24 novembre 2006

“Tradis”-progressistes : l’union en marche ?
24 novembre 2006 - Charles-Henri d'Andigné - libertepolitique.com
Benoît XVI est de ceux qui font « bouger les lignes », selon l’expression à la mode. La preuve, ce lundi 20 novembre au palais de la Mutualité, à Paris, où avait lieu une soirée organisée par l’Institut du Bon-Pasteur sur la paix dans l’Église. Y débattaient, entre autres, l’abbé Laguérie, supérieur de l’IBP, et Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire La Vie.

Rappelons-en le point de départ, ou plutôt le détonateur : ce numéro de La Vie dont la Une, illustrée par une photo de l’abbé Laguérie, était barrée du titre : « Pourquoi cet homme devait rester dehors. » L’éditorial, signé Jean-Pierre Denis, était de la même farine. S’en était suivi une réponse vigoureuse de l’abbé Laguérie dans Objections, la revue de l’abbé de Tanoüarn.

Aussi les deux hommes avaient-ils décidé de continuer leur discussion en public. Un public majoritairement “tradi”, auquel n’a pas craint de se confronter, ce soir-là, Jean-Pierre Denis. Saluons, au passage, son esprit sportif et sa liberté d’esprit. Sa présence en un tel lieu, avec de telles personnalités, était déjà un événement en soi. Le signe que le glacis des années des années soixante-dix est en train de fondre.

Que retenir des interventions du directeur de La Vie ? D’abord ses déclarations concernant la messe. « Il n’y a pas de messe conciliaire, a-t-il déclaré sous les protestations de la salle. Il y a la messe ! Je vais le dimanche à une messe de Paul VI. Vous allez à une messe de Jean XXIII. Il n’y a entre nous qu’un pape d’écart, ce n’est pas grand-chose... La messe de Jean XXIII n’était d’ailleurs pas tout à fait la messe de Pie XII, qui n’était déjà plus exactement la messe de son prédécesseur, et ainsi de suite… »

Comment ne pas souscrire à ces propos, à la fois pacifiques, exacts et de bon sens ? Comment ne pas penser à la phrase du cardinal Ratzinger, en 1998, selon laquelle « la différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, est souvent plus grande que celle entre la liturgie ancienne et la liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits »?

Le coup de pied dans la fourmilière

Moins pacifiques en revanche, et moins pertinents selon nous, furent ses déclarations concernant l’existence même de l’Institut du Bon-Pasteur. Sa position, en substance, est la suivante : il ne faut pas réintégrer les brebis égarées, tant que ne sera pas réglé la question fondamentale de la liturgie.

Pas d’accord ! Pourquoi ? Parce que la décision de Benoît XVI d’accueillir les enfants prodigues, pour reprendre l’image de Guillaume Tabard dans le Figaro [1], a commencé de mettre fin à la situation – insupportable – qui prévalait jusqu’alors. Où l’on voyait, d’un côté, bien des catholiques français (qu’ils soient laïques, prêtres ou évêques) au mieux indifférents au « schisme » lefebvriste, au pire hostiles à toute réintégration ; et de l’autre, un certain nombre de lefebvristes s’accommodant très bien de leur indépendance vis-à-vis de Rome.
Une situation qui, au final, arrangeait beaucoup de monde. Mais pas Benoît XVI, à qui la notion de confort intellectuel est étrangère. Le pape a donc décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière, si l’on peut risquer cette image assez peu pontificale, et de prendre tout le monde de court.

En bousculant les gallicans de tout poil, il incite chacun à balayer devant sa porte. Ceux qui se présentent comme les champions de l’orthodoxie, vont être contraints de se demander s’ils ont le monopole de la tradition et de la pureté doctrinale. Les autres, qui aiment tant le dialogue (avec les protestants, les orthodoxes, les juifs, les musulmans, les incroyants, etc.) vont devoir montrer qu’ils sont prêts, aussi, à dialoguer avec des catholiques. « Les intégristes nous obligent à nous poser la question de notre identité catholique et de ce en quoi nous croyons, déclarait Jean-Pierre Denis après le débat à Sophie de Ravinel, du Figaro (23 novembre). Il faut avoir le courage de leur répondre. » Après l’ouverture des cœurs, vient le temps de la conversion des esprits. Nous sommes tous concernés…

Le coup d’audace de Benoît XVI, un de plus, aura relancé la dynamique de l’union entre les catholiques. N’avons-nous pas tendance à oublier, tous autant que nous sommes, qu’il y a plusieurs demeures dans la Maison du père ?

[1] Excellente analyse parue dans le Figaro du 9 novembre