27 février 2007

[Pro Liturgia] Benoît XVI va-t-il céder?

SOURCE - Pro Liturgia - 27 février 2007

Les fidèles attendaient un redressement de la liturgie; il n'a pas lieu. Certains espéraient un motu proprio en faveur de la liturgie ancienne; il n'est pas arrivé. Nombreux sont ceux qui souhaitaient des nominations d'évêques issus d'une génération étrangère aux idées encore trop présentes de 68; elles ne semblent pas être à l'ordre du jour... Benoît XVI serait-il en train de décevoir? C'est en tout cas une idée qui se dégage à la lecture de nombreux sites internet. Mais ne convient-il pas de dépasser les premières impressions et d'analyser les choses plus en détail pour ce qui touche directement à la situation de la France?
 
Concernant la liturgie: que peut faire le pape face à une fronde épiscopale déclenchée par l'idée d'un motu proprio libéralisant la liturgie d'avant Vatican II? Que peut faire le pape lorsqu'il doit s'appuyer sur des évêques persuadés qu'il n'y a pas de problèmes en liturgie? Que peut faire le pape lorsqu'il est face à des évêques convaincus que les orientations conciliaires sont appliquées dans les diocèses?
 
Revenons un instant sur le communiqué que les évêques de la province ecclésiastique de l'Est (Besançon) ont adressé à Benoît XVI en apprenant la publication d'un motu proprio et voyons ce qu'il révèle.
 
Texte: "Réunis, le 25 octobre 2006 à Lons-le-Saunier, dans le cadre de l'Instance Régional Evêques Prêtres, les évêques de la Province ecclésiastique de Besançon et les évêques des diocèses concordataires de Strasbourg et de Metz ont décidé de faire part au Saint-Siège de leurs inquiétudes suscitées par la création de l'Institut du Bon Pasteur, dans l'archidiocèse de Bordeaux, et l'éventualité de la publication d'un Motu proprio du Pape Benoît XVI généralisant l'usage du rite tridentin pour la célébration de la messe."
 
Commentaire. Comment ne pas avoir l'impression que des évêques font comprendre qu'eux, de là où ils sont, ont une vision claire et objective des problèmes de l'Eglise que le pape, n'a pas? Et qu'en est-il du charisme d'infaillibilité? Est-ce le Successeur de Pierre qui en jouit, ou un collectif d'évêques?
 
Texte: "Les évêques, soucieux du bien commun et de l'unité de l'Eglise, ont pris cette initiative en raison du trouble ressenti par beaucoup de fidèles, de diacres et de prêtres de leurs diocèses respectifs."
Commentaire. Il est pour le moins curieux de voir des pasteurs diocésains s'inquiéter de l'unité de l'Eglise, alors que pendant des années il ne fut question que de "pluralisme" et de "respect des diverses sensibilités". On peut aussi être surpris d'apprendre que des fidèles ont été "troublés". De quels fidèles s'agit-il ici? Des 5% qui pratiquent encore? De quels prêtres parle-t-on? De ceux qui constituent ce clergé n'ayant jamais été capable de célébrer la liturgie issue de Vatican II faute de n'avoir jamais bénéficié d'une formation théologique solide?

Il devient assez difficile de croire que signataires du communiqué adressé au Siège apostolique soient au courant de la réalité.
 
Texte: "Estimant que la liturgie est l'expression de la théologie de l'Eglise, les évêques redoutent que la généralisation de l'usage du Missel romain de 1962 ne relativise les orientations du concile Vatican II. Une telle décision risquerait aussi de mettre à mal l'unité entre les prêtres, autant qu'entre les fidèles."
Commentaire. Si la liturgie est l'expression de la théologie de l'Eglise, comment se fait-il qu'on ne trouve pas aujourd'hui deux messes célébrées de la même façon? Comment peut-on justifier que chaque célébrant, puisse s'autoriser à accomoder la liturgie à sa façon?
 
Mais il y a plus consternant: les signataires du communiqué laissent clairement entendre qu'une décision prise par le pape mettrait à mal l'unité entre les prêtres autant qu'entre les fidèles. Le Successeur de Pierre est donc présenté ici comme un diviseur potentiel au sein de l'Eglise. Gravissime allégation! Qui ne voit que nos évêques font ici, à l'encontre du pape, preuve d'une inconvenance qui n'a que l'excuse de l'insuffisance de leur formation théologique?
 
Texte: "Depuis de nombreuses années d'importants efforts de formation liturgique ont été réalisés, les évêques s'en réjouissent et encouragent leurs diocésains à poursuivre le travail engagé."
 
Commentaire. Et pourtant... partout - à de très rares exceptions près - où la liturgie est organisée par des fidèles ayant bénéficié d'une "formation" dispensée au sein des instances diocésaines, c'est la catastrophe.
 
Une autre question mérite d'être posée ici: c'est celle qui concerne les récentes nominations d'évêques. A première vue, il y a de quoi être dubitatif. Mais là encore, il faut regarder plus loin - avec les yeux de la foi - et considérer les choix qui s'offrent à Benoît XVI pour nommer des pasteurs diocésains dans le contexte que connaît l'Eglise en France.
 
Première possibilité: transférer tel évêque déjà en poste à un nouveau siège. On ne fait alors que déplacer le problème. Dépouiller Pierre pour habiller Paul n'est pas une solution d'avenir, comme chacun peut le comprendre. 
 
Deuxième possibilité: sacrer évêques des personnes bien en vue, et qui ont déjà su faire parler d'elles. Le problème, dans ce cas, est que nous finirions à n'avoir plus que des carriéristes à la tête des diocèses, des gens ayant tout fait pour être mitrés et se faire appeler "monseigneur"... Mais l'on sait que le pape se méfie de ces clercs souvent aussi ambitieux qu'intrigants: il l'a dit en commentant le Chemin de Croix du Colisée en 2005, et il vient de le répéter aux jeunes gens qui se préparent à la prêtrise au Séminaire de Rome.
 
Troisième possibilité: trouver un prêtre vraiment capable d'assumer une charge épiscopale. Il en existe dans les diocèses... Mais le problème vient de ce que de plus en plus souvent, ces hommes, généralement discrets, refusent d'accéder à l'épiscopat. Il en ont le droit. Qui pourrait leur faire grief de refuser une fonction qui leur ferait perdre leur santé spirituelle, psychologique et physique? Car quel homme serait assez fou pour accepter de n'être plus que le gérant de structures diocésaines qui tournent à vide, le responsable d'un clergé vieillisant, théologiquement peu formé et sans relève? Quel homme serait assez fou pour imaginer pouvoir redresser une situation dont les chiffres révèlent qu'elle est plus qu'inquiétante?
 
Il est donc évident que les marges de manoeuvre du pape sont assez limitées en France: heureux est-il s'il trouve encore des prêtres simplement capables, une fois sacrés évêques, d'administrer des structures diocésaines sans faire de vagues, ni dans un sens ni dans l'autre, et de trouver leur place au sein d'un épiscopat qui demeure le moins diplômé dans l'Eglise universelle (Au lieu d'y trouver des hommes ayant une solide formation théologique, on n'y voit que des gens ayant touché un peu à tout, mais sans vraiment rien approfondir).
 
Nous avons, bien sûr, le droit d'être déçus de cette situation, mais nous n'avons pas le droit d'en être inquiets ou désespérés. Qui, aujourd'hui, se souvient de la situation dans laquelle se trouvait l'Eglise aux Pays-Bas lorsque Jean-Paul II fut nommé pape? Qui se souvient qu'une émission télévisée qui présentait l'Eglise en Hollande avait dû être diffusée... accompagnée du "carré blanc" qui signifiait à l'époque que le document était interdit aux moins de 18 ans? Telle était alors la situation dans ce pays autrefois si catholique. Mais bien des années, plus tard, alors que l'Eglise s'y est redressée, une théologienne des Pays-Bas disait à des catholiques français qui évoquaient la crise traversée par l'Eglise dans leur pays: "Vous, en France, vous continuez à descendre lentement mais sûrement; cependant, vous n'avez pas encore touché le fond de la piscine comme nous l'avons touché, nous, bien avant vous, aux Pays-Bas. Quand vous l'aurez touché, alors vous pourrez donner le coup de pied qui vous fera enfin remonter à la surface."
 
Alors déçus? Oui, sûrement. Inquiets? Non... Evitons de nous comporter comme les disciples dont la barque était prise dans une tempête pendant que le Maître dormait paisiblement. "Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi?" leut dit-il... (cf. Mt 8, 25). Et à ceux qui pensent que le Souverain Pontife devrait diriger l'Eglise de façon autoritaire avant tout, il faut leur rappeler que l'épiscopat français n'est plus composé que d'évêques bénis-oui-oui tels qu'on en a connus au XIXème siècle, et leur conseiller vivement la (re)lecture de Jean, 21, 15-17.