17 juin 2009

[Paix Liturgique] Le Motu proprio et l’affaire des Scouts d’Europe

SOURCE - Lettre 182 - 16 juin 2009

Nous publions aujourd’hui une analyse de Rémi Fontaine sur « l’affaire » des Scouts d’Europe relativement au Motu Proprio. Rémi Fontaine est journaliste, écrivain et également professeur de philosophie. Passionné de scoutisme, il a écrit plusieurs livres sur le sujet et anime chaque mois le « Libre journal des scouts » sur Radio Courtoisie.
Le Motu proprio et l’affaire des Scouts d’Europe

Le Motu proprio du 07-07-07 a été le révélateur d’une crise interne et profonde chez les Guides et Scouts d’Europe (GSE), dont ils viennent heureusement de sortir, semble t-il. Il serait trop long d’en faire ici la genèse et le développement détaillé, notre propos n’étant surtout pas de nous ingérer dans un « problème de gouvernance », mais de discerner essentiellement ce que ce problème a révélé à travers un air et une dialectique connus.

Rappelons donc qu’à rebours complet de la volonté pontificale, l’ancienne équipe dirigeante des GSE entendait pratiquer davantage encore l’exclusion de la forme extraordinaire du rite romain au sein de l’Association. Ceci, sous des motifs spécieux et contradictoires, pour mieux pouvoir en fait continuer sa politique d’ouverture « scoutement correcte » en direction d’une part des (néo)Scouts de France et d’un certain épiscopat d’autre part.

« La question est de savoir ce que doit être le scoutisme catholique, expliquait par exemple Marie-Hélène Morel dans La Croix du 2 juillet 2008. S’agit-il d’aider les jeunes à se bâtir dans la société actuelle, ou de les garder dans une forteresse ? »

« Nous ne sommes plus dans la période des combats : le temps est venu de faire l’unité », avait-elle déjà confié au même quotidien, lequel ajoutait : « Ce dont certains ont peur, redoutant d’y perdre leur identité » (28 mars).

C’est par ce genre de phraséologie fumeuse, d’inspiration dialectique, que les Scouts de France (SDF) ont précisément mené leur révolution culturelle dans les années soixante avec les ravages que l’on sait. S’il s’agit bien d’aider les jeunes à se bâtir dans la société actuelle, c’est en les préservant de ses dérives (matérialisme urbain et sécularisme relativiste) grâce à une forteresse physique qui s’appelle la nature et une forteresse morale qui s’appelle la loi. L’un n’empêche pas l’autre. C’est le programme de Baden Powell et du Père Sevin, conforté à sa manière par Benoît XVI par sa réponse aux jeunes : « Étant donné qu’il existe une culture hédoniste qui veut empêcher de vivre selon le dessein du Créateur, nous devons avoir le courage de créer des îlots, des oasis, puis de grands terrains de culture catholique…» (6 avril 2006, Place Saint-Pierre).

Au contraire de ce retour au réel et en chrétienté, autrement dit de ce sain et légitime « communautarisme », il s’agissait toujours, pour nos nouveaux réformateurs GSE, de s’inspirer consciemment ou inconsciemment de la même dialectique (marxiste) que celle des SDF, de la même praxis (d’esprit conciliaire) d’ouverture au monde (toujours à gauche unilatéralement), accusant ceux qui la rejettent d’être des peureux ou des extrémistes du « repli identitaire » ! Le refrain malin est connu et a été mille fois répété dans l’histoire contemporaine de la crise de l'Église. On juge la perversité de cette ouverture à sa fermeture systématique à sa « droite » (celle que désigne la gauche, le « médiatiquement correct ») et à ses anathèmes caporalistes ou cléricalistes fondés sur des fantasmes et des calomnies dialectiques, non sur la vérité et la justice. Ainsi pour leurs frères scouts attachés au rite tridentin…

Ancien Scout d’Europe, le directeur de « Liberté politique », Philippe de Saint-Germain, dans un long « Décryptage » de mars 2008 (www.liberte-politique.com) ne voyait pas les choses autrement : « On fantasme sur une menace intégriste, le vrai risque est un nivellement par le bas, en rupture avec l’histoire des Scouts d’Europe. » Son témoignage était d’autant plus fort qu’il appartient dans sa ville au conseil pastoral d’une paroisse « ordinaire ». Que les fantasmes anti-tradi (déjà anciens) des GSE s’exercent encore après le Motu proprio et se durcissent même à contre-sens de la volonté du Saint-Père, voici qui désigne leur inspiration clairement dialectique, dont on croit deviner cependant la source ecclésiale. C’est toujours Philippe de Saint-Germain qui parle : « Le plus étonnant, c’est que cette orientation est soutenue par des évêques du Conseil pour la pastorale des enfants et des jeunes, qui n’hésitent pas à prendre parti, au risque de consacrer une division regrettable en elle-même. S’il s’agit d’un conflit interne d’ordre temporel, l’inopportunité est manifeste ; s’il s’agit d’un enjeu d’ordre spirituel, on est obligé de considérer l’affaire sous l’angle canonique, et d’admettre qu’il y a aussi un désaccord entre des évêques et le Saint-Siège… »

Alors que les GSE furent méchamment « anathématisés » en leur temps et marginalisés aussi bien par les évêques que par les (néo)Scouts de France, voilà qu’ils obtenaient maintenant leur bienveillance relative et une certaine reconnaissance pluraliste… à condition cependant de donner des gages de docilité dans le « religieusement correct » en vigueur en France ! Ouverts surtout aux (néo)SDF à l’occasion du Centenaire du scoutisme, ils devaient corollairement se fermer à leurs voisins scouts les plus proches (ceux notamment de la forme extraordinaire), pratiquant à leur égard la même exclusion féroce qu’ils ont pourtant subie pendant des lustres, faisant à autrui…

Heureusement la manœuvre, où l’on devine comme une certaine instrumentalisation épiscopale des GSE, n’a pas marché. Dès le début, un fort courant d’opposition a rejeté la connivence de l’(ancienne) équipe dirigeante au pouvoir avec cette praxis dialectique et son ukase anti-Motu proprio. Après bien des péripéties, une nouvelle équipe a été nommée, dont le rapport moral a été approuvé à une large majorité (68%) à la dernière Assemblée générale du 2 mai dernier. Laquelle a présenté une sortie de crise et donc une voie d’apaisement dans une situation de juste autonomie laïque, rappelant que les GSE sont une association de fidèles dans l'Église et non un mouvement d’Eglise « sous la responsabilité des évêques de France », comme avait osé le prétendre La Croix (30 avril), repris par le Conseil pontifical des laïcs (dicastère romain dont dépend le mouvement) dans un droit de réponse du 5 mai.

Intitulé « Un geste de confiance », le communiqué final de cette AG conclut : « L’association confirme la volonté de travailler dans la continuité des orientations pédagogiques définies par ses textes fondamentaux, ainsi que son appartenance à l’union internationale des Guide et Scouts d’Europe (UIGSE). Elle souhaite intensifier les liens fraternels tissés avec les autres mouvements scouts. Elle réaffirme sa fidélité à l'Église et à l’aspect de sa relation filiale avec l’institution ecclésiale afin de favoriser l’approfondissement des convictions qui orientent toute action éducative. »

On comprend que le Mouvement continuera à progresser dans la volonté du Saint-Père de ramener la paix liturgique dans l'Église, même ou surtout avec la forme extraordinaire, quelque soient les modalités de son application. Sans compromettre pour autant l’unité des GSE, peut-être même en la renforçant, en faisant mieux connaître par une instruction adaptée les beautés du rite ancien, du chant grégorien. Non seulement il en acceptera la possibilité et la légitimité en son sein comme un droit opposable (ainsi qu’en toute paroisse) mais il s’ouvrira davantage, on le suppose, aux mouvements scouts qui pratiquent selon cette forme extraordinaire, rompant avec un regrettable apartheid.

Le plus révélateur dans cette histoire, c’est que la réalité sociologique actuelle des GSE est loin d’être « tradi », comme le fait remarquer un commentaire du Forum catholique. De même qu’avec Philippe de Saint-Germain, dans la tendance largement majoritaire qui a voté cet feuille de route contre l’ancienne équipe hostile à l’esprit du Motu proprio : « On n’a pas affaire à des jeunes qui fréquentent assidûment les messes de la forme extraordinaire du rite romain ; ce ne sont pas des tradis (même s’il y en a quelques uns , en particulier dans les Yvelines - qui comptaient, à ma connaissance, les rares et seules unités constituées pratiquant ouvertement la forme extraordinaire) : ils vont dans divers groupes charismatiques ou autres et ont transcendé ces clivages d’un autre temps. Si on avait 67,9% de tradis allant à la messe en latin chez les Scouts d’Europe, ça se saurait. Ils sont quoi, 1% ? » Autrement pratiquants de la forme ordinaire, découvrant il est vrai (de plus en plus) l’extraordinaire dans de grandes occasions comme, par exemple, au pèlerinage de Chartres à la Pentecôte, voire aux dernières JMJ…

Ce qui signifie que, pour la plupart, la crise n’était pas d’abord due à la liturgie : ils ont surtout réagi - c’est un bon signe des temps ! – à la pensée unique et au tropisme du « pas d’ennemi à gauche » de leurs (anciens) commissaires, retournant en quelque sorte leur stratégie d’ouverture qui faisait trop fi des critères de justice, de vérité et d’identité. Ayant bien compris l’intention du Saint-Père et son « herméneutique de continuité » (en référence à des repères, des buttes ou lampes-témoins), le Motu proprio aura servi pour eux et leur Mouvement à ce salutaire redressement philosophique selon lequel « l’agir suit l’être » (ce qui vaut éminemment pour la liturgie, comme pour toute activité morale, y compris d’ouverture) et non pas « l’être suit l’agir », comme le prône une certaine praxis révolutionnaire au mépris de l’identité personnelle ou communautaire. Semper parati !

Rémi Fontaine
Les Commentaires de Paix Liturgique :

- Disons le d’emblée, notre propos n’est pas ici de commenter en tant que telle l’« affaire » des Scouts d’Europe mais plutôt de montrer comment les réalités qu’elle a mises en lumière concordent avec le grand sondage réalisé par l’Institut CSA les 24 et 25 septembre 2008 à la demande de Paix Liturgique (Sondage CSA 08 01 153 B). Cette étude scientifique a été faite selon les normes professionnelles habituelles : échantillon de 568 personnes de religion catholique issues d’un échantillon national représentatif de 1001 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégories d’agglomération. Les résultats de ce sondage sont consultables sur le site de Paix Liturgique (Lettres 145, 145 bis et 146)…

- L’affaire des Scouts d’Europe est révélatrice de la volonté du plus grand nombre de voir cesser l’apartheid liturgique dans l'Église. L’ancienne équipe, hostile au Motu Proprio a été remerciée et une nouvelle équipe a été mise en place. Il est établi que l’ouverture au Motu Proprio est un des facteurs majeurs sur la base duquel s’est fait le changement d’équipe. Or, la nouvelle équipe dirigeante, en phase avec le souci de paix et d’ouverture du Saint Père, s’est vue confirmée par une majorité de près de 68 % lors de la dernière Assemblée Générale. A quelques unités près, cette majorité nous rappelle les 62 % de catholiques qui, à l’occasion du sondage précité, affirmaient trouver normal que les deux formes liturgiques soient célébrées régulièrement dans les principales églises de leurs diocèses. Et oui, la majorité des fidèles veulent la paix dans l'Église et sont prêts à vivre ensemble.

- L’affaire des Scouts d’Europe est révélatrice de l'enfermement clérical qu’une minorité de clercs et de laïcs « engagés » fait régner dans les paroisses et les diocèses, empêchant toute prise en compte de la réalité et imposant son idéologie passéiste...

- Les faits sont têtus : à chaque fois que les fidèles peuvent donner leur avis, les chiffres tombent et dégagent toujours une majorité favorable à la paix. Alors, « on » peut toujours dire que la plupart des fidèles ne comprendraient pas que le Motu Proprio soit appliquée dans la paroisse ; « on » peut toujours prétendre que la majorité des fidèles y est hostile… ceci est au mieux inexact, au pire mensonger. Il est temps de voir la réalité comme elle est.

- Plus que jamais nous devons implorer nos évêques pour qu’il soient bons et bâtisseurs de la paix.