20 juillet 2007

Lettre ouverte à Hyppolite Simon (par la grâce de Dieu, archevêque de Clermont Ferrand)
20 juillet 2007 - Paul Gauthier - golias-editions.fr
Excellence,
Il me faut user désormais de ce vocable, puisque dans cette Eglise d’après le Concile, qui aussi la mienne, on entend ressortir de la naphtaline les vieux ornements et les formules désuètes. Il me faut aussi vous écrire car j’ai été blessé par votre dernière publication dans Le Monde du 14 juillet (très certainement …un hasard du calendrier).
Et ce qui m’a heurté ce n’est pas une approche différente de la mienne et de celle de tant d’autres chrétiens, pardon ! de catholique de ce pays, devant toutes ces décisions et ces textes qui nous viennent de Rome. Je sais comme vous qu’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père et que la pensée unique, une expression dont on nous rebat les oreilles (usque ad nauseam) n’est pas vraiment marquée du sceau évangélique.
En réalité, en bon petit soldat, vous cherchez à expliquer, à justifier les dernières décisions romaines qui, à l’évidence, marquent un tournant important dans ce que l’église catholique était appelée à vivre depuis le Concile Vatican II. C’est votre droit et je me garderai bien de le contester car nous certainement d’accord tous deux sur les propos de Voltaire quant à la liberté de parole qu’il convient de laisser à ceux qui ne pensent différemment de vous. Mais il y a des limites que vous avez quand même dépassées : depuis quelques décennies le peuple chrétien – et même le peuple catholique – a appris ce qu’il en coûtait de se soumettre aveuglément et d’obéir perinde ac cadaver. Vos arguments sont peut-être sincères mais la démonstration que vous tentez d’effectuer – et sur laquelle vous échouez – ne saurait nous convaincre mais, plus grave encore, manifeste un certain mépris pour ceux à qui vous vous adressez. Nous n’en sommes plus au temps où la parole d’une quelconque autorité était abusivement sacralisée, même si d’aucun le déplorent. Juxtaposer quelques sophismes et de se livrer à une analyse à ce point orientée qu’elle pourrait en devenir risible, est manifestement une offense au lecteur.
Vous affirmez d’entrée de jeu que vous allez obéir « évidemment » et que vous allez le faire parce que vous êtes évêque « et parce ce que (vous) avez promis communion et obéissance au jour pape au jour de (votre) ordination ». Vous ajoutez qu’une autre raison vous interdit de ne pas obéir car cela vous obligerez à démissionner et que vous n’allez pas « abandonner votre peuple en rase campagne pour une question de rites liturgiques ». Outre que l’histoire nous a enseigné – et avec quelle violence – qu’obéir aveuglément peut être une forme de trahison et que les décisions d’une hiérarchie – fut-elle romaine – peuvent être inspirées par des motifs qui pour être respectables en tant que motifs n’en sont pas moins dangereux (voire pernicieux) quant à la mission de l’institution que cette hiérarchie a le devoir de faire vivre et de transmettre. Sous cette réserve, mais elle capitale, la justification de votre obéissance peut encore s’entendre.
Par contre dès que vous vous engagez sur la voie de la justification des dédisions romaines, votre raisonnement manque singulièrement de rigueur dans l’analyse de ce qui a été vécu au temps du concile et depuis sa mise en œuvre. Il fait tout autant preuve d’une inquiétante myopie quant aux objectifs pourtant clairement annoncés de ceux que Benoît XVI a invité à entrer « dans la ville ». L’histoire – encore elle – regorge d’exemples de cités réputées imprenables et qui furent livrées au pillage et à la destruction parce qu’une imprudence avait livré un passage, même modeste, à des assiégeants. Et c’est bien ce qui vient de se passer : pour n’avoir pas voulu aller à l’essentiel, pour avoir voulu traiter l’accessoire comme le principal, Rome « vient de livrer les clefs de la ville » à ses ennemis. Le mot vous paraîtra injuste, peut-être excessif, mais comment qualifier ceux qui n’ont eu de cesse avec ou sans l’évêque Lefbvre de clamer qu’il considérait comme un devoir sacré de mettre à bas tout le travail du Concile. Nous sommes loin des différentes catégories que vous énumérez comme à loisirs : « ouvert-fermé, progressiste-intégriste », passéiste-moderne ». Ce n’est pas une question de rite et continuer à l’affirmer comme vous le faites relève de la malhonnêteté intellectuelle car vous savez bien que ce qui se joue va bien au-delà de ce retour à des rites anciens. S’il ne s’était agi que d’un simple problème de langage il y a bien longtemps que le problème aurait été résolu car il y a souvent bien plus d’intelligence et de charité dans l’église conciliaire qu’on peut en constater dans les chapelles intégristes qui s’arrogent la qualité de détenteurs unique de la vérité.
« Double usage de l’unique et même rite » dites-vous en citant Benoît XVI et c’est ici qu’il faut s’inscrire en faux. Comment peut-on dire qu’il y a qu’un seul rite quand l’un d’entre eux revendique l’usage d’un missel qui comporte des éléments inacceptables tout marqué qu’ilo est par des éléments qui relèvent de l’antijudaïsme et de l’anti-oecuménisme le plus éculé. Est-il besoin de longues citations ? Comment vouloir, sous le vocable d’un même rite, imposer à ceux qui se reconnaissent dans Vatican II des propos tels que ceux-ci qui invitent les fidèles le vendredi saint à prier pour « les hérétiques et les schismatiques afin que Dieu notre Seigneur les arrache à toutes leurs erreurs et qu’il daigne les ramener au sein de notre sainte mère, l’Eglise catholique et apostolique » ou encore « Prions aussi pour les Juifs, afin que Dieu notre Seigneur enlève le voile qui couvre leur cœur(…), exaucer la prière que nous vous adressons pour ce peuple aveugle ». Comment de tels textes peuvent-ils nourrir la prière d’un même peuple « dans un rite unique » quand l’Eglise héritière du Concile prie ce même jour « Pour tous nos frères qui croient en Jésus-Christ et s’efforcent de conformer leur vie à la vérité. Demandons au Seigneur notre Dieu de les rassembler et de les garder dans l’unité de son Eglise » et pour ceux que Jean Paul II reconnaissait comme nos frères aînés « Prions pour les juifs à qui Dieu a parlé en premier, qu’ils progressent dans l’amour de son nom et la fidélité à son alliance. Dieu éternel et tout poussant, toi qui a choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l’Alliance, comme ton Eglise t’en supplie ». Et les premiers de ces textes, parfaitement inadmissibles, ne datent pas du milieu du siècle dernier ou de quelque officine intégriste mais seulement de 1990, car il s’agit du missel réédité par l’abbaye du Barroux ; Qui peut croire que les chantres de l’intégrisme catholiques accepteront une révision aussi profonde de cette « liturgie de toujours ». Alors quand on lit sous votre plume « On pouvait , à la rigueur, légitimer une résistance au concile si l’on pensait, en conscience, qu’il existait une différence substantielle entre deux rites. Peut-on légitimer cette résistance, et a fortiori in schisme, à partir d’une différence de forme » on croit rêver : ou vous n’avez rien compris (ce qui nous semble étonnant de la part d’un archevêque) ou vous cherchez à nous faire prendre des vessies pour de lanternes. On ne peut, en effet, refuser de reconnaître une certaine logique à Marcel Lefebvre qui profitant d’une différence de rites indéniable a réussi à abuser toute une partie de l’opinion en présentant comme majeur ce qui n’était en fin de compte qu’un détail alors que l’opposition de fond concernait des points de doctrine autrement plus essentiels. Recourir , comme vous le faites, à de tels raisonnements n’est pas de nature à rehausser le prestige et la crédibilité de votre ministère
Et vous aggravez encore votre cas quand vous évoquer le texte du 10 juillet de la Congrégation pour la doctrine qui a publié une note « pour justifier l’expression, si décisive par le Concile,du verbe « subsistit in »- l’Eglise du Christ « subsiste dans » l’Eglise catholique… Or… j’ai souvenir d’avoir lu sous des plumes intégristes que ce choix du verbe « subsistit in » à la place du verve « est » était le début de la catastrophe conciliaire car il constitue précisément le fondement théologique de l’œcuménisme » Si le choix de cette troisième publication (avec la « Lettre aux catholiques de Chine ») ne vous semble pas « destiné à marquer une fois de plus les limites du dialogue avec les autres Eglises et communautés chrétiennes » que vous faut-il ? Un adjectif, un seul mais qui change tout, ne s’est-il pas glissé dans ce document de l’ex Saint Office ? Il apparaît qu’il faut lire que L’Eglise du Christ subsiste dans la seule E3glise catholique et cela change tout : les autres Eglises soeurs ne s’y sont pas trop trompées qui ont regretté ou dénoncé parfois l’arrogance L’Eglise romaine. N’y a-t-il pas dans la présentation que vous faites une édulcoration étrange du document romain ? N’y a-t-il pas dans ce seul adjectif « seule » glissé bien à propos, un gage majeur donné aux héritiers spirituels de Marcel Lefebvre ? Si la décision de Benoît XVI d’ouvrir sans conditions les portes à la mouvance intégriste « ruine totalement leur argumentaire sur le fond », on se demande bien où peut bien se nicher cette ruine totale, et sa volonté de ne céder en rien sur la substance du concile.
Seriez-vous naïf à ce point ou ignorant de la réalité de cette frange extrême du catholicisme et spécialement du catholicisme français pour penser qu’il ne reste plus aujourd’hui comme problèmes contentieux que le problème de la liturgie ? Croyez-vous vraiment que ceux qui se croient investis de la mission de restituer dans sa forme ancienne la « véritable église » se contenteront de cette première étape. Les tenants de ligne dure ont à coup sûr le sentiment d’avoir gagné une bataille ce qui ne peut que les conforter dans l’idée qu’ils peuvent gagner la guerre. Auriez-vous perdu le souvenir de vos classiques pour avoir à ce, point oublié Corneille, les Horaces et( les Curiaces ? S’il y a, à coup sûr, des nostalgiques des anciennes liturgies