14 décembre 2010

[summorum-pontificum.fr] Le témoignage de Jean Madiran

SOURCE - summorum-pontificum.fr- 14 décembre 2010

Dans un article à paraître demain dans le quotidien Présent, Jean Madiran apporte son témoignage sur l’absence de dialogue entre les évêques français et l’école contre-révolutionnaire qui forme une partie de ceux qui assistent à la messe dans sa forme traditionnelle. Je sais que Jean Madiran passe pour un écrivain polémiste. Mais il me semble, à moi, que dans cet article il évite justement la polémique. D’abord envers Christophe Geffroy, dont il interprète dans un sens positif l’une des phrases :
« J ’ai bien lu dans La Nef que Christophe Geffroy souhaite l‘“union des forces vives de l’Eglise derrière le pape et les évêques”, mais il écrit : “le pape et les évêques”, c’est-à-dire qu’il souligne la lettre e et la lettre t, il souligne le mot et, marquant discrètement ainsi que ce sont les évêques qui font question”. »
On peut aussi interpréter ce « et » d’une autre manière, et considéré que pour le directeur de La Nef, ce sont les traditionalistes qui font la question, puisqu’ils ont tendance à soutenir  le Pape, mais pas les évêques. D’ailleurs, soyons juste : les deux interprétations ne s’excluent pas forcément.
En tous les cas, ce « et » a poussé Jean Madiran au témoignage. Il écrit notamment ceci :
« L’épiscopat français décréta une mise en garde (équivalent moral mais non point canonique d’une condamnation) contre la presse catholique contre-révolutionnaire, dont la revue Itinéraires ».
En date du 23 juin 1966, la revue Itinéraires fut donc condamnée. Elle n’était effectivement pas la seule. La condamnation comprenait : Le Monde et la Vie d’André Giovanni, Défense du foyer (Pierre Lemaire) et Lumière.
Ce que ne dit pas Jean Madiran, c’est que la condamnation dura injustement pour Itinéraires, ce qui ne fut pas forcément le cas pour les autres. Pierre Lemaire des éditions Téqui, par exemple, collabora par la suite avec des évêques français. Le Monde et la vie d’André Giovanni finit par disparaître. J’avoue ne pas connaître le bulletin Lumière.
Que disait le passage du communiqué du Conseil permanent de l’épiscopat. Il disait que les évêques « considèrent comme un devoir de mettre en garde les fidèles contre des articles parus notamment dans des magazines comme Le Monde et la vie des revues comme Itinéraires et Défense du foyer des bulletins comme Lumière ».
Pour comprendre la portée de cette mise en garde, il faut se souvenir qu’aucun texte équivalent ne fut signé (du moins à ma connaissance) pour mettre en garde les fidèles contre les interprétations du Concile diffusées par les publications progressistes. Dans le contexte de l’époque, cette mise en garde prenait donc valeur de condamnation.
Le dialogue avec Itinéraires ne fut pas rompu ; le dialogue n’avait jamais eu lieu.
On dira que les évêques d’aujourd’hui ne sont pas ceux de l’époque. C’est vrai ! Mais même si l’on met de côté la cooptation, un fait demeure : aucun évêque n’a publiquement voulu réparer cette condamnation ou, du moins, prendre en considération les analyses de Jean Madiran pour tenter d’en saisir  la portée.
Pourquoi évoquer cette histoire ? Tout simplement, parce qu’on ne peut comprendre les difficultés de l’application du motu proprio en France ou certaines réactions de méfiance de la part des traditionalistes en faisant abstraction de cette histoire.
Extrait de l’article de Jean Madiran à lire intégralement dans Présent :
Un des facteurs de la crise épiscopale date exactement de juin 1966. L’épiscopat français décréta une mise en garde (équivalent moral mais non point canonique d’une condamnation) contre la presse catholique contre-révolutionnaire, dont la revue Itinéraires, coupable de contester « les principes du renouveau entrepris » : manière de parler pour désigner ce qui allait être nommé plutôt « l’esprit du Concile ». C’est notre honneur de l’avoir tout de suite contesté. Mais l’important pour ce qui nous occupe aujourd’hui est ailleurs.
Il est dans le fait que les deux fonctionnaires de l’appareil épiscopal chargés de publier cette condamnation, les sieurs Pichon et Etchegaray (ce dernier, futur cardinal ; à l’époque il n’était même pas évêque), déclarèrent mordicus que si elle était rendue publique, c’était parce que nous avions refusé le dialogue proposé par l’épiscopat, « plusieurs évêques avaient vainement tenté de dialoguer » avec nous.
Or c’était un mensonge. Aucun Ordinaire d’un diocèse ne m’a offert ou réclamé un dialogue sur « les principes du renouveau entrepris ». Le seul évêque avec lequel j’en ai parlé est Mgr Marcel Lefebvre, il avait quitté le diocèse de Tulle depuis 1962. Je ne vais pas raconter ici l’affaire en détail, je l’ai déjà fait, elle occupe une trentaine de pages dans La révolution copernicienne dans l’Eglise, c’est le chapitre III, la « Lettre à mon avocat sur le poignard et le manteau ». Pourquoi à mon avocat ? Parce que l’affaire, de 1966 à 1972, est allée jusqu’au Tribunal de la Rote et même jusqu’au Suprême Tribunal de la Signature Apostolique.
Ce qui importe aujourd’hui, c’est que de 1966 à aujourd’hui compris, le verdict est resté en vigueur, tout ce qui est proche de la pensée catholique contre-révolutionnaire demeure catalogué comme le clan qui refuse tout contact et qui s’enferme frileusement dans une forteresse. Les évêques se sont succédé les uns aux autres par un système de quasi cooptation, ils se sont transmis les mêmes consignes. La pastorale est au « pluralisme », au « vivre ensemble », à l’« ouverture à l’autre », mais cet « autre » n’est jamais nous, puisque nous sommes définitivement classés comme incapables d’un « dialogue » que nous « refusons » quand l’épiscopat nous le « propose ».
Tel est mon témoignage. Depuis 1956 et jusqu’en 2005-2007, j’ai exercé des responsabilités publiques certes modestes, mais non pas nulles : frappé cependant de la relégation médiatico-sociologique décrétée par l’appareil épiscopal, je n’ai eu aucune conversation doctrinale avec un évêque diocésain depuis quarante-quatre ans. Une exception pourtant ? Mgr Pierre Veuillot quand il était archevêque de Paris (mais je l’avais connu à Rome sous Pie XII), ce n’était pas pour un dialogue qu’il m’avait convoqué, c’était une rencontre à la Bonaparte, cherchant qui seraient ses hommes pour un règne qu’il annonçait long et que la maladie vint abréger. Je crois que je n’oublie personne quand je dis : aucun évêque, aucun.