7 novembre 2006

Précision de M. Paul Airiau
sur le Forum Catholique (2006-11-07 07:22:34)

1.

"Or, une culture intransigeante héritière de l'Action française, quoique minoritaire, est encore bien vivante aujourd'hui et rejaillit à leur visage." C'est ça les tradis pour M. Airiau. Il n'a visiblement jamais mis les pieds dans une chapelle FSSPX ou autre. Il se serait aperçu qu'à côté du courant historique, si j'ose dire, il y a tout un tas de monde et particulièrement des jeunes, qui ne savent sans doute même pas ce qu'est l'AF...
La formule sur l'Action française est fort malvenue, je le concède. Elle provient des conditions matérielles de réalisation d'une interview dans un journal et des circonstances précises de cette interview. Traduction : les journalistes travaillent dans l'urgence, devant fournir des articles pour compléter des papiers, et cela leur est souvent demandé au dernier moment ; la place est quantifiée précisément, et les journalistes sont souvent obligés de faire des raccourcis pour tenir la limite des signes impartie. Cela aboutit à des raccourcis voure à des faux sens. Ce fut le cas ici.
De plus, la relecture par l'interviewé n'est pas toujours possible, pour de multiples raisons. Ce fut aussi le cas ici. Sinon, il est évident que je n'aurais pas laissé passer cette "culture intransigeante héritée de l'AF", qui va contre toutes les études historiques que j'ai mené - on trouvera dans les archives du Forum catholique le résumé de ma thèse d'histoire sur Le Séminaire français de Rome du P. Le Floch, 1904-1927, IEP de Paris, 2003, qu'un liseur avait fait circuler sans me demander mon avis.
L'AF est souvent intégrée dans la culture tradi, quoi qu'on en veuille, et la fréquentation sur le long terme de la messe de 1962 et de ses assistants s'accompagne d'une inculturation à un catholicisme intransigeant, voire intransigeantiste (antirépublicain), ayant des liens complexes mais réels avec l'AF. Et je n'évoque pas les apparitions, les prophéties, le royalisme, l'Algérie française, le culte de l'armée, la France catholique de toujours, la Bretagne catholique, la Vendée militaire, etc. Tous ces éléments ne sont pas forcément centraux mais sont des facettes de la culture traditionaliste. Tous n'y succombent pas, mais tous sont touchés. La prise en compte de ces éléments est fondée sur une connaissance personnelle et intellectuelle des milieux traditionalistes. Il suffit par ailleurs de lire le catalogue de Clovis ou Lecture et Tradition ou de fréquenter les librairies tradoches pour se rendre compte de ce que j'avance.
[Nota Bene : par intransigeance, ou catholicisme intransigeant, j'entends ici un catholicisme refusant la société issue de la Révolution française en ses principes, en ses réalisations (partiellement). Ce concept d'intransigeance a été formulé par Emile Poulat, Eglise contre bourgeoisie, introduction au devenir du catholicisme actuel, Tournai, Casterman, 1977. Le concept est devenu élémentaire (et irréfutable au sens de Karl Popper) pour les historiens du catholicisme contemporain. Il ne comporte aucun jugement de valeur)]
2.

"Ce dossier est aujourd'hui traité comme s'il s'agissait d'une affaire interne à l'Église alors qu'il devrait presque être considéré comme une affaire de dialogue oecuménique entre deux Églises d'une même confession. Mouahahahahah...sans blague, il n'y a jamais eu de controverse dans l'Eglise ? Les thèses conciliaristes, ça ne dit rien à M. Airiau ? Je crois plutôt que M. Airiau nous ressort ici ses vieilles lunes à lui. Rien à voir avec la réalité."
La question n'est pas seulement celle de controverses, tel le conciliarisme médiéval. L'analyse socio-historique conduit à considérer qu'il existe actuellement (ou tend à exister) deux catholicismes. L'un se réclame de l'intransigeance du XIXe siècle, l'autre relit cette intransigeance à la lumière de Vatican II (soit pour la maintenir, soit pour la réorienter, soit pour la rejeter). Ces deux cultures catholiques s'appuient sur des générations humaines qui fonctionnent par strates superposées. Actuellement, il existe encore la génération qui a fait ou refusé Vatican II, et qui est au pouvoir ou presque - mais dans dix ans, elle aura disparu de mort naturelle : il suffit de voir l'âge de Benoît XVI, et Mgr Lefebvre, le P. Gy, le cardinal Marty et Jean-Paul II sont déjà morts. Deux autres générations les suivent : celle qui avait 20-30 ans dans les années 1960 et au début des années 1970, qui a refusé ou accepté Vatican II (la majorité de évêques français désormais ou presque) ; et celle de leurs enfants, nés dans les années 1990. Ces deux générations ne se connaissent pas, ou peu. S'il y a des cas nombreux mais pas majoritaires de circulation entre ces deux cultures, au niveau de la deuxième et surtout de la troisième génération (ce qui au passage montre la profonde inculturation de la modernité voire de la post-modernité par le monde traditionaliste, mais passons, cela nous entraînerait trop loin), il n'en reste pas moins qu'un processus bêtement social de constitution de deux catholicismes est à l'oeuvre. Et dans dix ans, si tout continue comme maintenant, c'est-à-dire pas très bien, on aura réellement deux Eglises catholiques avec leurs hiérarchies, leurs croyances, leurs règles (la FSPX a commencé à mettre en place sa propre structure judiciaire-canonique). On sera alors dans une situation d'oecuménisme.
Actuellement, on balance en effet (du point de vue romain et de la hiérachie française) entre retour au bercail des errants (gestion façon XVIe siècle avec les protestants : vous vous êtes trompés, demandez pardon, on vous accueille) et reconstitution de l'unité ecclésiale à partir d'une compréhension différenciée des énoncés de la foi (façon dialogue oecuménique avec les luthériens et les autres). Du point de vue tradi, on hésite entre anathémisation de la Rome apostate (ils sont une autre religion : Mgr Tissier de Mallerais aux ordinations d'Econe en 2002 et non 2003 comme dans l'interview), volonté de faire revenir à une droite interprétation du catholicisme (plus ou moins Mgr Fellay), désir de faire prendre en compte la "sensisbilité" tradi (un certain nombre de fidèles).
Il serait temps de regarder les choses en face et d'agir pour que cela ne soit pas. Dans l'orthodoxie, pour des questions liturgiques, qui sont toujours les plus importantes en fait, parce que focalisant toutes les autocompréhensions, est apparue une Eglise des vieux croyants à partir du XVIIe siècle, . La division n'est toujours pas résorbée, quatre siècles après.
Paul AIRIAU