2 novembre 2011

[Paix Liturgique] Retour sur l’enrichissement mutuel des deux formes liturgiques selon le secrétaire de la commission Ecclésia Dei

SOURCE - Paix Liturgique n°307 - 2 novembre 2011

Il y a quinze jours, dans notre lettre n°305, nous avons relayé et commenté les propos tenus par Monseigneur Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, début octobre 2011 devant la caméra de Gloria TV. Monseigneur Pozzo s’exprimait en des termes clairs sur son expérience de la réforme liturgique et sa vision de la forme extraordinaire.

Certains nous ont reproché une écoute sélective des propos de Mgr Pozzo, “tirant” son témoignage dans un sens trop favorable à la forme extraordinaire du rite romain. On voit qu’ils connaissent fort mal Monseigneur Pozzo et les propos qu’il tient volontiers sur ce sujet. Pour mettre les choses en perspective et défendre notre analyse, nous vous proposons donc cette semaine d’autres considérations faites sur le même thème par le Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei. D’une part, nous rappelons la façon dont Mgr Pozzo décrivait en octobre 2009 à nos amis de messainlatino.it l’objet du Motu Proprio et, d’autre part, nous nous arrêtons sur ses déclarations de juin 2011 au site Nouvelles de France.

I – L’ESPRIT DU MOTU PROPRIO (entretien d’octobre 2009 à Messa in Latino)

« Le Motu Proprio s’adresse à tous les fidèles catholiques qui désirent la forme extraordinaire de la liturgie romaine et pas seulement à ceux qui pouvaient être liés, dès avant sa promulgation, à la forme traditionnelle du rite romain. S’il a certainement pour but de satisfaire ces derniers et de cicatriser de vieilles blessures, son objet est aussi de permettre la diffusion de la forme extraordinaire auprès de ceux qui ne la connaissent pas encore – parce que trop jeunes pour l’avoir pratiquée – ou qui retrouvent avec joie la messe de leur enfance. La diffusion toujours plus grande de ce trésor liturgique, patrimoine de l’Église, peut produire de nombreux bénéfices spirituels et vocationnels, y compris à travers l’enrichissement mutuel des deux formes du rite romain. »

II – MONSEIGNEUR POZZO À NOUVELLES DE FRANCE (juin 2011)

NdF : Monseigneur, quelle est la finalité du Motu Proprio Summorum Pontificum ?
Mgr Pozzo : Le Motu Proprio Summorum Pontificum entend offrir à tous les fidèles catholiques la liturgie romaine dans l’usus antiquior, en la considérant comme un trésor précieux à conserver. Dans ce but, il entend garantir et assurer à tous ceux qui le demandent l’usage de la forme extraordinaire et ainsi, favoriser l’unité et la réconciliation dans l’Église.
NdF : Pourquoi ce succès de la messe de saint Pie V chez les jeunes catholiques ? 
Mgr Pozzo : Je pense que le recueillement intérieur, le sens de la messe comme sacrifice est particulièrement valorisé par la forme extraordinaire. C’est ce qui explique en partie l’augmentation du nombre de fidèles qui la réclament.
NdF : La lettre du Pape accompagnant le Motu Proprio indique qu’il y avait une augmentation du nombre de fidèles demandant l’usage de la forme extraordinaire. Quelle en est la raison selon vous?
Mons Pozzo : La lettre d’accompagnement du Motu Proprio présente les raisons et les explications qui clarifient les finalités et le sens du Motu Proprio. Il est fondamental de souligner que les deux formes de l’unique rite romain s’enrichissent mutuellement et doivent donc être considérées comme complémentaires. Le rétablissement de l’usus antiquior du Missel romain avec son cadre normatif propre est dû à l’augmentation des demandes venues de fidèles qui souhaitaient pouvoir participer à la célébration de la Sainte Messe dans sa forme extraordinaire. Il s’agit en substance de respecter et de valoriser un intérêt particulier de certains fidèles pour la Tradition et pour la richesse du patrimoine liturgique mis en évidence par le rite romain antique. Il est intéressant que cette sensibilité soit présente aussi dans les jeunes générations, c’est-à-dire chez des personnes qui n’ont pas été formées autrefois à ce genre de liturgie.
NdF : On dit que les mouvements traditionnels suscitent plus de vocations qu’ailleurs. Est-ce vrai ? Si oui, pourquoi ?
Mgr Pozzo : Dans les Instituts qui dépendent de la Commission pontificale Ecclesia Dei et qui suivent les formes liturgiques et disciplinaires de la Tradition, il y a une augmentation de vocations sacerdotales et de vocations à la vie religieuse. Je crois pourtant qu’une reprise des vocations sacerdotales est aussi constatée dans les séminaires. Surtout là où l’on offre une formation et une éducation au ministère sacerdotal et à une vie spirituelle sérieuse et rigoureuse, sans les réduire face à la sécularisation, laquelle a malheureusement pénétré dans la mentalité et dans les formes de vie chez certains clercs et dans certains séminaires eux-mêmes. Cela constitue selon moi la cause principale de la crise des vocations au sacerdoce, crise de qualité bien entendu, plutôt que de quantité. Présenter la figure du prêtre dans son identité profonde, comme ministre du Sacré, c’est-à-dire comme alter Christus, comme guide spirituel du peuple de Dieu, comme celui qui célèbre le sacrifice de la Sainte Messe et remet les péchés dans le sacrement de la confession, en agissant in persona Christi capitis, telle est la condition essentielle de mise en place d’une pastorale des vocations qui soit fructueuse et permette la reprise des vocations au sacerdoce ministériel.
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Toutes les déclarations de Mons Pozzo, la plus haute autorité compétente, sous le cardinal Levada, par délégation du Saint-Père en matière de liturgie extraordinaire, vont dans le même sens : le Motu Proprio Summorum Pontificum est un don fait à l’Église universelle. Difficile donc de dire, dans les sacristies comme dans les évêchés, que l’on ne sait pas ce que pense et encore moins ce que veut Rome.
Jean-Marie Guénois, chroniqueur religieux du Figaro, un des meilleurs connaisseurs français des milieux romains, le dit mieux que nous lorsqu’il déclare, à propos de l’entretien de Mgr Pozzo à Gloria TV, que cela : « a valeur de document pour saisir la façon dont Rome – ses décideurs et non ses rumeurs – voit l’ensemble de la question, dont celle de la liturgie... » (4 octobre 2011,  sur son blog).

2) Cette vision prophétique de Rome du Motu Proprio inlassablement répétée par Monseigneur Pozzo (trésor pour toute l'Eglise universelle qu'il convient de promouvoir) mérite d'être mise en perspective avec la vision étriquée et - intentionnellement ? - erronée de la plupart des évêques de France ("réception" du Motu Proprio uniquement sous l'angle de la demande exprimée et jamais sous celui de la proposition, opposition généralisée aux demandeurs qui ont fait une demande formelle sans se décourager en dépit du climat ambiant d'hostilité épiscopale au Motu Proprio, freins aux rares applications paroissiales du Motu Proprio comme a Rambouillet, absence quasi généralisée de la forme extraordinaire dans les séminaires diocésains, pour ne citer que quelques exemples significatifs). Cela est particulièrement éclairant sur le sérieux et l'honnêteté intellectuelle des prélats qui se drapent dans les arguments d'autorité et d'obéissance pour éconduire les demandeurs et continuer a nier l'évidence de la demande (exprimée formellement ou non).

3) On aura remarqué la phrase de Mons Pozzo, dont l’intention semble être d’établir une (saine) concurrence entre les instituts Ecclesia Dei florissants et les diocèses aux abois, en suggérant à ces derniers d’appliquer les moyens pédagogiques et spirituels des premiers : « Je crois pourtant qu’une reprise des vocations sacerdotales est aussi constatée dans les séminaires. Surtout là où l’on offre une formation et une éducation au ministère sacerdotal et à une vie spirituelle sérieuse et rigoureuse, sans les réduire face à la sécularisation, laquelle a malheureusement pénétré dans la mentalité et dans les formes de vie chez certains clercs et dans certains séminaires eux-mêmes ». Pour ce qui concerne la France, il est notoire que Mgr Pozzo est venu visiter un diocèse, celui de Toulon, dont le nombre des séminaristes est pour la troisième année consécutive le plus important en France (80 séminaristes, dont 70 pour le diocèse) [1], et où les implantations de messes traditionnelles sont en croissance continue.

4) En insistant sur la formation dans les séminaires et la dynamique des instituts Ecclesia Dei en matière de vocations, Mgr Pozzo s’inscrit dans la ligne de l’instruction Universæ Ecclesiæ qui, dans son article 21, stipule : « On demande aux Ordinaires d’offrir au clergé la possibilité d’acquérir une préparation adéquate aux célébrations dans la forme extraordinaire. Cela vaut également pour les séminaires, où l’on devra pourvoir à la formation convenable des futurs prêtres par l’étude du latin, et, si les exigences pastorales le suggèrent, offrir la possibilité d’apprendre la forme extraordinaire du rite. »

De nouveau, c’est une indication nette de ce que Rome attend des pasteurs des Églises locales : saisir au bond la balle du Motu Proprio pour permettre aux prêtres et futurs prêtres de redécouvrir le sens de la liturgie. En clair, cela signifie, pour les diocèses, une plus grande « ouverture » à ce qu’est aujourd’hui le profil d’une part notable des vocations sacerdotales : ce sont des vocations traditionnelles à divers degrés. Encore faut-il les accueillir. Car on ne redira jamais assez : la chute continue des vocations n’est pas une fatalité. Il est d’ailleurs possible que la leçon commence à être entendue dans certains secteurs de l’Église de France.

Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, Benoît XVI n’impose rien mais propose. C’est tout le secret de sa réforme et l’une des clés de son succès, un succès graduel. Car ce qu’il est convenu d’appeler l’« esprit du Concile » s’est établi dans l’Église « avec bruit et agitation », alors que l’« esprit du Motu Proprio » la pénètre au contraire « doucement, légèrement et suavement », pour parler comme saint Ignace dans ses « Règles du discernement des esprits » (Exercices spirituels, n. 335).