22 mai 2006

Entretien avec Mgr Ranjith dans le Tagespost du 22 mai 2006
Commenté par www.dici.org
Dans le Tagespost, le journaliste allemand Guido Horst rapporte une entrevue avec Mgr Ranjith. On avait ouvert l’Eglise au monde moderne. On avait repensé les relations de l’Eglise catholique avec les autres confessions chrétiennes, avec l’islam et le judaïsme. On avait pris en compte l’existence des médias, on s’était préoccupé de développement, de paix et de justice sociale. On s’était penché sur les questions structurelles de l’Eglise, et aussi sur le rôle des laïcs dans le monde. On avait récolté les fruits du Concile Vatican II: tout était prêt, l’avion "Eglise" pouvait et devait décoller. Mais voilà, rien ne s’est passé, la machine ne s’est jamais élevée. L’envol de l’Eglise vers les cimes ne s’est tout simplement pas produit.
C’est ainsi que Mgr Ranjith décrit la situation pour le moins défectueuse de l’Eglise catholique durant la période post-conciliaire. Ce membre de la curie romaine, né en 1947 dans la ville indienne de Polgahawela, est depuis décembre dernier secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements - et donc le "2ème homme" de cette Congrégation. En collaboration avec le cardinal Arinze, originaire du Nigeria, il dirige ce dicastère chargé d’élaborer d’éventuelles "réformes" liturgiques de l’Eglise catholique.
Qui est Mgr Ranjith? Son origine indienne n’apparaît pas au premier abord - il y a des habitants de l’Inde chez qui cela se voit -. Mais ses mains, aux doigts fins et allongés, qui soulignent chacune de ses paroles, trahissent en lui l’Asiatique. Son nom complet est Albert Malcolm Ranjith Patabendige Don, mais je crois que personne à Rome ne sait au juste distinguer là un nom et un prénom! Qu’importe, pour tous il est simplement Mgr Ranjith. Son retour à la Curie romaine, il y a cinq mois, après avoir été au service de la diplomatie vaticane, est dû à une des seules décisions personnelles prises par Benoît XVI jusqu’ici.
On sait que Rome s’est toujours intéressée de près à la liturgie. Pourtant lors d’une entrevue avec Mgr Ranjith dans un simple salon d’accueil de la Congrégation pour le Culte divin, celui-ci nous a fait rapidement comprendre qu’il ne faut pas s’attendre à des réformes immédiates.
On croit savoir - et on en a beaucoup parlé ces dernières semaines - que l’art et la manière de célébrer le culte de l’Eglise est une épine dans le pied de notre nouveau pape; il serait question d’une "réforme de la réforme". D’ailleurs le cardinal Ratzinger lui-même, du temps où il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, avait beaucoup écrit à ce sujet.
Les rumeurs se sont multipliées lorsque, au cours de l’été dernier, Benoît XVI avait rencontré Mgr Bernard Fellay, le supérieur de la Fraternité S. Pie X créée par Mgr Lefebvre. Depuis, sur les sites Internet traditionalistes on lit que "quelque chose bouge à Rome" en ce qui concerne l’autorisation de célébrer plus largement la messe dite "tridentine". Avant les fêtes de Pâques on pouvait entendre à Rome que le pape allemand allait certainement clarifier très rapidement la question des rites et proposer une possibilité d’une utilisation généralisée de l’ancien missel. Mais il ne s’est rien passé. Au point qu’on peut se demander si réellement quelqu’un s’intéresse encore à la liturgie...
Mgr Ranjith confirme pourtant: si, bien sûr, le sujet est toujours d’actualité. Et d’après lui, le problème est en relation étroite avec le fait qu’après le Concile l’ "avion-Eglise" n’a pas décollé. Selon Mgr Ranjith, le Concile Vatican II a voulu hisser l’Eglise à son plus haut niveau et l’armer contre la sécularisation du monde moderne. Mais il s’est passé ensuite exactement le contraire - et ce, contre la volonté du Concile -. La sécularisation s’est introduite comme un voleur dans l’Eglise et s’est attaquée à ce qui aurait dû être au cœur de tout "aggiornamento", donc au centre de toute réforme et de tout e progrès: la foi. La foi en la proximité de Dieu, en l’action surnaturelle des sacrements, à la présence du Christ à la messe et dans l’Eucharistie.
Le pape Benoît XVI est intimement persuadé que la liturgie aurait dû constituer le cœur même d’un renouveau de l’Eglise. Mais à cause de sa sécularisation, et de sa propension à célébrer l’homme plutôt que Dieu, il a manqué à l’Eglise, pour prendre un nouveau départ, la force que donne la foi.
Si l’on demande à l’évêque un exemple pour illustrer ses dires, il sourit et raconte: "Lors de la Journée mondiale de la jeunesse à Paris en 1997, une jeune fille a pris le micro et a demandé au pape Jean-Paul II de rappeler à ses prêtres combien il était important qu’ils parlent à nouveau de Dieu." Mgr Ranjith avait été très ému par ces paroles. Il avait pensé à tous ces endroits où la liturgie n’était plus l’occasion de prier et d’adorer Dieu, d’honorer Jésus-Christ dans le silence, mais de célébrer l’homme...
Mais que peut-on faire? Si une "réforme" liturgique devait avoir lieu, un renouveau du caractère sacré de la liturgie, cela devrait se faire dans le cadre d’une sorte de mouvement liturgique. Le rétablissement du sens de l’Eucharistie ne se décrète pas par un "motu proprio" du pape. La position de Mgr Ranjith est claire: ce mouvement liturgique, si nécessaire, serait au fond un nouvel éveil à la foi. Pour l’évêque indien, il ne s’agit pas d’obtenir un indult et une autorisation exceptionnelle donnée à tel ou tel groupe de fidèles désireux de célébrer à nouveau l’ancienne messe, mais de provoquer un retour à la foi en la présence de Dieu à son Eglise et plus particulièrement à travers la célébration de l’Eucharistie.
Et le pape? Que fait le pape? Pour Mgr Ranjith, Benoît XVI, doué d’une intelligence exceptionnelle, est celui qui observe, sachant exactement dans quelle situation se trouve l’Eglise. Et il est celui qui justement voudrait faire jaillir l’étincelle d’un renouveau de la foi capable de redonner à la liturgie son caractère sacré et surnaturel. La Congrégation pour le Culte divin est toute prête à suivre les indications du pape, dit Mgr Ranjith. Mais on a parfois l’impression que Benoît XVI n’a pas encore l’intention de poser des actes concrets et d’opérer des changements dans le domaine si délicat de la liturgie.
Le samedi avant la Pentecôte, lors de la célébration de la Vigile sur la place St Pierre, le pape rencontrera des membres et des sympathisants de plus de 130 mouvements d’Eglise et communautés nouvelles. D’après le programme diffusé par le Conseil pour les laïcs qui organise ce rassemblement, ces fidèles se répartiront la veille dans 50 églises de Rome, pour préparer dans la prière "les chemins de l’Esprit-Saint". Le Pape profitera-t-il de cette occasion pour proposer à ces nouvelles communautés ce mouvement liturgique qu’il appelle de ses vœux, et qui est au fond un nouvel élan de la foi?
 Notre conversation avec Mgr Ranjith a en tout cas mis clairement en évidence que le pape n’est pas homme à prendre n’importe quelle décision en matière de liturgie, mais qu’il vise à l’essentiel: une renaissance et un approfondissement de la foi.