13 décembre 2006

Benoît XVI ouvre les bras aux Traditionalistes
Céline Pascot - Minute - 13 décembre 2006
Benoît XVI ouvre les bras aux Traditionalistes Merci au Bon Pasteur
Chez les cathos tradis, on ne savait plus que croire – hormis en Dieu bien sûr. On savait que des pourparlers étaient en cours avec Rome, mais depuis le temps qu’on parlait de rapprochement… Et puis vendredi, l’accord a été signé. Les tradis sont dans Rome. Du moins une partie d’entre eux. Mais pas des moindres.
«Pour l’abbé, hip, hip, hip ! » « Hourra ! » enchaînent les paroissiens. A la sortie de l’église Saint-Eloi, dimanche dernier à Bordeaux, sur un parvis réduit à sa plus simple expression en raison de travaux de voirie mais où l’on parvient tout de même à se masser, qui derrière les barrières, qui dans l’enceinte du chantier, un triple ban accueille l’abbé Philippe Laguérie, qui, durant l’office, du haut de la chaire, vient d’annoncer la bonne nouvelle qu’il avait laissé espérer le dimanche précédent en confiant aux fidèles qu’il partait pour Rome : l’accord est enfin signé, un accord qu’il n’est pas exagéré de qualifier d’historique entre le Saint-Siège et des prêtres traditionalistes.
Interpréter le concile, c’est possible
Deux jours plus tôt, le vendredi 8 septembre, en la fête de la Nativité de la Vierge Marie, le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation du clergé, a érigé, au nom du Saint-Siège, l’Institut du Bon Pasteur en société de vie apostolique. Présenté comme cela, il n’y a pas de quoi émouvoir les foules. La nouvelle, pourtant, diffusée dès 13 heures par une agence de presse vaticane, soit une heure après que l’accord a été officiellement conclu, est reprise par l’ensemble des médias, journal de 20heures inclus. Pourquoi un tel intérêt pour un sujet, qui, a priori, n’intéresse pas la presse ? Parce que ce qui vient de se passer brise une logique de rupture, une dynamique de séparation même entre Rome et les catholiques traditionalistes qui, enclenchée après la décision de Mgr Marcel Lefebvre de sacrer quatre évêques en juin 1988 contre la volonté de Rome, n’avait fait que s’accroître et dont on finissait par penser qu’elle était sans issue.
Or l’accord de la Nativité a ceci d’exceptionnel – de « formidable » a dit l’abbé Laguérie – qu’il a été initié par Benoît XVI, qu’il a obtenu le plein accord de la conférence épiscopale française et qu’il accorde aux traditionalistes, plus que le droit de pratiquer le rite tridentin (la messe en latin et la liturgie d’avant le concile Vatican II), le devoir de le faire ; plus, aussi, que le droit de critiquer ce fameux concile, le devoir là encore de procéder à une « critique sérieuse » de celui-ci permettant au Saint Siège d’en livrer « une interprétation authentique », reconnaissance implicite, de la part de Rome, que celle-ci n’a jamais été donnée.
Des exclusions au final bénéfiques
Concrètement, ce 8 septembre, le cardinal Castrillon-Hoyos, préfet de la Congrégation du clergé, a érigé (créé), au nom du Saint-Siège, un institut de droit pontifical appelé Institut du Bon Pasteur, dont le siège est à Saint-Eloi et dont l’abbé Laguérie est le supérieur. Il peut – et va – ouvrir un séminaire à Courtallain, ainsi qu’un convict (une maison d’études) à Rome, afin de permettre aux prêtres et séminaristes avancés dans leurs études de terminer leur formation et d’obtenir les grades universitaires. « L’usage exclusif de la liturgie grégorienne » lui est octroyé, et le rite traditionnel est le « rite propre » de l’Institut, ainsi que le cardinal Castrillon Hoyos l’a clairement exprimé. Et le fait que l’Institut soit érigé ad experimentum pour cinq ans n’est pas le produit d’une méfiance romaine particulière ; c’est, sinon la règle, du moins l’usage.
Ce « pape de géant », selon le lapsus commis dimanche par l’abbé Laguérie qui voulait bien sûr parler de « pas de géant » – à moins que ce ne soit la sono défaillante qui ait révélé l’inconscient du prêtre… – est paradoxalement dû, involontairement s’entend, à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, créée en 1970 par Mgr Lefebvre et qui, dirigée aujourd’hui et pour douze ans encore par Mgr Fellay, puisqu’il vient d’être reconduit à sa tête, s’oppose, elle, à un accord qu’elle juge insatisfaisant pour des raisons qui sont sans doute très valables mais qu’il serait nécessaire qu’elle explique un peu précisément.
C’est en effet « grâce » à la Fraternité que l’abbé Aulagnier d’abord, qui en avait été le supérieur pour le district de France, puis les abbés Laguérie et Héry, enfin l’abbé de Tanoüarn, ont eu toute liberté de négocier avec le Vatican, la Fraternité Saint-Pie X ayant décidé de la leur rendre, cette liberté, en les priant tour à tour d’aller exercer leurs compétences ailleurs. Ce fut, pour les trois derniers du moins, la fameuse crise de l’été 2004, que nous avions été les premiers à relater sous le titre « Du rififi chez les cathos tradi » (« Minute » n° 2168 du 25 août 2004).
A ces exclusions qui suivirent le rififi donc, malheur fut bon. Remercié en avril 2005 – le mois de l’élection de Benoït XVI au trône pontifical –, l’abbé de Tanoüarn, qui allait créer le Centre Saint-Paul à Paris, entreprit un rapprochement avec Rome, qui, pour qui connaît Tanoüarn, ne pouvait être accompagné d’aucun reniement. Pour rendre à César ce qui est à César, c’est l’abbé Claude Barthe, auteur notamment de Quel chemin pour l’Eglise (2004), qui, le premier, engagea les négociations avec la Curie afin d’obtenir la levée des sanctions à l’égard de ceux qui le souhaitaient. Moyennant quoi ? La signature d’un acte d’adhésion en cinq points leur permettant de poursuivre le combat traditionaliste tout en revenant dans le giron de Rome. C’est ce même engagement qu’ont signé les membres du Bon Pasteur. A l’automne 2005, trois actes d’adhésion furent enregistrés : ceux des abbés Barthe, de Tanoüarn et Guelfucci.
Le pas suivant fut accompli par le pape – et cette fois ce n’est pas un lapsus – dans son discours peu analysé sur le moment du 22 décembre 2005, où il affirma que le concile pouvait être l’objet d’interprétations, chose inédite dans l’histoire de l’Eglise dans la mesure où le propos déniait à Vatican II une valeur normative. Il fallait déjà en déduire que l’interprétation authentique n’en avait pas été livrée par Rome. Si Rome n’y était pas parvenu en quarante ans, qui allait pouvoir l’y aider ? Se poser cette question, c’était trouver le début de la solution.
Champagne au Vatican !
Une dernière étape que l’on pourrait qualifier de préliminaire fut la visite en France de Mgr Rifan, évêque de l’administration apostolique saint Jean-Marie Vianney dans le diocèse de Campos, au Brésil, très lié à l’abbé Aulagnier et qui accomplit, à la demande de Rome, une sorte d’inspection ecclésiastique au centre Saint-Paul comme à Saint-Eloi, accompagnée d’une adjuration aux fidèles de ne pas se laisser enfermer dans une dérive sectaire – il n’employa pas le mot mais le sens y était.
Il faut croire que son inspection fut positive puisque peu après, en avril dernier, Rome accepta, en la personne de Mgr Castrillon Hoyos, mandaté évidemment par Benoît XVI, une première rencontre avec les abbés Aulagnier, de Tanoüarn, Laguérie et Héry. Selon l’un des participants, le préfet, déjà, était « rayonnant ». Il fallut néanmoins plusieurs autres voyages à Rome – tantôt Tanoüarn seul, tantôt le quatuor – pour que tous signent les actes d’adhésion et que les pourparlers aboutissent, avec, durant l’été, une rencontre entre l’abbé Laguérie et Mgr Ricard, cardinal archevêque de Bordeaux et, surtout, président de la Conférence épiscopale de France. Sitôt que Mgr Ricard eût donné son aval, il n’y avait plus d’obstacle.
Dimanche dernier, l’abbé Laguérie a cité Jeanne d’Arc : « Les hommes d’armes combattent et Dieu donne la victoire », rappelant à ses paroissiens, ce qui n’est jamais superflu, qu’« il est inutile de prier si on ne fait rien » et inversement. Cette victoire, cette « reconnaissance que nous étions catholiques » ne sont toutefois qu’un début. Un point de départ et non un aboutissement. L’Institut du Bon Pasteur a du pain sur la planche. L’une de ses missions est d’ouvrir de nouvelles paroisses. Il va lui falloir des moyens et des hommes. Déjà, un prêtre polonais, ancien de la Fraternité Saint-Pie X, a rejoint l’Institut du Bon Pasteur, et plusieurs prêtres d’Amérique latine, qui en avaient eux aussi été exclus, s’apprêtent à faire de même. Le prochain « heureux événement » est attendu pour l’automne. Benoît XVI devrait autoriser la célébration de la messe selon le rite tridentin dans l’ensemble de l’Eglise.
Cette première victoire, les abbés traditionalistes romains n’ont pas attendu leur retour à Paris et à Bordeaux pour la fêter. A Rome, vendredi, après la signature solennelle, le cardinal Castrillon Hoyos a fait servir les petits fours et le café. Les prêtres français n’avaient pas apporté de vin de bordeaux ; il aurait mal supporté le voyage. Les deux bouteilles de champagne, l’une de Moët & Chandon, l’autre de Veuve Clicquot, qu’ils avaient dans leur besace, ont très bien fait… office.
Céline Pascot
Article paru dans Minute n°2273 pp.10 et 11