24 janvier 2010

[Paix Liturgique] La Croix au Pays de Pinocchio

SOURCE - Lettre 214 de Paix Liturgique - 23 janvier 2010

Le compte rendu publié par La Croix, ce 20 janvier, de la visite que Mgr Vingt-Trois et les représentants de l'épiscopat français ont faite au Saint-Père le lundi 18 janvier a retenu toute notre attention. En effet, dans un des articles, Frédéric Mounier, envoyé spécial permanent de La Croix à Rome nous a offert un véritable chef d’œuvre de désinformation. Pas étonnant de la part de celui qui, le 10 février 2009, déclarait publiquement dans l’émission « Le Grand Débat » de la chaîne Histoire à propos de ceux qu’il appelait les traditionalistes : « ILS NE SONT RIEN ! »

Il faut dire que le journal La Croix et plus généralement le groupe Bayard auquel appartient ce quotidien, forment en France la machine médiatique de guerre la plus têtue et la plus redoutable, hier contre la Rome de Jean-Paul II, aujourd’hui contre celle de Benoît XVI. Se donnant, par comparaison avec des « extrémistes » comme les animateurs de la revue Golias, comme des « modérés », les journalistes du groupe Bayard, avec ce ton insidieux qui les caractérise sont toujours au premier rang des batailles contre le Saint-Siège.

Cette négation des personnes, pleine de respect et d’amour, qui émane d'un chroniqueur de La Croix (organe proche de « l'aile gauche » de la Conférence épiscopale - NNSS Simon, Dagens, Rouet - mais qui vise à exprimer ou à inspirer une opinion majoritaire dans la Conférence [1]) a eu au moins le mérite de résumer parfaitement une pensée encore fortement représentée dans l’épiscopat français et de rappeler – s’il en était besoin – que le sectarisme et l’idéologie sont toujours de rigueur dans de larges secteurs de l’Eglise de France où certains semblent ne pas vouloir voir la réalité comme elle est et continuent de se rassurer avec des clichés répétés de manière incantatoire…

Le 20 janvier dernier donc, Frédéric Mounier écrivait notamment

"Benoît XVI l’a redit aux évêques : il n’existe qu’un seul rite, celui de Paul VI, avec deux formes, ordinaire et extraordinaire. Son motu proprio ne concerne a priori qu’un petit nombre de personnes, familières du latin, troublées par le passage rapide au rite de Paul VI. Pour Benoît XVI, l’unité de l’Eglise passe par la reconnaissance de la richesse de son patrimoine liturgique, avant et après Vatican II, dans une continuité à laquelle il est très attaché. Mais, avec ces groupes militants, les évêques français se trouvent face à la revendication d’une nouvelle liturgie. Ils rappellent que le pape célèbre lui-même tous les jours, en communion avec les évêques du monde entier, selon le rite de Paul VI. Le motu proprio rappelant le rôle des évêques comme gardiens de la liturgie, c’est donc l’autorité épiscopale qui se trouve défiée."

Ce n’est certes pas la première fois que La Croix est prise la main dans le pot de confiture de la désinformation mais si nous nous y arrêtons, c'est parce qu'en un seul paragraphe, Frédéric Mounier énonce plus de contre-vérités que Pinocchio à son retour du pays des marionnettes.

À vous de juger...

1 - "Son motu proprio ne concerne a priori qu’un petit nombre de personnes, familières du latin, troublées par le passage rapide au rite de Paul VI."

Frédéric Mounier ne semble pas réaliser que nous ne sommes plus en 1970 mais… en 2010. Il faut le lire pour le croire : en 2010, il existe encore un « journaliste » qui 40 ans après l’entrée en vigueur du nouveau rite, ose écrire une telle énormité.

L’écrasante majorité des fidèles qui pratiquent aujourd’hui leur foi dans la forme extraordinaire du rite romain n’était pas née lors du « passage rapide » (pour ne pas dire violent) au nouveau rite ou était si jeune qu’elle n’en a aucun souvenir.

Que dire aussi des 34 % de catholiques pratiquants actuels qui assistent aujourd’hui à la messe célébrée dans la forme ordinaire du rite romain mais qui – s’ils avaient le choix et qu’une messe traditionnelle était célébrée dans leur paroisse – préféreraient assister à la forme extraordinaire du rite romain. Ont-ils tous l’âge des lecteurs de La Croix ?

Cette affirmation a le mérite de confirmer que pour La Croix l'indult de 1984, Quattuor abhinc annos ou le motu proprio de Jean Paul II de 1988 Ecclesia Dei n’ont jamais eu droit de cité dans l’Eglise de France puisque ces textes balaient depuis plus de 20 ans la fausse raison d’être que La Croix entend encore donner aujourd'hui au motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI.

N’en déplaise à Frédéric Mounier la réalité est toute autre.

D’années en années, le nombre de fidèles qui font le choix de la forme extraordinaire du rite romain ne fait que croître. Ces fidèles viennent pour la plupart du nouveau rite et n’ont pas eu à faire de choix en 1970 tout simplement parce qu’ils n’étaient pas nés. Venus du nouveau rite et ayant découvert la messe traditionnelle, ils font le choix libre et adulte de préférer aujourd’hui une liturgie qui les nourrit plus. C’est un fait et cela se passe aujourd’hui. Le rite de Paul VI, ils le connaissent et si passage d’un rite à l’autre il y a aujourd’hui, force est de constater que c’est bien du rite de Paul VI à celui de Jean XXIII. Cela ne concerne pas seulement les fidèles mais aussi des communautés religieuses (franciscains de l’Immaculée, cisterciens de Mariawald, bénédictins de Nursie). Merci Monsieur Mounier, mais dans ces circonstances concrètes et réelles, pas besoin d’un texte pour ceux qui seraient « troublés par le passage au rite de Paul VI».

Enfin, plus de 14% des ordinations « séculières » sont pour la forme extraordinaire (Paix liturgique, n. 183, 22 juin 2009), près de 20% des séminaristes se destinent à la forme extraordinaire (Paix liturgique, n. 176, 4 mai 2009), et 25% des vocations françaises se destinent actuellement à la forme extraordinaire (Paix liturgique, n.199, 12 octobre 2009). Nous reviendrons bientôt sur ce sujet. Disons simplement que cet indicateur illustre bien que l’attachement au rite traditionnel est résolument un choix d’avenir qui se passe dans l’Eglise d’aujourd’hui et non quelque chose qui appartient au passé. Au total, un séminariste français sur quatre se destinera – se destine déjà – à la forme extraordinaire ou au bi-formalisme. Etant rappelé que dans une dizaine d’année le nombre des 9.000 prêtres diocésains actuellement en activité en France (sur 15.000 prêtres) se réduira selon les projections les plus optimistes à 5.000 prêtres, et le nombre des prêtres « extraordinaires », dans les perspectives les plus pessimistes pour eux tendra vers 10%. Et Frédéric Mounier continue, impavide, comme en 1970, à dire que le : « motu proprio ne concerne a priori qu’un petit nombre de personnes, familières du latin, troublées par le passage rapide au rite de Paul VI »…

2 - "les évêques français se trouvent face à la revendication d’une nouvelle liturgie"

QUOI ?! La forme extraordinaire du rite romain, la messe de SaintGrégoire le Grand, la Messe du Saint Curé d’Ars, le Missel de Jean XXIII, la messe célébrée chaque matin dans Saint-Pierre de Rome, devant les Pères conciliaires, durant tout le concile Vatican II... une "nouvelle" liturgie ?!

Quel formidable exemple de mauvaise foi journalistique !

 « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962 » nous dit pourtant l’article 5 paragraphe 1 du Motu Proprio Summorum Pontificum.

En réalité, les évêques ne se trouvent pas face à la revendication d’une nouvelle liturgie mais après quarante années d’exclusion des fidèles, d’apartheid liturgique et de refus de dialogue, les évêques se retrouvent face à leurs responsabilités et à leur propre bilan.

Qu’ont-ils fait depuis quarante ans pour les 34 % de catholiques pratiquants qui assisteraient à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans LEUR paroisse ? Qu’ont-ils fait des innombrables demandes respectueuses de célébration de la liturgie traditionnelle faites depuis le motu proprio de 1988 ?

Le réveil est peut être brutal mais le problème n’est pas nouveau. Avoir répété – et continuer de le faire aujourd’hui – qu’il n’y a pas de problème liturgique en France ou que la question ne concerne qu’un « petit nombre de personnes » ne change rien à la réalité.

Ce n’est pas revendiquer que de dire aux évêques : rendez accessible à toute l’Eglise universelle le trésor de la messe latine et grégorienne du Bienheureux Jean XXIII. Une très grande partie des catholiques vous le demandent. Il n’est pas trop tard. Les fidèles du Christ – on nous le répète sur tous les tons au service de revendications déviantes – ont DROIT AUX SACREMENTS. Or ce droit existe en effet, à condition de l’entendre comme la traduction moderne de l’adage : « Le salut des fidèles est la suprême loi ». Et d’ailleurs, certains fidèles (une poignée) demandent en France à pratiquer selon tel rite oriental : on le leur accorde avec raison. D’autres (la communauté portugaise notamment) demandent des messes dans leur langue natale : on les organise pour répondre à leurs besoins spirituels. Or un fidèle du Christ sur trois vous demande partout et en tout lieux, à vous, Pères de leurs âmes, la célébration de la messe selon l’usus antiquior, et vous ne voulez pas accéder à leur demande.

3 - "Le pape célèbre lui-même tous les jours, en communion avec les évêques du monde entier, selon le rite de Paul VI."

Comme l’écrit fort justement le site Summorum Pontificum Observatus : "Avec ce classique appel néo-gallican… à l’usage romain : les évêques «rappellent que le pape célèbre lui-même tous les jours, en communion avec les évêques du monde entier, selon le rite de Paul VI.» C’est désormais le pape qui est en communion avec les évêques…"

Cet argument n’est pas nouveau mais est-il convaincant ?

Une fois encore, nous laissons la parole à Denis Crouan, militant de l’option grégorienne et classique du nouveau rite : [LIEN] "Sur la question liturgique, les évêques ont aussi rappelé que le pape célèbre lui-même tous les jours, en communion avec les évêques du monde entier, selon le rite de Paul VI. Décidément, nos évêques de France sont d'une mauvaise foi désarmante: ils osent prétendre qu'ils célèbrent la liturgie de Paul VI comme le pape, alors que chacun peut constater que les églises qui sont sous leur responsabilité sont devenues les plus grands terrains d'expériences liturgiques !"

Combien d'évêques, de France en particulier, célèbrent pour leur part comme le Saint-Père ? Crucifix central, chandeliers sur l'autel, encensement, ornements liturgiques dignes, temps de silence, chant grégorien, consécration selon le Canon romain (le seul qui rapproche les missels de Paul VI et de Jean XXIII), communion sur les lèvres et à genoux (quand Mgr Nourrichard et d’autres de ses confrères interdisent de telles pratiques pour soi-disant cause de grippe H1N1)... Voici quelques traits distinctifs des messes célébrées par Benoît XVI. Dans combien de cathédrales les observe-t-on chaque dimanche ?

Si le Saint-Père célèbre la forme ordinaire du rite romain d'une manière exemplaire, qui peut en dire autant ?

En France, une poignée d'évêques, pas plus. Et certainement pas ceux qui se plaignent des "revendications" des fidèles attachés à la forme extraordinaire !

4 - "Le motu proprio rappelant le rôle des évêques comme gardiens de la liturgie, c’est donc l’autorité épiscopale qui se trouve défiée."

Là, c'est vraiment la CERISE SUR LE GÂTEAU ! La désinformation est complète avec cette dernière phrase qui affirme une vérité "le motu proprio rappelant le rôle des évêques comme gardiens de la liturgie" pour aboutir à une conclusion en contradiction totale avec la réalité.

Car si les évêques sont bien les "gardiens de la liturgie", ils le sont de toute la liturgie, y compris de la forme extraordinaire. Ils devraient avant tout avoir à l'esprit, par souci d'unité de l'Église, d'obéissance au Pape, de charité et de bon sens, d'appliquer la volonté pontificale ! Ils devraient avoir à cœur de faciliter la mise en œuvre concrète et généreuse des dispositions contenues dans le motu proprio Summorum Pontificum.

Leur autorité épiscopale n'est en aucun cas "défiée" sauf à prétendre que c’est le pape qui serait l’auteur de cette défiance. Ce que demandent les fidèles à leurs évêques, c'est précisément d'user de leur autorité pour suivre les prescriptions romaines et le répercuter au niveau diocésain.

Malheureusement, dans bien des cas, l'autorité épiscopale ne s'exerce pas dans ce sens-ci mais fait bien souvent pression sur les curés pour les dissuader de célébrer la forme extraordinaire. Nous reviendrons prochainement sur des dossiers précis qui de Versailles à Paris, de Langres à Reims et de Metz à Angoulême illustrent la défiance que de nombreuses administrations diocésaines de France ont vis-à-vis d’une pastorale ouverte aux besoins spirituels de leurs troupeaux.

Notre Conclusion :

Aujourd'hui, 40 ans après la promulgation de la nouvelle messe, il existe une forte demande de réconciliation des fidèles et de leurs pasteurs au sein de l'unique et sainte Église catholique, apostolique et romaine.

Les temps sont mûrs pourrait-on dire. Mais à condition d'œuvrer tous ensemble à cette entreprise. Dans la clarté et la sincérité en permettant enfin aux baptisés de donner leur avis dans les domaines cruciaux de la liturgie et du catéchisme.

Un jour viendra, et il est proche, où nous nous retrouverons tous dans nos diocèses et nos paroisses dans les diversités légitimes, rassemblés autour de pasteurs qui auront à cœur de recoudre la Tunique du Christ. C’est l’ordre évangélique, et c’est en outre, aujourd’hui, le sens de l’histoire. Il est vain et destructeur, comme le fait La Croix, de creuser encore les vieux fossés. Faisons plutôt en sorte de cicatriser les funestes déchirures que tant de déviations ont générées.

[1]. Les rapports entre le groupe Bayard et le Cardinal Vingt-Trois sont assez complexes, alliance objective (comme dans l’article dont nous parlons ?), avec parfois des frottements (en février 2007, La Croix avait volontairement durci un communiqué de l’archevêque de Paris à propos du 30ème anniversaire de l’occupation de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ce qui avait beaucoup déplu au cardinal).