13 mars 2012

[Paix Liturgique] Un ouvrage essentiel de l'abbé Claude Barthe pour mieux comprendre la Sainte Messe: "La Messe, une forêt de symboles"

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°236 - 13 mars 2012

L’abbé Claude Barthe est bien connu dans les milieux intellectuels catholiques tant pour la richesse de ses analyses que pour son action multiforme au service de la mission et de la prière de l’Eglise. A plusieurs reprises, dans des articles de presse comme dans des ouvrages, il a traité de la question liturgique, tant celle-ci reflète la crise très profonde que vivent les fidèles en France depuis plusieurs décennies. Tous ont pu apprécier tout à la fois la pertinence de ses remarques et l’enracinement doctrinal d’une pensée parfois formulée de façon polémique, mais qui n’est jamais médiocre ou basse. Bien au contraire, face à des attaques parfois sournoises (en ce sens qu’elles remettaient en cause l’homme plus que ses idées et ses arguments), Claude Barthe a toujours eu le souci de revenir aux principes mêmes de la théologie – c'est-à-dire la doctrine de la foi –, de la liturgie – c'est-à-dire l’acte sauveur du Christ et les mystères de sa vie qui nous sont communiqués ici et maintenant –, et de la pastorale – c'est-à-dire l’art de faire parvenir à tous, et de façon intégrale et non frelatée, l’Evangile du salut.

L’ouvrage qu’il nous propose aujourd’hui n’a rien de polémique. Il nous révèle sans doute la raison la plus profonde du combat qu’il mène depuis des années : l’amour de la sainte liturgie sous sa forme traditionnelle et romaine, communément appelée depuis le 7 juillet 2007, la forme extraordinaire du rite romain. L’adjectif, pris non dans son sens littéral (qui se distingue de l’ordinaire) mais bien dans son sens populaire et spontané (qui provoque l’enthousiasme), caractérise bien ce qu’inspirent la messe et sa forêt de symboles. Cet ouvrage s’adresse donc à tout fidèle qui désire entrer dans une intelligence plus profonde de la liturgie pour s’en nourrir et pour faire l’expérience de la fécondité surnaturelle du rite romain heureusement rétabli. Celui-ci est le fruit d’un développement historique complexe – mais les grandes qualités pédagogiques de l’auteur aident considérablement le lecteur à se retrouver dans cet ensemble passablement embrouillé – et il est composé de façon organique et hiérarchisée, d’un ensemble de signes, de symboles, de gestes, de paroles, de mouvements, de chants, de silence qui permet au fidèle bien disposé d’entrer dans le drame et la grâce de la Rédemption. De même qu’à travers les mots humains de la Bible ou de la confession de foi de l’Eglise nous est communiquée la Parole de Dieu, de même que l’humanité du Christ nous communique le don de sa Personne divine, de même par la médiation des rites liturgiques nous est transmise la grâce multiforme du salut, qui nous éclaire, qui nous purifie, qui nous transforme, qui nous fait déjà goûter l’Eternité bienheureuse.

Une fois cette merveille comprise (si l’on peut dire), il est possible de suivre l’auteur dans la présentation qu’il fait de chacun des rites de la messe, soulignant à chaque fois son enracinement dans l’histoire et sa signification symbolique et théologique, nous rendant sensible à chaque fois à la grâce spirituelle qui est ainsi communiquée aux participants, qu’ils soient ministres sacrés ou fidèles laïcs. Mais tous ces rites et ces symboles nous renvoient à la Personne très Sainte du Seigneur Jésus, à sa vie au milieu de nous à partir de son Incarnation dans le sein de la Vierge Marie jusqu’à son exaltation au jour de l’Ascension, à son acte rédempteur sur la Croix, que le sacrifice eucharistique perpétue et rend présent pour que nous puissions aujourd’hui bénéficier du fruit infini du salut qui est notre sanctification et notre résurrection.

On comprend donc que la messe soit la grande affaire de notre vie, le centre de notre existence de croyant. L’enseignement de l’abbé Barthe nous permet de vivre toutes les étapes de la messe en comprenant chacun des rites tel qu’il est célébré et en bénéficiant de la grâce propre qui y est attachée. Contentons nous de donner un seul exemple : ainsi des trois processions (celle de l’introït qui représente la venue sur terre du Christ annoncée par les oracles de l’Ancien Testament, celle de l’Évangile ou « entrée du Christ en sa parole », celle de l’offertoire, ou entrée de Jésus dans sa Passion après avoir été acclamé par les fils d’Israël). Et l’on pourrait multiplier les références...

Ce maître ouvrage de l’abbé Claude Barthe donne au lecteur de mieux découvrir combien la liturgie est la grande et commune spiritualité de toute l’Église. C’est aussi la source la plus authentique de toute vie surnaturelle authentique. Ce livre s’adresse donc à tout chrétien sérieux, soucieux de vivre pleinement de la grâce baptismale et liturgique.

Pour entrer dans le vif du sujet, nous vous proposons quelques extraits de l'introduction de l'ouvrage.
EXTRAITS DE L'INTRODUCTION : LE SENS MYSTÉRIEUX DE LA LITURGIE

Le sens allégorique ou sens mystique, ou encore sens spirituel de la liturgie en général et de la messe tout spécialement, est méconnu depuis bien longtemps. Il s’agit aujourd’hui de le redécouvrir, comme a été retrouvée toute l’importance du sens spirituel de l’Écriture. Ce livre voudrait contribuer ainsi à combler un oubli bien antérieur à la période chaotique dans laquelle se trouve le culte chrétien depuis les années soixante du siècle dernier.

En effet, la liturgie chrétienne, et spécialement la liturgie romaine, s’est constituée et a vécu, spécialement au Moyen Âge, au sein d’un commentaire et d’une méditation, fondamentaux pour sa compréhension. Entrer dans la liturgie de la messe sans cette clé, c’est tenter de comprendre une cathédrale avec une notice architecturale accompagnée d’un bagage catéchétique. Heureux, certes, celui qui, de nos jours, possède au moins ce bagage ! Mais il passerait à côté des « forêts de symboles » qu’évoque Baudelaire dans son poème Correspondances, à propos de la nature, « temple » aux « vivants piliers », qui est lui-même une métaphore de l’édifice religieux.

Il n’y a pas lieu de s’appesantir sur la difficulté d’entrer en liturgie aujourd’hui, au sein d’un monde profane, terre sans eau, univers techniciste et rationaliste. L’osmose entre la vie ordinaire et la vie cultuelle, au sein des cérémonies communales, familiales, royales, militaires, etc., a totalement disparu. Le culte est au mieux réduit au culturel, voire au folklore, afin d’être socialement accepté par une modernité bien plus radicalement englobante que les réalisations les plus achevées de l’idéal de chrétienté dans l’Antiquité tardive et au Moyen Âge. La grande crise de la liturgie, qui a explosé à la fin des années soixante du XXe siècle, n’a d’ailleurs pas peu contribué à faire rentrer le profane dans le sanctuaire (un profane moderne, étranger et hostile au sacré, qui n’a plus rien à voir avec le profane du monde chrétien ancien), au nom d’une opération d’« inculturation » qui a commencé dans certaines aires de ce que l’on nomme le Mouvement liturgique et qui s’est pleinement épanouie lors de la réforme de Paul VI : de même que le culte chrétien s’était adapté, par exemple, après les conquêtes espagnole et portugaise, aux cultures d’Amérique du Sud, on estimait qu’il devait s’ajuster aujourd’hui au monde moderne. Mais les auteurs de cette « inculturation » dans la modernité n’avaient pas conscience qu’elle prétendait naïvement apprivoiser à la liturgie chrétienne une mondanité non culturelle et, par essence, anti-cultuelle, car radicalement antichrétienne.

Pour retrouver la joyeuse fruition du culte chrétien, il devient donc nécessaire de passer par une exigeante ascèse, faite d’abord de cet effort de recueillement toujours indispensable pour accéder aux choses de la prière – ici la prière publique de l’Église –, mais avec cette difficulté supplémentaire inhérente à l’immersion dans le monde moderne d’une Église en crise d’identité. Si cet effort lui-même, de nos jours, rend l’entrée dans le culte plus onéreuse, il est aussi l’une des plus efficaces négations de la nocivité de la modernité. La pratique du culte divin est par elle-même – les révolutions violentes ou douces, depuis celle pré-moderne de Luther, ne s’y sont pas trompées – une radicale pétition antimoderne.

Quand on parle d’interprétation allégorique ou spirituelle, ou encore d’interprétation mystique de la liturgie, on pense à l’exégèse analogue de la Sainte Écriture (saint Thomas, Somme théologique, Ia, q. 1, a. 10), qui précise dans la ligne de saint Paul que la Sainte Écriture a deux sens : le sens littéral et le sens spirituel. Le sens littéral ou historique est primordial. Il représente les fondations sur lesquelles repose tout l’édifice de la compréhension des saintes Lettres. En matière liturgique, le sens littéral est tout aussi fondamental, et aujourd’hui plus que jamais. La connaissance de l’esprit suppose (et renforce) celle de la lettre, porteuse de la théologie de la messe. C’est à l’heure actuelle une première et immense difficulté : combien de catholiques connaissent la doctrine de la messe et des sacrements, autrement dit connaissent la lettre de la liturgie chrétienne ? Combien de catholiques savent, comme le savaient jadis, à leur façon, tous les enfants du catéchisme, que « dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ est contenu et immolé de manière non sanglante, lui qui s’est offert une fois pour toutes de manière sanglante sur l’autel de la Croix (Hébreux 9, 14, 27) », selon ce que rappelait le Concile de Trente (Dz 1743)?

Ensuite, vient le sens spirituel plus profond, ou si l’on veut le sens christique. Saint Paul reprochait aux Juifs qui refusaient le Christ d’en rester à la lettre (et donc de la fausser) de l’Ancien Testament, comme si le voile qui couvrait la face de Moïse resplendissant de la lumière divine était resté sur leurs cœurs, les aveuglant et les empêchant de voir dans la Loi l’annonce de Jésus-Christ, Messie et Seigneur (2 Corinthiens 3, 15). De même importe-t-il, dans les cérémonies de la messe, de ne pas en rester à la lettre (ce qui en banaliserait et gauchirait, au reste, la signification doctrinale), et d’accéder à l’esprit, ou signification plus profonde et toujours susceptible de s’approfondir. Ainsi verra-t-on dans le cierge allumé la Lumen Christi, la lumière divine dont resplendit l’humanité du Christ. Plus avant, on y saisira la représentation du Christ avec son Corps très pur – la cire –, son âme sainte – la mèche –, par laquelle est rendue visible à nos yeux la divinité – la flamme. La liturgie mettra elle-même sur la voie d’allégories plus complexes, en comparant le cierge pascal, dans le chant de l’Exultet de la veillée pascale, à la « colonne » de feu qui, comme une annonce du Christ, précédait les Hébreux la nuit dans le désert. Et puis l’on comprendra que la flamme divine, la grâce, se propage aux chandelles des fidèles, c’est-à-dire à leurs âmes dont la cire est reformée dans le moule du Christ. Et ainsi de suite, comme à l’infini, disait saint Grégoire.
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