9 février 2008

[Aletheia n°120] Réformes et restaurations, pas à pas - par Yves Chiron

Au regard de ses écrits et de ses actes antérieurs au pontificat, il était clair, dès le début, qu’en matière liturgique, Benoît XVI serait à la fois un réformateur et un restaurateur (cf. Aletheia, n° 74, 20 avril 2005).
Non pas seulement un réformateur du nouveau rite (la fameuse « réforme de la réforme ») et un restaurateur de l’ancien rite (le non moins fameux « droit de cité »), mais aussi un réformateur de l’ancien rite. Avec, au terme de ce double mouvement de réforme et de restauration, la fusion des deux rites.
Celui qui était le cardinal Ratzinger l’avait affirmé dans une lettre à son ami le professeur Barth : « le rite romain de l’avenir devra être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais entièrement fondé dans la tradition du rite ancien » (lettre reproduite dans Aletheia, n° 89). Que cette perspective de l’unique rite soit à long terme, à très long terme même, celui qui est devenu Benoît XVI en a bien conscience lui qui sait aussi que le temps de l’Eglise ne s’apprécie pas avec la même mesure que le temps des affaires et des projets uniquement humains.
Quatre actes récents montrent ce double mouvement de réforme et de restauration :
• les éditions du Vatican ont créé une nouvelle collection « Monumenta Liturgica Piana » qui propose l’édition anastasique des livres liturgiques selon la dernière editio typica de 1962. Le Missale Romanum vient de paraître, suivra la réimpression du Rituale Romanum dans l’editio typica de 1952, du Pontificale Romanum dans l’editio typica de 1961-1962 et du Breviarium Romanum dans l’editio typica de 1962.
Le Missale Romanum qui vient d’être réédité n’est pas destiné aux fidèles. Par son format, c’est un missel d’autel, relié, avec notations musicales. Il est destiné aux prêtres, comme un prolongement naturel du motu proprio de juillet 2007[1].
• le 13 janvier 2008 dernier, dans la Chapelle Sixtine, Benoît XVI a célébré la messe (en italien), sur l’autel ancien, sous la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange, « tourné vers le Seigneur » et non pas face au peuple comme l’usage s’en est répandu avec le nouveau rite.
Sans en faire une norme pour tous les prêtres, Benoît XVI a voulu mettre en acte, en tant que Souverain Pontife, une conviction spirituelle et théologique. Cette conviction, il l’avait exprimée, notamment, il y a plus de quinze ans, en préfaçant la traduction française de l’ouvrage de Mgr Klaus Gamber, Tournés vers le Seigneur (Editions Sainte-Madeleine, 84330 Le Barroux) : « L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles – dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant – était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtre et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : Tournons-nous vers le Seigneur ! ».
• Mgr Athanasius Schneider a publié, le 18 janvier, aux éditions du Vatican, un ouvrage consacré à la communion[2]. Mgr Albert Malcolm Ranjith, secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin, a accordé une préface à ce livre. Mgr Ranjith regrette que la pratique de distribuer la communion dans la main ait été « introduite abusivement et à toute vitesse dans certains milieux de l’Eglise tout de suite après le Concile. »
Cette pratique a banalisé l’acte de la communion, mais aussi a généralisé une attitude désinvolte ou irrespectueuse face à l’hostie consacrée elle-même. Mgr Ranjith estime nécessaire de « revoir » et « si nécessaire abandonner » la pratique de la communion dans la main.
Dès 1969, Jean Madiran avait analysé la « tromperie » du Processus de la communion dans la main[3] ; un processus qui a commencé avec l’instruction Memoriale Domini de la Congrégation pour le Culte divin, en date du 29 mai 1969. L’instruction procédait en trois temps. Elle faisait référence à une consultation des évêques du monde : ils s’étaient montrés très largement hostiles à la communion dans la main : 567 Placet contre 1.233 Non placet. Elle indiquait la position de Paul VI : « le Souverain Pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles ». Mais, elle laissait aux Conférences épiscopales le soin d’autoriser « un usage différent », dans certaines conditions.
Cette autorisation exceptionnelle et conditionnelle de mai 1969 est devenue la norme universelle, sans éviter les risques redoutés par l’instruction elle-même : « manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie. »
L’alarme lancée par Jean Madiran en 1969 a trouvé, près de quarante ans plus tard (!), une première réponse dans la préface du secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin.
• La prière « pour la conversion des Juifs », qui figure parmi les oraisons du Vendredi saint, avait été modifiée dans l’editio typica du Missel de 1962 (les mots perfidis — incrédules – et perfidia – incrédulité – avaient été supprimés). Après le motu proprio de juillet dernier, des organisations juives avaient demandé que cette prière pro Iudaeis soit supprimée. Par un décret du 4 février, Benoît XVI ne supprime pas cette prière, mais il en rend obligatoire une nouvelle version : si les expressions auferat velamen de cordibus eorum et a suis tenebris eruantur sont supprimées, la conversion des Juifs est toujours demandée à Dieu : Ut Deus et Dominus noster illuminat corda eorum, ut agnoscant Iesum Christum salvatorem omnium hominum.
Précisions
• À propos du n° 118 : outre le P. Philippe Verdin, dominicain, il faut compter aussi au nombre des inspirateurs du « Discours du Latran », son amie, Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy. Elle a tenu à le faire savoir au Figaro (16 janvier 2008).
• À propos du n° 119 : un lecteur, jésuite, a fait remarquer que les Jésuites ne sont plus 22.000 dans le monde mais « seulement 19.500 ». Il précise aussi que le noviciat français jésuite n’est pas « mixte » mais qu’ « il y a un internoviciat ignatien qui se réunit de temps à autre ». En d’autres termes, jeunes novices masculins jésuites et jeunes novices féminines de la famille ignatienne se retrouvent de temps en temps, pour quelques jours de « partage », de réflexion et de prière.
• Après le Discours du Latran (20 décembre 2007) à destination des catholiques et après le Discours de Riyad (le 14 janvier 2008) à destination des musulmans, il y aura le « Discours au Grand Orient de France » à destination des francs-maçons et des tenants de la laïcité. La date n’est pas arrêtée, mais Nicolas Sarkozy a accepté de venir s’exprimer lors d’une « tenue blanche fermée » devant le Grand Orient de France. Ce sera une première sous la Ve République de voir le Chef de l’Etat s’exprimer dans une loge maçonnique.
Y.C.
[1] Missale romanum. Edition typica (1962), Libreria Editrice Vaticana (00120 Città del Vaticano), 1.096 pages, 59 euros.
[2] Mgr Athanasius Schneider, Dominus Est, Libreria Editrice Vaticana, 2008, 8 euros.
[3] Jean Madiran, « Le processus de la communion dans la main », Itinéraires, n° 135, juillet-août 1969.