1 avril 2008

[Laurent Lineuil - Objections] D’une Eglise à l’autre

SOURCE - Laurent Lineuil - Objections - avril 2008

Laurent Lineuil
D’une Eglise à l’autre
 
Rome, samedi 23 février. Sous les ors de la mosaïque de la basilique Saint-Jean de Latran, la cathédrale du pape, les fumées de l’encens montent devant l’autel de l’abside, tandis que Mgr Luigi de Magistris, à quelques pas de la cathèdre pontificale, ordonne diacre, selon la forme extraordinaire du rite romain, quatre séminaristes de l’Institut du Bon Pasteur, deux Français, un Italien et un Polonais. Dans les stalles, Mgr Renato Boccardo, secrétaire général de l’Etat de la Cité du Vatican, assiste à cette messe qui est sans doute la première à être célébrée solennellement dans le rite traditionnel en ce lieu depuis la réforme liturgique. Comme cela avait été le cas quelques semaines plus tôt pour la première messe de l’abbé René-Sébastien Fournié célébrée à la-Trinité-des-Monts, la présence de l’Institut du Bon-Pasteur à Rome est l’occasion pour les églises de la capitale de la chrétienté de renouer avec leur tradition liturgique. Le lendemain, pour la messe dominicale, ce sera au tour de la magnifique église San Nicola in Carcere où, une fois n’est pas coutume, don Carlo Cecchin célèbre face au peuple, église orientée oblige… Nouveau diacre, c’est le jeune abbé Vincent Baumann, qui s’apprête à rejoindre le Brésil d’ici quelques jours, qui proclame pour la première fois l’Evangile, avec une concentration qui contient l’émotion.
Mais revenons à Saint-Jean-Latran. Après les remerciements d’usage prononcés à la fin de la cérémonie par l’abbé Philippe Laguérie, supérieur de l’IBP, dont ceux adressés au tout nouveau chanoine de Saint-Jean-de-Latran, Nicolas Sarkozy, et la lecture du mot de remerciement adressé par son cabinet (absurdement, la nouvelle, diffusée par l’agence I-média, deviendra dans le Libé du lundi suivant le signe d’une collusion du Président de la République avec les catholiques traditionalistes…), les nouveaux diacres ont pu recevoir leurs amis présents dans une salle du palais du Vicariat de Rome, adjacent à la basilique, ce palais-même où Nicolas Sarkozy, toujours lui, a prononcé le fameux discours qui fit tant de bruit… La réception de ce jour est plus modeste, mais elle témoigne du parfait accueil fait par le diocèse de Rome à l’IBP, reçu ici en toute cordialité comme l’une des innombrables chapelles de la maison du Père.
Le lendemain soir, à Paris, le contraste était rude, surtout, on l’imagine, pour l’abbé Alexandre Berche, qui après avoir proclamé l’Evangile samedi dans la cathédrale du pape, le faisait à présent dans la petite salle sans fenêtre transformée en chapelle pour les besoins du Centre Saint-Paul, rue Saint-Joseph, dans le deuxième arrondissement de Paris. Une salle trop petite pour les fidèles qui se pressent aux cinq messes dominicales, où la visibilité est souvent problématique, où les fumées de l’encens, faute de place pour s’élever sous les voûtes inexistantes, deviennent vite étouffantes. Et qui coûte, tous les mois que Dieu fait, fort cher en loyer. Pendant ce temps, sur les murs des villes d’Ile-de-France, s’étalent les affiches de la nouvelle campagne des diocèses de la région en faveur du denier du culte : « Il y a une église dans ma vie », proclament-elles, afin de persuader les catholiques non pratiquants de participer aux frais qu’occasionnent les nombreux clochers au cœur de leurs villes et leurs villages, qui font partie de leur environnement culturel aussi bien que religieux. Il y a une église dans ma vie ? Oui, bien sûr, et même plusieurs. Mais en attendant, mon denier du culte sert à louer, à fonds perdus, une petite salle inconfortable, au lieu d’aider à faire vivre une de ces belles églises dont notre pays est si riche. Sans aller jusqu’à rêver des fastes de Saint-Jean-de-Latran, il doit bien exister, à Paris, une église sommeillante, modeste peut-être, mais une église véritable, qui puisse accueillir une paroisse personnelle de l’Institut du Bon Pasteur… Alors, les fidèles parisiens de l’IBP pourraient dire, sans avoir à jouer avec les mots : « Il y a une église dans ma vie ». Et se sentir autant chez eux à Paris qu’à Rome.

Laurent Lineuil - Objection n°15