26 janvier 2011

[Paix Liturgique] Visites ad limina des évêques de France et motu proprio

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 267 - 26 janvier 2011

Les évêques de France, région par région, vont se rendre à Rome en 2011 et 2012 pour faire leurs visites ad limina. Un des dossiers qui seront abordés, non pas le plus important de tous, mais assurément l’un des plus sensibles, sera celui de l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum. C’est une plaisanterie classique dans les Congrégations romaines : les évêques français y passent pour très bruyants et assez sûrs d’eux-mêmes, mais lorsque le cardinal qu’ils visitent ou un secrétaire qui assiste au colloque évoque discrètement la liturgie tridentine, on entendrait soudain une mouche planer.

Les inquiétudes des évêques français

Elles tiennent à un certain nombre d’éléments, disons de mauvaise conscience :

• Ils sont d’abord desservis par la situation pastorale catastrophique qui est celle de leur pays. Certes, l’état du catholicisme d’Allemagne, de Suisse, de Belgique, est au moins aussi désastreux. Mais la France est la France, et son passé catholique est notamment représenté par le nombre de ses diocèses, une centaine, dont certains – la liste ne cesse de s’allonger – ne vont bientôt plus être que des noms sur la carte ecclésiastique, tels ces diocèses qui auront au mieux une dizaine de prêtres sur le terrain dans 10 ans. Finances, vocations, catéchismes surtout, tout est « dans le rouge ». Sauf, horresco referens, dans les paroisses et les communautés, où se célèbre la liturgie selon la forme extraordinaire (ou une copie de celle-ci).

• A ce sentiment de culpabilité s’ajoute le fait que ces évêques estiment qu’ils arrivent dans des dicastères où ils sont constamment desservis par des « dénonciations » déposées par les « intégristes », lesquelles, selon eux, sont complaisamment écoutées par les organes du Saint-Siège. En réalité, s’ils se mouchent, comme on dit… Ils savent, en effet, qu’ils y donnent prise, notamment par des abus liturgiques criants et réitérés. Et quant à l’origine des « dénonciations », ils préfèrent crier haro sur l’intégriste et feindre d’ignorer qu’elles viennent dans la majorité des cas de clercs exaspérés de leur propre presbyterium, pas toujours « de droite » d’ailleurs.

• Ils se sont déjà entendus reprocher maintes fois de n’avoir plus de vocations, alors que les traditionalistes, eux, sans en regorger, font très bonne figure : pour 90 ordinations « ordinaires » par an, une vingtaine d’« extraordinaires » ; pour 700 séminaristes ordinaires au grand maximum, 140 extraordinaires.

• Et surtout sur le fond, ils savent bien, pour la plupart, qu’ils ont résisté de toute leur inertie - au Souverain Pontife d’abord, à la demande exprimée ou latente de la forme extraordinaire ensuite. En faisant valoir la concession de toutes les messes depuis 2007, qui relèvent d’ailleurs pour la plupart du Motu Proprio de 1988 sous étroit contrôle épiscopal, nos pasteurs, parfois flanqués de leurs vicaires généraux (c’est un usage français, qui étonne toujours à Rome) ne pourront guère exciper que d’une petite centaine de messes dominicales en plus, alors que trois fois plus de demandes sérieuses ont été enterrées par eux. Et d’accuser leurs « accusateurs ». Saviez-vous que les sondages qui leur répètent qu’un tiers de leurs ouailles assisteraient volontiers à la messe extraordinaire dans leurs paroisses sont « contraires à la communion » ? Que ceux qui les organisent (lesquels, souvent, assistent aussi à la messe ordinaire) « n’ont pas l’esprit du Concile » ?

Rome en ordre de bataille ?

Outre-Tibre, on les attend donc. Il est probable que celui-ci ou celui-là de nos pasteurs vont se faire « remonter la ceinture », fût-elle ce jour-là violette, dans le bureau de tel Préfet ou de tel Secrétaire, au sujet d’un « abus » qu’il aura commis ou laissé commettre. Le Pape, lors du bref entretien qu’il aura avec chacun d’eux, posera des questions sur les affaires liturgiques qui obtiendront des réponses volubiles et un peu bafouillantes.

On peut cependant regretter, concernant le sujet qui nous occupe, que l’application du Motu Proprio reste au total du genre dinette de poupée que l’on donnerait à des affamés qui font la queue aux restos du cœur. Et l’on peut, toute révérence et même immense filiale affection sauves, se poser un certain nombre de questions :

• Pourquoi le texte d’application du Motu Proprio, en préparation depuis 2007, fin prêt (sauf quelques détails…), n’a-t-il toujours pas vu le jour ?

• De quels pouvoirs réels dispose la Commission Pontificale Ecclesia Dei, lorsque le curé pressenti par un groupe de demandeurs a refusé d’accorder la messe en forme extraordinaire, puis que l’évêque informé n’a pas fait en sorte que la demande soit exaucée ? Autrement dit, de quel pouvoir de coercition dispose la Commission pour que l’article 7 de Summorum Pontificum ne reste pas lettre morte ?

• A défaut de pouvoir de coercition, la Commission est-elle en mesure d’exercer une forte pression persuasive sur un évêque récalcitrant ?

• Sachant que dans une Église postconciliaire en état d’anarchie latente, le seul pouvoir sérieux qui reste entre les mains de chaque autorité, à tous les niveaux, est celui des nominations, le processus romain de la nomination des évêques de France prend-il en compte le « critère Motu Proprio » ? Autrement dit, y a-t-il des relations entre la Congrégation des Évêques, le Nonce apostolique, aussi bien en général, pour fixer une « ligne » en ce domaine, qu’en particulier, dans l’examen de chaque candidat présenté ?

• Existe-t-il des instructions venues d’en-haut, à savoir du Secrétaire d’État, favorisant un processus de nominations conforme, non seulement à ce texte décisif du pontificat, mais à tout ce qui va avec (catéchismes, vocations, etc.) ? La vie liturgique des paroisses ne sera revivifiée (présence de la forme extraordinaire ; influence de la forme extraordinaire sur la forme ordinaire) que si un l’épiscopat est donné à la France pour ce faire. Quand saint Pie X a voulu enrayer le modernisme, il a nommé des files d’évêques « intégraux » ; inversement, quand Pie XI a voulu casser l’Action française, il a nommé en masse des évêques d’Action catholique ; et entre ces deux options, quand Pie XII a voulu écarter le risque gallican version années 50, il a nommé des évêques de personnalité diaphane (qui ensuite ont cru tout de bon que Vatican II dynamisé par Mai 68 était une nouvelle Pentecôte !)

• En définitive, la question des questions concerne la volonté politique de la Curie favorable au Motu Proprio (qui n’est pas toute la Curie, malheureusement) : les hauts responsables de la Curie de Benoît XVI veulent-ils vraiment son application ?

Des portes qui ne se refermeront plus

Il n’est pas question d’ouvrir ici les dossiers des plus stupéfiants échecs du Motu Proprio en France. Nous en avons abordés d’ailleurs d’une manière ou d’une autre un certain nombre. Elle serait longue la liste des paroisses où l’existence d’un groupe est incontestable, où sa demande a été faite, d’abord au curé, puis a été portée ensuite à l’évêque, pour être enfin élevée devant la Commission Pontificale. Avec quelles possibilités de sa part ?

Nous savons bien que les difficultés contextuelles sont immenses : souvent les évêques concernés peuvent faire valoir qu’ils ont accordé d’autres messes, en d’autres endroits ; et puis ces évêques ne sont pas les plus « progressistes » de la Conférence épiscopale ; et puis bien d’autres choses encore. Mais l’article 5 du Motu Proprio porte-t-il bien : « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la messe selon le rite du Missel romain édité en 1962 » ? Summorum Pontificum, art. 5, ne précise pas : « …sauf si l’évêque a désigné un curé pour célébrer cette messe dans son diocèse » ; « …sauf si une communauté Ecclesia Dei assure la célébration de la forme extraordinaire en un autre endroit » ; « …sauf si l’évêque a des titres tels qu’il est au-dessus de la loi » ; « …sauf si, etc. ». L’article 5 dit : « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la messe selon le rite du Missel romain édité en 1962 ». Point. Et il rajoute (article 7) : si le groupe n’est pas entendu, qu’il en appelle à Rome.

Il se trouve que la Commission Ecclesia Dei est un des organes du Saint-Siège les mieux disposés et les mieux composés, sous la houlette de son Secrétaire, pour une solide reprise en main doctrinale et liturgique. Mais selon la loi de tout gouvernement, un rouage de niveau inférieur, pour tout simplement conserver sa crédibilité, ne peut, à sa hauteur, s’exposer que s’il a l’assurance d’être couvert par ses supérieurs. Il n’a de pouvoir que dans la mesure de leur vouloir.

Qu’on nous entende bien : nous constatons seulement une situation, comme des laïcs d’après Vatican II que nous sommes, auxquels on a donné la parole (et qui se disent d’ailleurs parfois, que les laïcs d’avant Vatican II, supposés moins « adultes » que nous, étaient tout compte fait mieux respectés). Ce disant, nous ne voudrions pas surtout pas paraître pessimistes, au contraire. Tout le monde sait que notre rôle de laïcs engagés est de tirer quelques sonnettes, de dire et de réveiller, de prêcher opportune, importune pour le retour à une vraie et fructueuse paix liturgique dans nos paroisses.

Dans les temps de désert de la foi et de la pratique pour l’Église d’Occident et pour l’Église de France en particulier dans lesquels nous nous enfonçons chaque jour davantage, ce que l’on peut appeler le « catholicisme du Motu Proprio », avec ses prêtres spécialisés ou non, ses fidèles, groupes, scoutisme, communautés religieuses traditionnelles ou retraditionalisés, paroisses tridentines ou bi-formalistes ou réforme de la réforme, écoles, vocations, représente dans son ensemble un poids toujours plus considérable (= devant être considéré). C’est pitié, en un sens, car ce poids d’un monde traditionnel au sens large est tout relatif à celui global d’un catholicisme qui disparaît !

Dans ce contexte, le Motu Proprio apparaît comme un acte bien plus libératoire que coercitif (encore qu’il édicte un droit, dont on pourrait donc exciper devant des tribunaux ecclésiastiques). Dans l’ère du post-concile, c’est le seul moyen d’action que les « restaurateurs » croient pouvoir employer. Du coup, concrètement, Summorum Pontificum a pour effet principal, et vraiment providentiel, d’ouvrir les portes de la liberté à la liturgie traditionnelle opprimée par la réforme Bugnini. Nous ne cessons et ne cesserons d’en rendre grâces au Saint-Père. Si nous regrettons que son application n’est pas ce qu’elle pourrait être, nous savons aussi – et les évêques de France qui vont aller à Rome le savent aussi bien que nous – que ces portes ne pourront plus jamais se refermer, et que bien des prêtres, bien des séminaristes les ont déjà passées, donnant du coup l’assurance que l’antique liturgie de l’Église de Rome ne mourra jamais.