8 septembre 2008

Pourquoi le Pape renoue avec la liturgie traditionnelle
08/09/2008 - Jean-Marie Guénois - lefigaro.fr
Pourquoi le Pape renoue avec la liturgie traditionnelle Par Jean-Marie Guénois, envoyé spécial à Rome
08/09/2008

Les catholiques découvriront samedi aux Invalides le retour de pratiques oubliées.
Dans la sacristie, il est celui qui veille aux vêtements liturgiques de Benoît XVI. Le pape entre, ils échangent un sourire, déjà concentrés sur la messe que le successeur de Pierre se prépare à célébrer. Mgr Guido Marini, jeune prélat italien de 43 ans, est le maître des célébrations liturgiques pontificales. Son visage d'enfant laisse entrevoir un regard très précis. Nul détail ne semble lui échapper. Mince, de haute taille, il aide avec respect le pape à revêtir ses ornements. Vient alors un temps de prière. La messe peut commencer.
Samedi matin, derrière l'autel installé sur l'esplanade des Invalides, Mgr Guido Marini aidera de la même manière Benoît XVI. En octobre 2007 celui-ci a nommé le jeune prélat à ce poste plus que sensible. Il est en charge de régler, à la seconde, les messes du pape : du choix des habits et accessoires liturgiques aux chants, sans oublier celui des calices et jusqu'aux attitudes du corps. C'est le style formel de la célébration de l'eucharistie qui repose entre ses mains. Quand on sait l'attachement de Benoît XVI pour la belle liturgie, il n'a pas pu choisir au hasard celui qui a remplacé un autre Marini, Piero Marini, dont le visage est plus connu puisqu'il fut le maître des célébrations de Jean-Paul II pendant une vingtaine d'années. En effet, le cérémoniaire (autre dénomination) est toujours à deux pas du pape pendant les grandes célébrations.
Une croix au centre de l'autel
Un poste exposé donc, médiatiquement et plus encore ecclésialement. Le jeune Guido Marini en sait quelque chose. Depuis quelques mois, il concentre sur lui des louanges mais aussi des critiques. Il incarnerait le retour de la tradition. En cause, des «innovations» liturgiques pour la messe du pape, qui sont toutes des reprises d'éléments oubliés ces dernières années. Mais il est vrai qu'en matière de liturgie le moindre symbole est lourd de sens.
Ainsi les Parisiens, samedi matin, et ceux qui suivront la messe de Lourdes, dimanche et lundi matin, ne seront pas surpris de voir que le Pape donnera la communion dans la bouche à des fidèles agenouillés, sauf évidemment si la personne en est physiquement empêchée. Que Benoît XVI, autre exemple, ne porte plus systématiquement le fameux bâton pastoral en argent de Jean-Paul II, un christ en croix, œuvre de Lello Scorzelli réalisée dans les années 1960 pour Paul VI, mais une croix grecque sans crucifié qui fut à la main de Pie IX (pape de 1846 à 1878). Qu'une imposante croix sera de retour au centre de l'autel elle avait été retirée, sous Jean-Paul II, pour une question d'images de télévision. Que les milliers d'hosties consacrées seront contenues dans des ciboires en métal précieux et non en terre cuite. Il faudrait également citer l'utilisation, pour de grandes fêtes, de mitres papales anciennes, richement parées et qui dormaient parmi les trésors du Vatican. Et l'usage, en certaines circonstances, du trône pontifical…
Autant de «nouveautés» qui rassurent certains mais inquiètent une partie de l'Église, quand elles n'agacent pas ceux qui dénoncent là «un retour en arrière». On raconte même que certains ont été quelque peu choqués par ces requêtes, quand Mgr Guido Marini est venu préparer à la mi-juin le voyage du Pape de cette semaine. Avec, en particulier, la question de la communion dans la bouche et à genoux.
Si Mgr Guido Marini n'est pas pour rien dans ces évolutions, ce serait mal connaître le fonctionnement du Saint-Siège que d'imaginer qu'il en soit l'unique responsable. D'autant qu'il existe dans l'Église catholique un «ministère» en charge de ces questions : la congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements. S'il conseille, le pape décide. C'est donc bien Benoît XVI qui souhaite ce nouveau cours. Le choix de ce maître des célébrations liturgiques pontificales lui a été conseillé par son secrétaire d'État, le cardinal Tarcisio Bertone, le numéro 2 du Saint-Siège, dont Mgr Guido Marini était le cérémoniaire quand il était archevêque de Gênes, prêtre remarqué là-bas pour son rayonnement pastoral, d'un tempérament doux et attentif à chacun, qualités qu'il n'a pas perdues à l'évidence au Vatican. Il est titulaire d'un double doctorat en droit, civil et canonique, et d'une licence en psychologie de la communication.
Dans son bureau lumineux du Vatican, à l'angle de la place Saint-Pierre, Mgr Marini explique : «Benoît XVI veut souligner que les normes de distribution de la communion dans l'Église catholique sont toujours en vigueur. On a oublié en effet que la distribution de la sainte communion dans la main est liée à un indult une exception, pourrait-on dire, accordée par le Saint-Siège aux conférences épiscopales qui en font la demande.» Il reconnaît que Benoît XVI a une «préférence» pour la communion dans la bouche mais que «l'usage de cette modalité n'enlève rien à l'autre modalité, recevoir l'hostie dans la main». En revanche, observe-t-il, «recevoir l'hostie dans la bouche met en lumière la vérité de la présence réelle dans l'Eucharistie, elle aide la dévotion des fidèles et introduit plus facilement au sens du mystère. Autant d'aspects qu'il importe aujourd'hui de souligner et qu'il est urgent de retrouver». Rien donc d'une fantaisie papale. Ces évolutions de formes liturgiques s'inscrivent dans une vision très nette de Benoît XVI et explicitement exprimées à Rome chez plusieurs interlocuteurs proches de lui : «Réaliser, à terme, une synthèse liturgique entre la messe de Paul VI et ce que la tradition peut lui apporter comme enrichissement».
Quant à la méthode pour y parvenir, elle refuse les sentiers d'une nouvelle guerre liturgique, mais elle entend reposer sur «la pédagogie» et «la patience». Toujours selon les tenants de ce dossier, le Pape entend combler «par l'exemple» des «carences» qu'il a toujours dénoncées depuis les années 1970 : le manque de «recueillement» et de «silence» ; la perte du «sens du sacré», ce qu'il appelle aussi le sens «cosmique» de la célébration liturgique où, selon la théologie catholique, et aussi orthodoxe d'ailleurs, «Dieu lui-même, par l'incarnation de son Fils, se rend réellement présent dans l'hostie consacrée».
«Servir le sens du sacré»
Mgr Guido Marini est formel : «Il ne s'agit pas d'une bataille entre anciens et modernes, encore moins entre préconciliaires et conciliaires. Ce genre de problématique idéologique est aujourd'hui dépassée. L'ancien et le nouveau appartiennent au même trésor liturgique de l'Église. La célébration liturgique doit être lacélébration du mystère sacré, du Seigneur crucifié et ressuscité. À nous de trouver, dans le patrimoine de la liturgie, une continuité pour servir ce sens du sacré.» Et il fait remarquer, au passage, que beaucoup se focalisent sur les quatre ou cinq évolutions de ces derniers mois sans voir qu'il travaille tout autant avec «l'héritage» de ses prédécesseurs, dont Mgr Piero Marini. «Il n'y a pas de rupture avec ce qui se faisait avant», assure-t-il. Quant à l'usage du trône pontifical ou d'anciennes mitres, il n'est pas systématique : ils sont utilisés «uniquement en certaines solennités».
Pas de rupture certes, mais ce mouvement de réforme douce de la liturgie, pour symbolique qu'il soit dans ses apparences, est solidement ancré dans la pensée de Benoît XVI. Il n'en a jamais rien caché avant de devenir pape. Dans ses Mémoires, Ma Vie, Souvenirs 1927-1977, publié il y a dix ans en France chez Fayard, Joseph Ratzinger annonçait la couleur en relatant la réforme liturgique du concile Vatican II qu'il avait vécue à l'âge de 40 ans : «J'étais consterné, écrit-il, de l'interdiction de l'ancien missel, car cela ne s'était jamais vu dans toute l'histoire de la liturgie (…). Une réconciliation liturgique qui reconnaîtrait l'unité de l'histoire liturgique, et verrait en Vatican II non une rupture mais une étape, est d'une nécessité urgente pour l'Église. Je suis convaincuque la crise de l'Église que nous vivons aujourd'hui repose largement sur la désintégration de la liturgie (…) Nous avons besoin d'un nouveau mouvement liturgique, qui donne le jour au véritable héritage du concile Vatican II.» Comme le dit un fin connaisseur de la vie romaine, le P. Federico Lombardi, un jésuite expérimenté qui dirige Radio Vatican et la salle de presse, il faut se méfier «des interprétations» qui conduiraient à considérer ces évolutions comme une révolution. Mais tout laisse penser que ce «nouveau mouvement liturgique» est bel et bien lancé. Benoît XVI n'envisage pas de le diffuser par voie réglementaire, mais par la force de l'exemple.