18 février 2009





Mgr Genoud: «Je ne crois pas à une réintégration rapide d’Ecône»
18/02/2009 - Laurent Grabet - 24heures.ch
L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg évoque la polémique qui agite l’Eglise catholique après la main tendue par Benoît XVI à ses homologues intégristes de la Fraternité Saint-Pie X. LAURENT GRABET, FRIBOURG | 18.02.2009 | 00:03
A peine franchi le pas de la porte, Benoît XVI nous fait face… Son sourire rayonnant et son regard bienveillant sont, comme il se doit, accrochés sous cadre au mur de l’évêché de Fribourg. Arrive ensuite le maître des lieux, en la personne de M gr  Bernard Genoud. Malgré la crise qui frappe l’Eglise catholique depuis le 24 janvier dernier, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg semble tout aussi serein et souriant que son supérieur hiérarchique.
-Beaucoup de catholiques ont été choqués par la décision de Benoît XVI de lever l’excommunication des quatre évêques intégristes de la Fraternité Saint-Pie X. Ne risquez-vous pas de les perdre? Le jeu en vaut-il la chandelle?
–Il est légitime de se poser la question. Des fidèles et même des prêtres sont effectivement venus me trouver. La négation de la Shoah par Mgr Williamson quelques jours seulement avant l’annonce de la levée de son excommunication, a notamment été très mal vécue. Et, même si je le déplore, je comprends que certains catholiques puissent vouloir sortir de l’Eglise.
Tendre une main à qui que ce soit, comme vient de le faire le pape, est en soi un acte positif. Dans la parabole biblique, le père tend la main au fils prodigue, au risque de perdre son autre fils, qui lui était resté fidèle. L’histoire ne dit d’ailleurs pas si ce dernier reste ou non. La grande différence avec le cas présent, c’est que le fils prodigue, lui, s’était préparé au retour en reconnaissant sa faute. Alors que, quand j’entends certains responsables d’Ecône dire qu’ils refuseront Vatican II quoi qu’il arrive…
–Vous ne semblez pas croire à une réunification rapide?
–Pas vraiment. La Fraternité Saint-Pie X est elle-même divisée. Certains, comme Mgr Fellay, veulent se rapprocher du Vatican. D’autres, comme Mgr Williamson, pas.
–Des analystes avancent même que ce dernier aurait fait sauter une «bombe intellectuelle négationniste» à dessein, pour saborder tout rapprochement avec le Vatican. Qu’en pensez-vous?
–Des sources dignes de foi me l’ont effectivement assuré. Ce serait d’un cynisme gravissime! Mais à voir à quel point Mgr Williamson a du mal à se rétracter, j’ai tendance à croire que c’est effectivement le cas.
–Quand avez-vous été informé de la levée de l’excommunication?
–Il y avait de vagues bruits deux ou trois jours avant qu’elle ne tombe. Mais elle m’a été confirmée en même temps que tout le monde, par la radio. Etant évêque dans un pays où la Fraternité en question est implantée, j’aurais aimé en être informé avant. Cela m’aurait permis de décoder cette décision.
–C’est-à-dire?
–D’expliquer aux fidèles que cette levée n’est en aucun cas une réintégration des intégristes au sein de l’Eglise. Une barrière a simplement été levée. Pour la franchir vraiment, les disciples d’Ecône devront accepter les grandes avancées du concile Vatican II, notamment l’œcuménisme et la reconnaissance de la liberté religieuse.
–Au-delà de cette polémique, le fossé se creuse entre le Vatican et les croyants. Beaucoup regrettent la «rigidité» et le «dogmatisme» d’une Eglise «trop hiérarchisée»…
–L’humanité en général est hiérarchisée et l’église, elle aussi est humaine… Si le fossé se creuse, ce n’est toutefois pas son supposé dogmatisme qui est en cause, mais plutôt la perte des valeurs qu’engendre notre façon de voir le monde.
–A ce titre, vous pensez que la crise économique pourrait se révéler bénéfique. Comment?
–En recentrant les hommes sur leurs vraies valeurs et en faisant comprendre à ceux qui nous dirigent que ce monde ne carbure pas qu’à l’argent, au pouvoir, au sexe, au paraître ou à l’audimat… Que l’objectif d’une vie n’est certainement pas de devenir le plus riche du cimetière! Que l’«avoir» prend trop de place.
–Benoît XVI semble aujourd’hui bien mal placé pour accompagner cette révolution des esprits ou pour négocier cet «immense virage du troisième millénaire de l’Eglise» que vous appeliez de vos vœux il y a quelques années.
–Je n’en suis pas si sûr! C’est un très grand théologien, mais depuis qu’il est pape, son côté pastoral a pris le dessus. Il n’a pas le même charisme médiatique que Jean-Paul II, mais son sens du contact et sa capacité à parler simplement à tous, constatés notamment lors des Journées mondiales de la jeunesse, m’ont impressionné.
–Ce pape n’est-il tout de même pas un peu déconnecté des réalités?
–Quoi qu’en disent certains, globalement, je ne crois pas en tout cas que nous revenions en arrière avec lui. L’ordination d’hommes mariés ou la participation des laïques à la prédication par exemple, nous y viendrons. Par contre, certains catholiques espèrent aussi des choses impossibles, comme d’ouvrir la prêtrise aux femmes ou de mettre fin au célibat des prêtres déjà ordonnés.
–Malgré la polémique, vous semblez très serein. Pourquoi?
–Nous survivrons! L’Eglise est, comme il a été dit, «une princesse en haillon qui chemine entre les persécutions des hommes et les consolations de dieu». Que la société nous tape dessus est au final plutôt bon signe. Notre éthique dérange. J’aimerais même qu’elle le fasse davantage. Au point de susciter de vraies questions et des conversions.
–Lever l’excommunication de Mgr Richard Williamson «le négationniste», ne revient-il pas implicitement pour Benoît XVI à cautionner l’antisémitisme?
–Evidemment non! Principalement car le pape l’a fait sans être au courant des déclarations inadmissibles et stupides de cet évêque britannique. Ce qui est presque aussi grave en revanche, c’est qu’il ne se soit trouvé personne au Vatican pour l’en informer avant!
–Que vous inspirent ces propos comme quoi «200 000 à 300 000 juifs seraient morts dans les camps de concentration nazis et pas un seul dans les chambres à gaz»?
–Ils me dépassent! Comment peut-on être négationniste? Il y a quand même des vérités historiques qu’on ne peut pas nier. J’ai moi-même visité le camp d’extermination polonais d’Auschwitz. J’y ai vu jusqu’où l’homme peut aller. Ce «scandale du mal» et cette technicité à son service! Difficile de douter de l’existence du Démon après ça. Je ne comprends pas non plus qu’on puisse être antisémite et catholique. C’est incompatible! Jésus, Marie, Joseph et les apôtres étaient Juifs. N’oublions pas que nous sommes judéo-chrétiens et pas seulement chrétiens!
–L’Eglise n’a pas toujours été aussi claire sur ces questions…
–«Spirituellement, nous sommes des Sémites», disait Pie XII. L’époque où l’on évoquait en chaire les Juifs comme «le peuple déicide» est révolue. Moi qui ai été ordonné prêtre en 1968, je ne l’ai même pas connue. La lettre rédigée dernièrement par Mgr Kurt Koch, président de la Conférence des évêques suisses, et les prises de position du Saint-Père sont très claires sur notre volonté d’entretenir des relations harmonieuse avec les Juifs.
L. GR.