20 février 2010

[Claire Thomas - Monde&Vie] L’abbé de Nantes en sa dernière juridiction

SOURCE - Claire Thomas - Monde&Vie - 20 février 2010
L’abbé Georges de Nantes sera enfin jugé selon son souhait… Le 15 février 2010, il a rendu son âme à Dieu. Alors que toutes les juridictions ont fini par déclarer forfait, cette fois le jugement sera sans appel…

Il ne s’agit pas de nous substituer à ce Juge suprême, mais de rappeler combien cette voix ardente de polémiste et de prêtre a pu compter dans les années critiques du Concile et de l’après-concile. On peut dire que dès le 11 octobre 1962, le discours d’ouverture prononcé par le pape Jean XXIII a profondément scandalisé celui que ses disciples appelleront « Notre Père ». Il avait senti déjà présent ce qu’il dénoncera sans trêve toute sa vie : derrière le désir de distinguer le fond du message évangélique et la forme sous laquelle il se transmet, il y avait le culte de l’homme, l’idée que l’homme pouvait et devait reformuler les vérités divines. Les discussions conciliaires sur la liberté religieuse en 1963 et 1964, loin de le prendre au dépourvu, le trouvent armé, prêt à faire face. La doctrine traditionnelle, dans les sociétés chrétiennes, remet à l’Eglise un véritable pouvoir spirituel.

"Il n'y a de liberté que de Dieu"

Le simple fait de discuter cette doctrine lui semble dommageable. Il l’écrit dans sa Lettre à mes amis : « En fait, ce débat ne peut plus conduire qu'à des catastrophes. (...) Il fallait éviter de rappeler des vérités trop austères si les hommes d'Église étaient trop lâches pour en assumer le poids, ou les proclamer fièrement et paternellement à la face du Monde moderne qui ne les accepte pas et qui en meurt. Mais les discuter, jamais ! L'Église ne peut s'en éloigner sans reniement et apostasie. Ces vérités, les voici : il n'y a de liberté que de Dieu. La liberté humaine parfaite n'appartient qu'à Jésus-Christ et, dans le don divin qu'Il lui en a fait, à l'Église catholique. (...) Déclarer violent que l'Église demande pour elle une liberté qu'elle refuse aux autres, c'est égarer les esprits, c'est renier le vrai Dieu, la vraie foi, l'unique Église de Jésus-Christ pour ne plus juger des choses que du point de vue de l'Homme, mis à la place de Dieu, autonome et absolu, libre de ses croyances et de ses actes sans restriction ! » Certes le document conciliaire publié le 7 décembre 1965, comme une simple déclaration, Dignitatis humanae, parut très en retrait par rapport au discussions qui se sont déroulées plusieurs années, au fil des sessions dans l’aula conciliaire. Mais le vers était dans le fruit et les discussions continuèrent, diffusant un venin de reniement et de trahison de la foi catholique, qui empoisonna l’après-concile, selon les prédictions de l’abbé de Nantes. Lequel, on le sait, ne s’arrêta pas en si bon chemin. Dès le mois de février 1965, il invente le MASDU, Mouvement d’Animation Spirituel pour la Démocratie Universelle et il déclare que le pape Paul VI en est le leader mondial. Une fois de plus les événements semblent lui donner raison : le 4 octobre 1965 à l’ONU et le 8 décembre de la même année dans un terrible Discours de clôture du concile Vatican II, Paul VI se déclare « en dialogue » avec la Religion de l’homme qui se fait Dieu… Georges de Nantes en appelle immédiatement à un concile Vatican III, qui devra condamner Vatican II… Dès 1966, du coup, il est lui-même suspens a divinis dans le diocèse de Troyes où Mgr Le Couëdic avait accueilli sa communauté naissante des Petits frères du Sacré Cœur en 1958. Les événements lui donnant raison sans doute bien au-delà de ce qu’il avait pu imaginer, et « l’autodestruction de l’Eglise » avançant au rythme des principes mis en avant durant le Concile, il déclara vouloir frapper « à la tête » et en avril 1973, il porte solennellement à Rome un Livre d’accusation « à notre Saint Père le pape Paul VI, par la grâce de Dieu et la loi de l'Église, juge souverain de tous les fidèles du Christ, plainte pour HÉRÉSIE, SCHISME, SCANDALE, au sujet de notre frère dans la foi, le pape Paul VI ». Ce geste, qu’il renouvellera avec moins de succès face au successeur de Paul VI, Jean Paul II, marque le sommet de l’influence du tempétueux abbé, reçu par Jacques Chancel à sa célèbre émission Radioscopie le 16 janvier 1973.

Il faut bien reconnaître que la montée en puissance de la Fraternité saint Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre, allait faire de l’ombre à la Contre Réforme Catholique de l’abbé de Nantes. Il y aura encore des conférences brillantes à la Mutualité, mais la création de la Phalange catholique en 1984, avec des fidèles triés sur le volet, marque bien l’enfermement psychologique dans lequel sombre Georges de Nantes. De mortuo nihil nisi bonum dit l’adage.

Nous ne sommes pas de ceux qui crachent sur les tombes, mais, avec le recul du temps, on distingue clairement une dérive apocalyptique dans le discours de l’abbé de Nantes : il voit l’Antéchrist dans le personnel de l’Eglise qui le condamne ; en 1981, au cours d’une Grande Mutualité, il proclame un jugement de Dieu entre lui et le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, qu’il appelle l’échéance 83 ; au cours de conférences spirituelles, il affirme lui-même avoir surmonté trois fois la tentation du suicide. Son âme se brise au drame de l’Eglise qu’il avait annoncé. C’est aussi à cette époque que commence à poindre le scandale du « baiser mystique » qu’il donne à ses religieuses. On sait qu’un certain nombre d’entre elles, faisant sécession, ont fondé à Draguignan l’ordre des sœurs de la Consolation du Sacré Cœur, en reprenant d’ailleurs l’essentiel de la spiritualité  de l’abbé de Nantes, inspiré on le sait par le frère Charles de Foucaud. Mais beaucoup de parents s’inquiètent. On crie à la dérive sectaire. En 1995 déjà, dans le rapport Guyard sur les sectes, la CRC est classée “secte dangereuse”. Alors que la maladie empêche l’abbé d’écrire et de prêcher, le frère Bruno, son second doit faire face à un torrent de condamnation, un interdit ecclésiastique contre l’abbé de Nantes et un long procès antisecte, dont la communauté sort blanchie mais pas indemne en 2004.

Peut-on dire que l’abbé de Nantes est mort d’avoir raison ? A l’heure où j’écris ses obsèques religieuses sont programmées… Dieu seul jugera son prêtre.