7 février 2010

[Scrutator Sapientiæ - Forum Catholique] L'une des raisons pour lesquelles c'est peut-être "humainement impossible"

[Message posté dans le cadre d'une discussion sur leforumcatholique.org.]
SOURCE - Scrutator Sapientiæ - Forum Catholique - 7 février 2010
Bonjour,

Il est possible qu’il n'y ait pas de culture doctrinale, philosophique, théologique, qui soit intimement, profondément, commune aux intellectuels catholiques traditionalistes, primo-thomistes et anti-modernistes, et aux intellectuels catholiques « modernisateurs » ou « rénovationnistes », qui sont,

- dans le meilleur des cas, néo-thomistes, sinon philo-modernistes,

- dans le pire des cas, post-thomistes, et bien philo-modernistes.

Voilà ce qu'il faut avoir la lucidité de reconnaître : de même que nous méconnaissons, sinon ignorons, voire méprisons, des pans entiers de la théologie contemporaine, qui est contemporaine pour des raisons chronologiques, mais aussi pour des raisons philosophiques, de même, bon nombre de philosophes et de théologiens catholiques « conciliaires » sont indifférents, insensibles, ou hostiles, à notre relation au thomisme et au controversisme exclusiviste qui en découle.

Cela ne date pas d'hier, en voici un exemple :

- prenez d'abord "l'Initiation Théologique" parue aux Editions du Cerf, à la fin des années 1950, en quatre volumes, elle est encore, à peu près, d'inspiration "thomiste" ;

- prenez ensuite "l'Encyclopédie de la Foi" parue aux Editions du Cerf, au milieu des années 1960, en quatre volumes, elle est déjà, dans l’ensemble, d'inspiration "moderne".

Nous sommes en présence de deux univers conceptuels et doctrinaux non seulement différents l'un de l'autre, mais aussi quasiment étrangers l'un à l'autre : les fondements sur lesquels la théologie moderne prend appui, les arguments et les instruments dont elle se sert, les conclusions auxquelles elle arrive et les déductions pas lesquelles elle y arrive, les horizons sur lesquels elle débouche, sont sans grands rapports avec la philosophia perennis et avec la théologie thomiste, notamment sous l'angle de la formalisation de la méthodologie : la dialectique est une chose, la scolastique en est une autre.

Pour eux, notre thomisme est, en partie, du passé, donc, en partie, dépassé, ils sont donc souvent injustes avec nous et avec lui ; et pour nous, leur absence d'anti-modernisme manifeste la présence en eux, a minima, d'un philo-modernisme implicite, quand il n'est pas totalement explicite, et nous sommes donc parfois injustes avec quelques-uns d'entre eux.

Ce qui me frappe, le plus souvent, c'est l'ampleur de notre méconnaissance de la théologie du XX° siècle, alors que la connaissance de cette théologie est indispensable à la compréhension des raisons pour lesquelles l'Eglise en est arrivée là , et à la compréhension des raisons pour lesquelles je suis " un pessimiste qui espère avoir tort", en ce qui concerne le résultat des discussions doctrinales.

Lisons notamment

- « le Panorama de la Théologie au XX° siècle », de Rosino GIBELLINI, ouvrage paru aux Editions du Cerf,

- « Catholiques et Protestants, théologiens du Christ au XX° siècle », de DENEKEN et PARMENTIER, ouvrage paru aux éditions Mame – Desclée,

et nous prendrons la mesure du fait que nous sommes en présence d’une manière de faire de la théologie qui est sans grands rapports avec la manière thomiste, même quand elle porte, par endroits et par moments, sur les mêmes matières.

Cela ne signifie pas que cette manière de faire de la théologie est sans valeur ; il y a des choses intéressantes chez les théologiens du XX° siècle, certaines d’entre elles sont intéressantes sans être hétérodoxes, d’autres sont intéressantes mais hétérodoxes, d’autres encore sont préoccupantes car hétérodoxes, d’autres, enfin, sont non seulement préoccupantes, mais inacceptables, inadmissibles.

Trois reproches majeurs peuvent être faits ici :

- primo, c’est souvent une théologie destinée, pour ne pas dire réservée, aux théologiens eux-mêmes, notamment parce que sa connaissance et sa compréhension nécessitent des pré-requis philosophiques et théologiques ;

- secundo, c’est souvent une théologie consensualiste et inclusiviste, dans le cadre de laquelle il est rarement question de d’annoncer le vrai ET de dénoncer le faux, et fréquemment question de DIRE le vrai que l’on propose ET de TAIRE le faux qui s’y oppose ;

- tertio, c’est souvent une théologie tournée davantage vers l’oecuménisme que vers le prosélytisme : avec les théologiens du XX° siècle, on a du mal à identifier, à localiser, une intention clairement ou nettement apologétique, dans l’acception pré-conciliaire de ce terme.

Pour autant, est-il seulement difficile, ou carrément impossible, de trouver un mode de compréhension mutuelle, qui n’irait évidemment pas jusqu’à l’approbation réciproque, alors que les parties en présence, sur la ligne de départ, ont des positions difficilement compatibles ?

Rien n’est impossible à Dieu, mais de même que la grâce suppose la nature, de même, la communion dans la foi suppose un minimum de communion dans la culture, en l’occurrence, philosophique et théologique, sinon le dialogue de demi-sourds, si c’en est vraiment un, risque de tourner court.

Or, de même qu’il n’est pas prouvé qu’il y a incompatibilité entre la philosophie grecque antique d’inspiration réaliste et le thomisme, de même, il n’est pas prouvé qu’il y a compatibilité entre la philosophie allemande moderne d’inspiration idéaliste et le même thomisme.

En d’autres termes, d’un point de vue humain, ce que l’on peut espérer de mieux, dans le cadre de ces discussions doctrinales, c’est qu’elles débouchent sur un constat d’accord sur l’ampleur et sur la portée du désaccord, entre ceux qui considèrent, à juste titre ou non, que la Tradition catholique est primo-thomiste donc anti-moderne, et que le Renouveau conciliaire n’est vraiment catholique que s’il est subordonné à cette inspiration primo-thomiste anti-moderne, et leurs interlocuteurs, dont le "recentrage" éventuel n’ira jamais jusque là.

Bonne réception, bonne lecture, bon dimanche, excellente continuation dans le Christ, j'ai essayé d'écrire ce qui figure ci-dessus en étant le moins simpliste possible, mais j'ai bien conscience du fait que la moindre parole, sur une telle question, nécessiterait davantage de nuances et de précisions, et surtout davantage de temps pour les écrire.

Scrutator Sapientiae