28 janvier 2009





Reportage à Ecône dans le fief des intégristes
28.01.2009 - Philippe Dumartheray - tdg.ch
Après la levée des excommunications, la visite d’Ecône permet de découvrir des fidèles aux convictions immuables. Pour eux et pour les ecclésiastiques, pas question de faire un pas en direction du Vatican. Attente sur place. Mais les évêques suisses ont durci le ton mardi. Pour eux, il s’agit du début d’un dialogue qui nécessite des gestes. ECÔNE - Entre Riddes et Saxon, sur une colline visible loin à la ronde, impossible de manquer Ecône avec son Eglise, Notre-Dame des Champs et son séminaire. Lové entre vignes et verger, voilà donc le cœur, le refuge des intégristes catholiques. Des intégristes qui se définissent simplement comme des traditionalistes.
En semaine, Ecône vit au ralenti avec une soixante de séminaristes. Loin en tout cas de la foule des cérémonies des dimanches de fêtes. Lors d’une messe basse à la crypte à 17h30 le soir et à 7h15 le matin, une trentaine de fidèles accourent pourtant des villages environnants. Ils sont jeunes et vieux, les femmes portent une mantille et tous partagent la même ferveur pour la tradition catholique, dont la messe en latin. Tous ont appris la nouvelle de la levée de l’excommunication de leurs évêques par un simple communiqué lu par un prêtre lors de la messe du dimanche. Un communiqué ensuite simplement affiché à l’entrée de Notre-Dame des Champs. Lors du sermon qui portait ce jour-là, sur la conversion de Saint-Paul, il n’en a même pas été question.
«C’était dur: on a refusé des enterrements!»
«C’est vrai, l’annonce a été discrète. Elle nous réjouit. Deo gratias, on est catholique. Si l’on peut être dans l’Eglise sans être rejeté, c’est très bien.» Romain Loup, 43 ans, informaticien et père de 4 enfants qui vont à l’école catholique de Riddes, avoue venir à la messe à Ecône tous les jours car «la religion, c’est ma vie». Cet habitant de Fully espère aussi que la levée de ces excommunications va faire avancer les choses. «C’était dur. Il y a des gens à qui on a refusé des mariages, des enterrements. Ce n’est pas normal, les portes étaient alors grandes ouvertes pour les autres religions.»
Rémy Borgeat, de Riddes, 74 ans, porte un jugement encore plus dur. «J’ai beaucoup de joie. Mais ma plus grande joie a eu lieu lorsque le Vatican a annoncé que la messe en latin n’était plus interdite. Il a fallu attendre quarante ans. Trois papes nous ont menti. Maintenant on annule ces excommunications. A nouveau vingt ans pour rien. Il faut dire merci au Saint-Père et surtout à la Vierge.»
Rémy Borgeat a été pendant vingt ans le chauffeur de Mgr Lefebvre et, avec lui, il a pris plusieurs fois le chemin du Vatican. «Mgr Lefebvre était humble et simple. Il est venu plusieurs fois à la maison. Il me disait que s’il était pape, il commencerait par placer des hommes sûrs pour écarter les brebis galeuses. Il y avait une telle pagaille à Rome. Rendez-vous compte, dans certains bureaux du Vatican, il n’y avait même pas de crucifix!»
«Je lutte contre l’invasion»
Avant de partir jouer une partie de tennis à Martigny, Rémy Borgeat parle aussi en riant de ses 5 enfants, de ses 22 petits-enfants. «C’est ma manière de lutter contre l’invasion. Cela a été dur pour eux. Ils étaient méprisés à l’école. On se sentait exclu. Il a fallu apprendre à souffrir. Mais on a reçu tellement de grâces. Mes enfants ont ainsi réussi à convertir leurs conjoints. Avec cette longue lutte, on a aussi redécouvert la messe. J’y vais maintenant tous les jours. Si vous repassez par Riddes, venez boire une bouteille de blanc à la maison.»
Ecône, c’est aussi un séminaire où sont formés durant cinq ans les futurs prêtres de la Fraternité St Pie X. A l’instar du futur abbé Gobard, un séminariste d’Angers, qui affiche une grande sérénité. «La levée de ces excommunications, c’est un bel événement. Nos évêques sont délivrés d’un grand poids. Mais on ne s’est jamais considéré hors de l’Eglise. On est dedans même si beaucoup de gens nous ont collé une image de schismatiques. C’est parfois douloureux.»
Dans l’Eglise d’Ecône, le jour commence à se lever. La messe vient de se terminer. Les 60 séminaristes et la trentaine de fidèles restent agenouillés durant de longues minutes dans un grand silence. Sans doute prient-ils pour que le Vatican continue, les confortant encore plus dans leurs certitudes, à faire des grands pas dans leur direction.

«Nous n’allons pas transiger»
L’abbé de Jorna,directeur du Séminaire, n’entend pas transiger sur l’œcuménisme ou le concile Vatican II.
Le Vatican a fait des ouvertures. Comment allez-vous réagir?
On ne va pas transiger, on ne va pas céder ni sur Vatican II, ni sur l’œcuménisme. Ni sur la collégialité. L’Eglise n’est pas une démocratie. Le seul chef, c’est le successeur de Pierre, le pape. Mais le plus important pour nous, c’est que nous refusons la liberté religieuse, la liberté de conscience. Il n’y a qu’une religion, le catholicisme romain.
Vous considérez-vous comme des intégristes?
Dans intégriste, il y a intègre. Mais le mot est péjoratif. Nous sommes considérés comme les musulmans fanatiques. C’est un amalgame.
Un de vos évêques a pourtant tenu des propos négationnistes. Approuvez-vous?
Encore une fois, on mélange tout. On fait des amalgames. Il y a surtout une volonté de nous nuire, dans les médias notamment.
Quelle est finalement votre réaction face à cette levée des excommunications?
C’est un bienfait, c’est surtout la reconnaissance de ce que nous sommes. Cela se comprend. L’Eglise du concile est dans un très mauvais état, les fidèles disparaissent et la crise n’est pas près de se résorber. Durant des années, ils ont cherché des motifs pour contrer cette crise. On regrette simplement d’avoir été mis au banc de l’Eglise pour cela alors que l’on défend la vérité. C’était une injustice. Jusqu’ici, c’est le Vatican qui a fait toutes les concessions!

Les évêques suisses contre-attaquent
Face à l’émoi suscité par la levée de l’excommunication des évêques d’Ecône et face surtout aux propos ouvertement négationnistes tenus par l’un d’entre eux, Mgr Williamson, les évêques suisses ont décidé de mettre les points sur les i.
Ils relèvent ainsi que la levée de l’excommunication n’est pas une réhabilitation mais seulement le point de départ d’un dialogue. Les quatre évêques demeurent donc suspendus (suspens a divinis). Ils ne peuvent pas exercer légalement leur ministère épiscopal.
Un geste insuffisant
Les évêques font aussi leur la condamnation par le Vatican des propos négationnistes de Mgr Williamson et «prient les membres des communautés juives de Suisse d’excuser les irritations survenues» ces jours.
Ces mêmes évêques annoncent certes avoir pris bonne note du fait que Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, ait pris ses distances avec les propos de Mgr Williamson. Un geste insuffisant à leurs yeux.
La barre très haut
Avant le rétablissement de la communion et la levée des suspensions, ils attendent que les quatre évêques d’Ecône déclarent de «manière crédible» qu’ils acceptent le concile Vatican II, plus particulièrement la déclaration «Nostra Aetate» sur les relations avec le judaïsme et les religions non chrétiennes. Manifestement, les évêques suisses ont choisi de placer la barre très haut. Le chemin de la réconciliation avec Ecône pourrait s’avérer encore long, très long.

Qui sont-ils?
ECÔNE est l’un des six séminaires de la Fraternité. Il assure la formation de 62 prêtres de dix nationalités. C’est à Ecône qu’a été fondée la Fraternité St Pie X par Mgr Marcel Lefebvre. La communauté a vu ses évêques frappés d’excommunication par Jean Paul II. Une excommunication levée samedi par Benoît XVI.
LE SIÈGE se trouve à Menzingen, canton de Zoug, où séjourne Mgr Bernard Fellay, le supérieur général. La Fraternité compte 471 prêtres, 182 séminaristes, 3000 enfants scolarisés et 150 000 fidèles dans une trentaine de pays. Elle compte aussi un millier de maisons, notamment des séminaires, des écoles, des maisons de retraite et même des instituts universitaires.
LES POINTS DE DÉSACCORD
La Fraternité St Pie X ne veut pas entendre parler des décisions du concile Vatican II (1962-1965), notamment le dialogue interreligieux, la liberté religieuse, la messe en langue courante.