprio dans le respect de la volonté du Saint-Père... mais nous disons que sans sollicitation d’un droit dont l’application est suspendue à sa demande, il ne saurait y avoir d’obtention de ce droit. C’est ainsi.

5) Reste que, d'ici quelques années, si Dieu le veut, un paroissien de Saint-Romain sera ordonné prêtre de la Fraternité Saint-Pierre (ce sera le cinquième en dix ans...), dévoué au bien des âmes par la célébration de la liturgie traditionnelle. Peut-être pourra-t-il avoir un apostolat dans le diocèse où est née sa vocation voire dans la paroisse où elle s’est manifestée. Nous rêvons ? Pas si sûr : combien de prêtres « ordinaires » restera-t-il pour les paroisses du diocèse de Nanterre dans dix ans ?