5 janvier 2012

[Paix Liturgique] Réconciliation entre Rome et la Fraternité saint Pie X - Pour établir la confiance : passer en matière traditionnelle de la tolérance parcimonieuse au droit

SOURCE - Paix Liturgique n°316 - 5 janvier 2012

Infatigable pèlerin de la paix liturgique, le Saint Père Benoît XVI n’a eu de cesse de favoriser depuis le début de son pontificat le règlement de la situation canonique de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X fondée par Monseigneur Marcel Lefebvre : levée des excommunications qui frappaient les quatre évêques de la Fraternité sacrés en juin 1988 à Écône, que Rome a prononcée en janvier 2009 ; mise en place de discussions doctrinales avec la Congrégation pour la Doctrine de la foi.

Ces discussions étant terminées, on sait que le 14 septembre dernier, une nouvelle étape a commencé avec la remise de documents par le cardinal Levada, Préfet de cette Congrégation à Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X. La solution canonique proposée à la Fraternité s’inspire du statut de l’Opus Dei, c’est-à-dire serait une prélature personnelle jouissant d’une grande autonomie.

L’intégration dans le paysage ecclésial officiel des 550 prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X, de ses évêques, de ses religieux et religieuses, de ses séminaires et de ses écoles, tous pratiquant la liturgie traditionnelle et attachés à ce qu’elle représente du point de vue de la lex credendi serait une chance historique pour la réconciliation et l’Unité de l’Église, et opèrerait un mouvement notable vers un rééquilibrage liturgique et doctrinal. Ce sont les deux grands motifs qui font que le Pape veut cette régularisation.

Mais pour que ce processus voulu par le Pape et ses proches n’avorte pas, on ne peut faire l’économie de l’établissement d’un réel climat de confiance. Et cela des deux côtés. Les torts, de ce point de vue, existent assurément du côté de la Fraternité. Mais nous ne parlerons ici que de la confiance que doit établir l’Église officielle pour obtenir le résultat voulu par le Saint-Père. En effet, notre expérience dans un domaine proche, celui de l’application du Motu Proprio, nous permet de mesurer les obstacles à l’établissement de cette confiance. Ils se situent à deux niveaux :
- celui des prélats hostiles à tout ce qui est traditionnel ;
- et celui des prélats de bonne volonté.

Sur ces deux niveaux pèse, différemment mais réellement, un fardeau idéologique qui peut se résumer ainsi : le Concile Vatican II a fait des « perdants » que l’on doit, ou bien maintenir dans la marginalisation (1er niveau), ou bien auxquels on doit laisser une place mais en les cantonnant dans un statut un secondaire (2ème niveau). Le critère majeur étant celui de la liturgie : ces « perdants » n’acceptent pas le bouleversement qu’elle a subi à la fin des années 60, autrement dit, ils n’acceptent pas d’être des perdants, méchants ou gentils, mais perdants.

I – L’OPPOSITION FRONTALE OU INSIDIEUSE À TOUT CE QUI EST TRADITIONNEL

La réalité de nos diocèses, de nos paroisses, la mentalité des porte-paroles officieux ou officiels de l’Église de France ne nous poussent guère à l’optimisme. Il suffit de lire la « grande presse catholique » pour s’en rendre compte. Il est certain que si l’annonce d’une régularisation de la FSSPX intervenait, une nouvelle et violente campagne se déclencherait contre le Pape.

La grande difficulté de la réconciliation entre Rome et la FSSPX tient certainement à la faillite liturgique, doctrinale et humaine et à la pseudo-intelligentsia qui tient le haut du pavé dans une écrasante majorité des diocèses et des paroisses en France et à travers le monde. Psychologiquement, cette dure réalité ne facilite guère le retour au bercail de la Fraternité Saint-Pie-X et fait craindre qu’elle n'alimente, comme ce fut le cas en 1988, bien des blocages à l’intérieur de la Fraternité et des communautés religieuses amies. En d’autres termes, le Pape, comme Mgr Fellay ont une marge de manœuvre qui peut sembler réduite. Pourtant, si à cause de ces blocages, la régularisation était aujourd’hui repoussée à plus tard, ce serait en fait pour très longtemps (pour Benoît XVI, il n’y aurait plus d’autre possibilité de réitérer une telle proposition, et la FSSPX tendrait alors, bon gré mal gré, vers un état de communauté définitivement autocéphale)… ceci à la grande joie des ennemis de l’unité et de la paix dans l’unique Église du Christ.

Pour notre part, nous comprenons bien que, dans le contexte d’opposition militante de la plupart des évêques au Motu Proprio de Benoît XVI que nous connaissons bien, un certain nombre de membres de la Fraternité puissent ne pas avoir confiance et penser que son retour ne devienne un vrai piège peuplé de chausses trappes et de promesses mensongères. Sauf que, à la différence des fidèles qui demandent l’application du Motu Proprio, les membres de la FSSPX, même après une officialisation de son statut, resteront quant à eux indépendants des évêques.

Mais ce climat général de mauvaise volonté épiscopale vis-à-vis de la liturgie extraordinaire alimente inévitablement les préventions d’un certain nombre de membres de la FSSPX et des communautés religieuses amies, qui estiment dès lors qu’un rapprochement avec Rome est « prématuré » (ce qui revient à dire impossible), et qui le font fortement savoir ad intra. Ainsi font-il valoir que les évêques n’appliquent déjà pas le Motu Proprio de 2007 pour les fidèles et les prêtres restés dans la pleine communion de l’Église : pourquoi se montreraient-ils alors plus généreux avec la Fraternité demain ? C’est encore une fois oublier que la situation proposée à la FSSPX ne dépendra pas des évêques diocésains, ni pour la célébration de la messe dans ses prieurés, écoles, centres de messes, ni pour donner « officiellement » les sacrements (baptêmes, mariages, confirmations et par-dessus tout ordinations).

Cependant, il est vrai que l’attitude des évêques diocésains sert de repoussoir puissant et que si, théoriquement, ils ne pourront plus refuser à un prêtre de la FSSPX régularisée de venir célébrer telle cérémonie dans une paroisse, ils y mettront bien des obstacles. Des prêtres de la FSSPX nous interrogent : combien d’évêques, depuis le Motu Proprio de juillet 2007, ont célébré publiquement la forme extraordinaire du rite romain dans leurs cathédrales ? Combien montrent eux-mêmes régulièrement l’exemple ? Combien d’évêques ont laissés les curés de leur diocèse appliquer librement le Motu Proprio ? Ce qui les frappe, c’est le peu d’écho des mesures pacificatrices de Benoît XVI, voire l’opposition sourde ou militante qu’elles génèrent jusque dans les milieux les plus proches du Saint-Père.

Quatre ans et demi après la promulgation du Motu Proprio, les faits sont là. La Fraternité Saint Pie X n’a cessé d’attirer notre attention sur cette douloureuse réalité, et notamment sur trois points :

A/ Une mentalité négationniste

à notre remarque relative à la publication de 15 sondages concordants dans le temps et l’espace, qui démontrent l’existence potentielle d’un très large public pour la messe extraordinaire, ce qui devrait grandement réjouir les communautés Ecclesia Dei et la FSSPX, des prêtres de la FSSPX nous répondent : tout ceci intéressera probablement demain des historiens, mais depuis 40 ans, l’Église traverse une crise de la négation de la réalité. Au-delà des résultats de nos sondages qui révèlent que plus d’un tiers des catholiques pratiquants assisteraient à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans leur paroisse, ces prêtres retiennent qu’aucun évêque (ou quasiment aucun) n’a pris le taureau par les cornes en proposant, de sa propre initiative, d’abord par charité et dans un souci de Paix, ce trésor liturgique à ses fidèles.

B/ Une défiance vis-à-vis du Pape

une Église où les maîtres à penser connaissent mieux la situation que le pape : quoi que fasse, dise ou écrive le Pape, on trouve toujours des "autorités" pour expliquer que cela ne s’applique pas en l’espèce car "nous avions anticipé la demande", ou car "on ne sait pas vraiment ce que veut le Saint Père"... Hélas, de tels procédés déloyaux s’appuient bien souvent sur le fait erroné que le pape lui-même n’aurait jamais célébré publiquement la forme extraordinaire du rite romain.

C/ Et surtout le fait que l’écrasante majorité des fidèles qui ont demandé l’application du Motu Proprio dans leurs paroisses s'est fait « mener en bateau » par un clergé hostile au Motu Proprio. Les prêtres de la FSSPX qui nous interrogent de manière désabusée notent également qu’on préfère aujourd’hui appliquer le Motu Proprio... de 1988 plutôt que celui de 2007. Ainsi c’est encore quasiment partout l’évêque qui décide que la messe traditionnelle sera célébrée - quand elle l’est dans son diocèse - à tel ou tel endroit, à telle ou telle fréquence.
De la liberté donnée officiellement aux curés dans le texte du Motu Proprio de Benoît XVI, il ne reste pas grand-chose après que le rouleau compresseur épiscopal a passé par là. Interdictions, pressions, chantages à la mutation... de nombreux prêtres diocésains se confieraient régulièrement en ce sens à des prêtres de la Fraternité.

Le pire est qu’il n’est pas besoin d’être grand clerc pour imaginer comment de tels évêques, qui s’opposent au Motu Proprio, vont profiter de la régularisation de la FSSPX, si elle se réalise, en renvoyant vers elle les malheureux fidèles qui leur demanderont l’application du Motu Proprio dans leurs propres paroisses. Pour certains stratèges épiscopaux, la réconciliation de la FSSPX, c’est la part du feu : mieux vaut un St-Nicolas-du-Chardonnet « réconcilié » que vingt célébrations extraordinaires dominicales dans les paroisses de Paris.

II – UNE « GÉNÉROSITÉ » PRÉCAUTIONNEUSE

Bien entendu, l’obstacle à la confiance que nous venons de décrire – et qui est surtout psychologique, du fait de la grande indépendance dont jouirait une Fraternité reconnue – n’existe pas du côté des évêques et responsables qui souhaitent cette réconciliation et spécialement du côté des prélats romains qui sont en charge de la mettre en œuvre.

Mais il y a aussi de leur côté un obstacle à la confiance, dont notre pratique du Motu Proprio nous a largement démontré la prégnance. Nous est-il permis de remarquer que ces responsables chargés d’organiser la reconnaissance de la FSSPX sont les mêmes que ceux qui sont censés chargés d’imposer le Motu Proprio auprès des évêques récalcitrants et qui le font avec, disons, un empressement modéré ? Ou encore que les évêques favorables à une reconnaissance de la FSSPX sont aussi les mêmes qui, dans leur diocèse, ont encore des réticences à proposer tant dans leurs cathédrales que dans les principales paroisses de leur diocèse la célébration extraordinaire, ou bien n’acceptent les séminaristes « extraordinaires » qu’au prix de tant de conditions qu’ils semblent vouloir les décourager.

Les uns et les autres (à Rome et dans les diocèses) sont pleins de bonne volonté. Mais dire qu’ils sont « généreux », comme on le fait volontiers, semble indiquer qu’ils accordent quelque chose qui ne serait pas de droit. Certes, nous les remercions profondément, car c’est justice, chaque fois qu’ils agissent en faveur de la liturgie traditionnelle, mais nous n’acceptons pas pour autant que les catholiques qui demandent de vivre selon la liturgie traditionnelle et tout ce qui va avec, selon l’expression consacrée, soient traités comme des catholiques de seconde zone auxquels on concède « généreusement » un privilège. Lorsque l’on accorde une paroisse à une communauté charismatique, personne ne songe à parler de « générosité ». Quand le Saint-Siège reconnaît telle communauté nouvelle, fait-on valoir sa « générosité » ? Pourquoi un évêque serait-il considéré comme « généreux » quand il permet la célébration d’une messe extraordinaire, alors que personne ne songe à lui faire ce compliment quand il permet au Chemin Néo-Catéchuménal de célébrer (si l’on peut dire !) dans telle église, ou à tel groupe œcuménique de se livrer à ses pratiques dans telle autre ?

Le tiers de catholiques pratiquants qui voudraient pratiquer la liturgie traditionnelle (et bientôt au moins la moitié, si cela devenait réellement possible, sans parler de l’amenuisement inéluctable du nombre des autres pratiquants) sont-ils donc des semi-parias pour qu’on doive leur octroyer avec « générosité », ce qui est en réalité leur droit ? Pourquoi faut-il qu’un catholique, un prêtre, ou un séminariste, qui veut vivre et prier traditionnellement soit toujours obligé de remplir une foule de conditions, passer par toutes sortes de probations, subir le poids d’une suspicion continue ?

Et donc, comment mettre en confiance des gens que leurs pasteurs, même les plus bienveillants, à Rome et dans les diocèses, ne peuvent s’empêcher de considérer avec une évidente et blessante défiance ? Demande-t-on à des fidèles de l’Emmanuel de constituer un « groupe stable », avec liste des noms et adresses avant de lui accorder un lieu de prière ? Exige-t-on d’un établissement universitaire qui se dit catholique de signer un « Préambule doctrinal » avant de recevoir le droit de répandre son enseignement (le plus souvent tout le contraire de catholique, au vu et au su de tous) ? N’est-ce pas au fond toute la difficulté de l’application du Motu Proprio (et de la même manière la difficulté de la reconnaissance de la FSSPX), qui est de considérer comme des catholiques a priori un peu suspects et potentiellement dangereux ceux qui se réclament d’une conception liturgique et catéchétique traditionnelle ?

« Dangereux », ils le sont en effet pour une Église exténuée par « l’Esprit du Concile », si on considère leur âge moyen, la prospérité de leurs œuvres, le succès de leur catéchisme, l’accroissement des séminaires des communautés voués à cette conception liturgique et doctrinale. Oui, dangereux, comme un médicament un peu énergique est « dangereux » pour la tranquillité d’un malade. Il risque de l’aider à guérir...

III - NOS VŒUX :

L’affaire de la FSSPX nous donne ainsi l’occasion de le souligner : il est capital pour l’établissement d’une vraie et féconde Paix de l’Église – qui est d’abord une Paix liturgique – d’établir la pleine confiance entre les Pasteurs de bonne volonté et les catholiques allergiques à « l’Esprit du Concile », spécialement en matière liturgique, en passant réellement à leur égard de la tolérance au droit. Ces réflexions nous permettent de faire part d’une supplique que nous allons envoyer au Saint -Père à l’occasion de nos vœux pour 2012 :

« Combien nous aimerions, Très Saint Père, que, pour manifester que doit être dépassé cet état de tolérance qui reste attaché à l’histoire de la Commission Ecclesia Dei, vous établissiez une Commission Summorum Pontificum pour le soin et la protection des millions de catholiques du monde entier qui désirent vivre en paix leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire dans leurs paroisses en parfaite communion avec l’Église, avec cette égalité de droits qu’on leur marchande encore en raison du poids de l’idéologie et de toutes sortes de craintes irraisonnés.

Et nous vous supplions aussi, Très Saint Père, dans ce même esprit – à savoir, que soit manifesté le droit de Cité des catholiques de plus en plus nombreux attachés aux choses traditionnelles – de célébrer vous-même publiquement la messe en sa forme extraordinaire. Pour témoigner de la sorte que, si la liturgie romaine est unique, elle se vit au rythme de ses deux formes, et que notre Père commun affirme que la messe traditionnelle est bien un extraordinaire trésor spirituel pour toute l’Église et des dizaines de millions de catholiques à travers 5 continents ».

Tels sont nos souhaits pour cette nouvelle année qui, espérons-le, verra l’Église et ses fidèles avancer sur le chemin de la Paix, de l’Unité et de la réconciliation.