22 septembre 2006

[Jérôme Bourbon - Rivarol] Un Bon Pasteur pour les « tradis » ?

Jérôme Bourbon - Rivarol - 22 septembre 2006

Un Bon Pasteur pour les « tradis » ?
La visite de Benoît XVI dans sa Bavière natale, et surtout le hourvari provoqué par sa dénonciation du fanatisme musulman, ont quelque peu éclipsé une autre de ses initiatives : la signature le 8 septembre, par le cardinal colombien Dario Castrillon Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei et préfet de la Congrégation pour le clergé, du décret d’érection ad experimentum (pour cinq ans) d’une nouvelle fraternité traditionaliste, l’Institut du Bon pasteur (IBP) regroupant des figures historiques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X – mais qui en avaient été exclues (RIV. du 10/09/04). Dépendante du Vatican, cette société de vie apostolique a en effet pour supérieur général l’abbé Philippe Laguérie, longtemps dynamique responsable de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris (1984-1997) avant de l’être depuis 2001 de l’église Saint-Eloi à Bordeaux. Elle comprend pour l’heure quatre autres prêtres : les abbés Paul Aulagnier, supérieur pendant 18 ans (1976-1994) du district de France de la FSSPX, Guillaume de Tanoüarn, fondateur dans la capitale du centre Saint-Paul et de l’Association cultuelle Saint-Marcel, Christophe Héry, auquel on doit le très récent livre Non-lieu sur un schisme défendant en tous points les positions doctrinales de la Fraternité, et l’abbé Henri Forestier,  prêtre de la FSSPX à Lyon puis à Toulouse avant de rejoindre Saint-Eloi.
LE COURONNEMENT LOGIQUE D’UNE LENTE EVOLUTION
Cet accord n’est pas vraiment une surprise. Depuis quelques années, ces clercs souhaitaient trouver un arrangement avec Rome. En avril 2001, dans le mensuel Pacte (n°54), alors qu’il était déjà question d’une éventuelle régularisation canonique de la FSSPX, l’abbé Laguérie écrivait : « Je crois à la possibilité d’un accord pratique. (…) Il est urgent de se retrouver dans la communion liturgique et sacramentelle avec l’Eglise de toujours pour que, faisant pareil, on finisse par penser pareil. ». Quant à l’abbé Aulagnier, il avait été exclu de la FSSPX en octobre 2003 pour avoir soutenu les accords dits de Campos (Brésil) par lesquels, le 18 janvier 2002, le Vatican avait érigé une administration apostolique, l’Union sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney, qui obtenaient la faculté de dire la messe traditionnelle en échange de sa reconnaissance de l’autorité de Jean-Paul II, de la validité de la nouvelle messe et de son acceptation de Vatican II interprété « à la lumière de la Tradition ».
 
Depuis leur exclusion de la FSSPX, ces prêtres avaient bénéficié d’un rescrit les lavant de toute censure ecclésiastique en échange de la signature en cinq points, le 21 septembre 2005, d’un « acte d’adhésion » au Vatican (RIV. du 31/03/06). La fondation de leur Institut est donc le couronnement logique de ce rapprochement avec la Rome de Benoît XVI. « J’ai beaucoup parlé de Rome  depuis bientôt 18 ans que je suis prêtre. Mais aujourd’hui je peux dire  que j’a vu le visage de Rome et que ce visage est un visage de miséricorde » écrit ainsi l’abbé de Tanoüarn dans le n°2 de la Lettre à nos amis du Centre Saint-Paul (12 rue Saint-Joseph, Paris IIe) en se réjouissant de « la générosité toute pastorale » du Vatican.
LES ACQUIS DU NOUVEL INSTITUT
Ces prêtres obtiennent l’usage exclusif du missel romain traditionnel, mais aussi du rituel, du bréviaire et du pontifical en vigueur en 1962. Ils ne seront donc pas tenus en principe à concélébrer la messe chrismale le jeudi saint avec l’évêque conciliaire du diocèse. La messe tridentine n’est pas pour eux sous le régime de l’indult comme elle l’est depuis 1988 pour la Fraternité Saint-Pierre ou l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre ; elle est un droit « et même une obligation » ajoute fièrement l’abbé Laguérie. Rome leur permet « une critique sérieuse et constructive qui concourt à la préparation d’une interprétation authentique de la part du Saint-Siège du concile Vatican II ».  En contrepartie, ils s’engagent à « recevoir avec le respect qui leur est dû » tous les documents émanant de Rome, reconnaissent l’autorité de Benoît XVI et la validité du novus ordo missae.

Ils pourront par ailleurs avoir des « paroisses personnelles » (comme c’est désormais le cas de l’église Saint-Eloi à Bordeaux) au nom de l’Institut et Philippe Laguérie se fait fort d’obtenir des églises, désaffectées ou abandonnées, « en centre-ville », pour le rite tridentin. Ils pourront établir un séminaire en France et former de futurs prêtres qui seront incardinés directement dans l’Institut nouvellement créé. Le cardinal Castrillon Hoyos ou le cardinal Ricard (ce n’est pas encore décidé) devrait venir prochainement à l’église Saint-Eloi pour célébrer les premières ordinations sacerdotales (celle des abbés Prieur et Belon) et diaconales (trois ou quatre). Par ailleurs, une demi-douzaine de séminaristes feraient bientôt leur entrée dans la maison de formation de Courtalain, près de Chartres sous la responsabilité de l’abbé Aulagnier. De plus, plusieurs prêtres français et polonais et une dizaine de prêtres sud-américains seraient sur le point de rejoindre l’IBP.
Le siège de l’Institut est à l’église Saint-Eloi. Alors qu’en mai 2005 le Conseil d’Etat avait annulé la convention passée entre la mairie de Bordeaux et l’association dirigée par Philippe Laguérie, c’est une victoire pour le bouillonnant abbé. Mais aussi, d’une certaine manière, pour l’archevêque de Bordeaux et président de la conférence épiscopale, Mgr Jean-Pierre Ricard, l’église revenant dans le giron.
 
Si beaucoup de disciples de Mgr Lefebvre se réjouissent de ce dénouement, comme on peut s’en rendre compte en naviguant sur les différents sites Internet « tradis » et comme le laissaient à penser les reportages de TF1 et France 3 où étaient interrogés d’enthousiastes fidèles de Saint-Nicolas, la direction de la FSSPX est beaucoup plus circonspecte.
LES RESERVES DE LA FRATERNITE SAINT-PIE X
Dans un communiqué daté du 8 septembre, elle déclare qu’ « elle ne peut faire sienne une solution communautariste où la messe tridentine serait confinée dans un statut particulier » : «  La messe de la Tradition bimillénaire doit jouir dans l’Eglise d’un droit de cité plein et entier : elle n’est pas un privilège réservé à quelques-uns, elle est un droit pour tous les prêtres et tous les fidèles de l’Eglise universelle. »
 
Et la FSSPX d’inviter « prêtres et fidèles à s’associer à sa campagne de prières » décidée par le chapitre général de juillet dernier et qui a pour but de présenter, fin octobre, à Benoît XVI « un million de chapelets pour la libération totale de la messe traditionnelle ». Ce que l’abbé Alain Lorans, porte-parole de la FSSPX, appelle dans le n°100 de Nouvelles de Chrétienté, « la nouvelle bataille de Lépante » ! Or, d’après l’abbé Laguérie, la décision de Benoît XVI serait déjà prise : il  libéraliserait « en novembre » la messe tridentine, l’un des deux préalables posés par la FSSPX (le second étant le retrait du décret d’excommunication des quatre évêques le 30 juin 1988) pour un accord en bonne et due forme avec le Vatican, lui-même précédé de discussions doctrinales. Sur le site <www.laportelatine.org>, très proche de la direction d’Ecône, l’abbé Grégoire Celier, dans un long communiqué intitulé « un nouvel institut Ecclesia Dei ? » condamne « la rupture de l’unité du front au profit des adversaires de la liturgie » traditionnelle, juge « imprudent de sous-estimer la capacité de la Rome actuelle à absorber et à recycler même ses plus féroces adversaires » et critique le fait que l’IBP, qui « ne bénéficie d’aucun évêque propre », doive « recourir aux évêques conciliaires ».
 
Le fait est que les cardinaux Ricard et Castrillon Hoyos ont été sacrés dans le nouveau rite de consécration épiscopale et l’on sait que beaucoup, dans la mouvance issue de Mgr Lefebvre, dont Mgr Tissier de Mallerais lui-même, ont de sérieux doutes sur la validité des nouveaux rites sacramentels. Ainsi la FSSPX a souvent réordonné sub conditione les clercs qui, la rejoignant, avaient auparavant été fait prêtres dans le nouveau rituel.
QUEL AVENIR POUR CETTE SOCIETE SACERDOTALE ?
L’Institut du Bon Pasteur pourrait néanmoins exercer une attraction non négligeable tant sur l’aile « droite » de la Fraternité Saint-Pierre que sur l’aile « gauche » de la Fraternité Saint-Pie X. Les prêtres qui composent cette société naissante sont en effet dynamiques, ouverts, chaleureux, charismatiques, meneurs d’hommes, souvent très appréciés de la jeunesse, ils jouissent d’une notoriété et d’une popularité indéniables au sein de la mouvance traditionaliste, même si, bien sûr, ils ont aussi leurs détracteurs qui leur reprochent leur activisme voire leur libéralisme. Cet Institut pourrait nuire au recrutement des deux Fraternités et exercer une forte pression sur la FSSPX pour qu’elle normalise elle aussi sa situation canonique avec Rome, qui aurait ainsi marqué un point décisif, ainsi que l’a reconnu très honnêtement l’abbé Laguérie lors de sa conférence de presse parisienne du 13 septembre : « la création de l’IBP est incontestablement un signal fort envoyé par Rome à la FSSPX ».
 
Encore faut-il que le clergé conciliaire ne mette pas des bâtons dans les roues de l’IBP. Or, le communiqué officiel de Mgr Ricard est pour le moins réservé : « La présence de cet Institut appelle une convention entre cet Institut et le diocèse. (…) L’élaboration de cette convention est encore à faire… Tout un travail de pacification, de réconciliation et de communion est encore à faire car la violence  a marqué jusqu’à ces derniers mois les relations de plusieurs membres de cet Institut avec l’Eglise diocésaine. Il faudra que chacun y mette du sien. »  Et le même cardinal de préciser dans La Croix du 11 septembre « que pour ce qui est de l’apostolat, ils dépendent de l’évêque diocésain et ils sont obligés d’avoir son accord pour toute implantation dans son diocèse (…) Ils doivent se rendre compte qu’ils ne sont pas en pays conquis ». Quant aux plus progressistes au sein de l’église conciliaire, ils ne cachent pas leur haine : La Vie du 14 septembre, « hebdomadaire chrétien d’actualité », titre, avec une photo pleine page de l’abbé Laguérie, « Pourquoi cet homme devait rester dehors ». On n’est pas plus charitable !
 
Reste à savoir si ce « ralliement » à l’église post-Vatican II ne se soldera pas par l’édulcoration, voire l’abandon des positions longtemps défendues par les cinq abbés. L’exemple de la Fraternité Saint-Pierre, du Barroux, de Campos, de l’Institut Saint-Philippe Néri fondé à Berlin en 2003 par le cardinal Castrillon Hoyos, pour des prêtres et séminaristes allemands, eux aussi transfuges de la FSSPX,  incite à s’interroger. Signant un accord avec Rome en 1988, Dom Gérard, alors prieur du Barroux, réclamait qu’ « aucun silence ne soit fait sur (sa) prédication antimoderniste ». Quelques années plus tard, il concélébrait la nouvelle messe et le père Basile défendait l’orthodoxie de Dignitatis humanae. N’est-il donc pas illusoire de vouloir convertir de l’intérieur l’église conciliaire ?
INTERPRETER OU REJETER VATICAN II ?
En clôture d’un colloque parisien sur les quarante ans de Vatican II, l’abbé Laguérie professait hardiment que « le concile est en rupture totale non seulement avec la tradition catholique mais plus généralement avec la religion catholique » (RIV. du 18/10/2002). Pourra-t-il désormais tenir de pareils propos dans le cadre d’une « critique sérieuse et constructive » ? Car d’évidence les questions que pose Vatican II ne relèvent pas de « l’herméneutique », d’une « théologie de la réception » mais de la foi : il y a une contradiction flagrante entre le magistère de l’Eglise et ce que l’abbé de Tanoüarn nommait « une nouvelle religion ».
 
De sorte que, sauf à se dénaturer, le combat traditionaliste ne saurait se réduire à la défense de la messe tridentine, aussi essentielle soit-elle. Il est une claire condamnation des orientations doctrinales, pastorales et disciplinaires inlassablement mises en œuvre depuis la mort de Pie XII par les modernistes qui occupent, occultent et éclipsent l’Eglise de Jésus-Christ. Car, jusqu’à preuve du contraire, et comme le rappelait Mgr Richard Williamson dans une interview à Minute le 8 mars 2006,  l’œcuménisme libéral, la collégialité et la liberté religieuse restent plus que jamais à l’ordre du jour au sommet de l’institution conciliaire.
 
Jérôme BOURBON

RIVAROL daté du vendredi 22 septembre 2006, page 9, numéro 2778. (1 rue d’Hauteville. 75010 Paris).