3 février 2006

[Mgr Fellay - DICI] Sermon de Mgr Bernard Fellay, le jeudi 2 février 2006, à Flavigny

SOURCE - Mgr Fellay - DICI - 2 février 2006

Résumé : Après avoir expliqué le sens spirituel de la fête de la Purification de la Très Sainte Vierge, célébrée en ce jour, et en avoir tiré les conséquences pratiques pour les vingt séminaristes qui prenaient la soutane, Mgr Fellay a exposé l’état des relations entre Rome et la Fraternité Saint Pie X, depuis l’audience que lui a accordée Benoît XVI, le 29 août dernier.
Lorsqu’on parle du Temple (où a eu lieu la purification de la Très Sainte Vierge), on pense à l’Église, et nous aimerions aujourd’hui exposer brièvement la situation où nous nous trouvons.

Il n’y a en réalité rien de bien spécial, rien de bien nouveau sinon une agitation qui indique que le démon se démène, cette fois-ci un peu plus fortement que d’habitude. Les prêtres, qui connaissent le discernement des esprits, savent bien que toute pensée qui introduit le doute, l’inquiétude, la méfiance, ne vient pas de Dieu. C’est précisément l’esprit du démon qui insuffle cette agitation frénétique qui parcourt certains milieux aujourd’hui et qui essaie de troubler, de jeter une méfiance parmi les fidèles, parmi les prêtres, en voulant faire croire que le Supérieur Général est en train de faire des transactions secrètes pour aller, dit-on, avant Pâques signer ou obtenir une administration apostolique.

Il n’y a rien de vrai, c’est du vent ! La seule chose vraie depuis l’audience que nous avons eue avec Benoît XVI au mois d’août est que nous avons rencontré le cardinal Castrillón le 15 novembre dernier. Nous avons à nouveau exposé toutes nos réserves, nos attentes envers Rome en leur disant : "Écoutez, la vie catholique normale n’est pas possible dans l’Église aujourd’hui. Depuis le Concile, cela a été rendu impossible… Vous voulez des accords ? Nous n’y sommes pas opposés, mais il faut d’abord les rendre possibles. Et comme nous voulons absolument rester catholiques, il faut que cette vie catholique soit de nouveau rendue possible. Cela veut dire tout d’abord réprimer les abus, les condamner ; cela signifie toute une série d’actes, de reprises en main de l’Église. Cela veut dire aussi des actes positifs : c’est-à-dire réintroduire cette vie de la foi catholique, avec toutes ses exigences. Cela veut dire redonner sa liberté à la messe qui remettra l’Église sur ses rails, qui recentrera l’Église sur Notre-Seigneur Jésus-Christ.".

Ensuite nous leur avons dit : "Nous constatons que Rome maintenant convient qu’il y a une crise dans l’Église". Aujourd’hui cela n’est plus nié à Rome, et nous pouvons dire que les gens sérieux à Rome sont affolés par la situation de l’Église, même si dans certains discours, ils disent le contraire. Nous en sommes absolument certains parce que nous l’avons entendu de leur propre voix et qu’ils sont très inquiets de cette situation, le Pape le premier. Cependant le problème vient de ce que nous ne sommes pas d’accord sur les causes de cette crise. La hiérarchie à Rome veut attribuer cette crise au mal qui secoue le monde. C’est le monde qui est coupable de ce que les choses vont mal dans l’Église !

Alors, nous avons exposé au cardinal Castrillon (le contenu) de la lettre de Mgr Lefebvre adressée au cardinal Ottaviani, un an après le Concile. Nous avons montré, en commentant cette lettre, comment Monseigneur décrivait admirablement les conséquences du Concile sans parler d’abus, sans parler de déviation, mais comment le Concile - tel qu’il s’est passé - conduit à la crise que nous vivons. Ce texte écrit en 1966 est aujourd’hui actuel dans tous ses points. Cette vue de Monseigneur est admirable précisément sur la situation de l’Église, sur le Concile. Nous avons bien insisté en disant : "La faute vient du Concile. Mais cela ne veut pas dire que toutes les erreurs que l’on rencontre aujourd’hui dans l’Église viennent du Concile. Cela veut dire que le Concile a ramassé ces erreurs et les a comme inoculées dans les veines de l’Église". Et j’ai continué en disant : "Si vous voulez sortir de cette crise, oubliez un instant la Fraternité, occupez-vous de résoudre cette crise ! La crise résolue, la Fraternité ne sera plus un problème pour vous".

Après ces longues discussions le Cardinal a dit : "Je constate que tout ce que vous exposez ne vous met pas en dehors de l’Église, donc vous êtes dans l’Église". Et il a continué en disant : "Je vous demande d’écrire au Pape pour lui demander qu’il enlève les excommunications". Depuis lors, nous en sommes restés là, car évidemment nous n’allons pas demander qu’on enlève quelque chose que nous ne reconnaissons pas. Nous avons toujours refusé de reconnaître la validité de ces excommunications, nous ne pouvons donc pas demander qu’on enlève quelque chose qui n’existe pas. Et avant même de poser cet acte, nous avons demandé bien sûr le retrait du décret d’excommunication, son annulation ; mais même dire "annuler" veut déjà dire que l’on reconnaîtrait quelque chose. Nous l’avions demandé depuis le début ; c’était l’un des préalables que nous avions posés. Et, pour la première fois, Rome semble prendre ce chemin que nous leur avions proposé en l’an 2000.

Cependant bien évidemment, avant de faire ce pas, il nous faut essayer de comprendre pourquoi tout à coup Rome nous demande cela, où Rome veut-elle aller, et quel est le but qu’elle poursuit dans ce changement de tactique. Il est assez clair que Rome, le Pape voudrait régler les affaires de la Fraternité, si je puis parler ainsi, et dans leurs perspectives, rapidement. De notre côté, nous avons toujours insisté pour dire qu’avant un règlement pratique il fallait éliminer les principes qui sont d’une part générateurs de la crise, et qui d’autre part nous tueraient si nous les acceptions. Ainsi nous ne pouvons absolument pas accepter. Et nous en sommes aujourd’hui à ce point-là. Nous réclamons, nous demandons à Rome d’examiner ces principes mortifères dans l’Église pour les éliminer, pour les rejeter : ce libéralisme, ce modernisme qui sont entrés dans l’Église et qui vraiment tuent la vie chrétienne, qui se manifestent dans la collégialité, dans l’œcuménisme, dans la liberté religieuse, dans ce concept aujourd’hui avalisé par Benoît XVI lui-même, répété combien de fois, de l’état laïque.

Le Pape, dans son discours du 22 décembre, nous dit qu’en revenant à cet état laïque, l’Église revient à l’Évangile, et pourtant l’Évangile dit le contraire ! L’Évangile dit : "Il faut qu’Il règne". Saint Paul expose admirablement que toute autorité vient de Dieu, toute autorité ! Et que s’il nous faut nous soumettre aux autorités civiles, c’est parce que ce sont des lieutenants de Dieu. C’est de Dieu que ces autorités reçoivent l’autorité sur les âmes et elles répondent à Dieu, à Notre-Seigneur Jésus-Christ de leur manière d’exercer l’autorité, qu’il s’agisse d’Hitler, de Néron, de Gorbatchev, de Chirac, tous ceux que vous voulez, tous, au moment de leur mort apparaissent devant Notre-Seigneur Jésus-Christ pour rendre compte de la manière dont ils ont exercé le pouvoir parce que Notre-Seigneur est leur roi. Qu’il s’agisse des païens ou des chrétiens, c’est la même chose : Notre-Seigneur est le roi de tous !

Il suffit de regarder d’un peu plus près l’influence qu’a la société dans laquelle les hommes vivent. Quelle influence a la société civile sur leur vie ! Il est tellement évident qu’une société civile imprégnée des lois de Dieu aidera l’âme à faire son salut, et le contraire est tout aussi évident ! Cette société civile dans laquelle la vie de chaque homme se déroule quotidiennement a nécessairement une influence sur sa vie. Pour nous cela relève de l’évidence que la société civile doit être en harmonie avec la société de l’Église, et donc que les principes, les lois qui dirigent, qui organisent la vie humaine doivent être imprégnées jusqu’au bout de la loi de Dieu, du Décalogue. Bien que la fin de cette société civile soit seulement temporelle, il n’y a pas contradiction entre les deux, il doit y avoir nécessairement harmonie. Cela relève de l’évidence pour nous. Eh bien ! nous osons dire que pour le Pape actuel, il semble que l’Etat laïque soit une évidence, soit un axiome, - cela fait partie de ces choses qui sont des principes qui ne se démontrent pas. D’où un immense problème, un point d’achoppement avec les autorités romaines que l’on peut résumer d’un mot : le Concile, et qu’on perçoit très nettement sur cette question de la liberté religieuse.

Et donc, mes bien chers frères, il faut continuer. Nous continuons tout simplement, sereinement ce chemin si bien indiqué par notre fondateur, Mgr Lefebvre, et c’est tout. Nous savons que l’Église a les promesses de l’indéfectibilité, les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais contre elle. Elle dépassera un jour cette crise. A nous de mettre toute notre énergie, à notre place évidemment, pour travailler à ce dépassement de la crise, et donc forcément nous aurons des relations avec Rome. C’est une erreur que de prétendre qu’il ne faut pas discuter avec eux. On attend d’eux qu’un jour ils soient catholiques, et on voudrait ne pas discuter avec eux ? Saint Paul, parlant des païens, disait : "Comment se convertiront-ils s’ils n’entendent pas la foi, si personne ne leur rappelle les principes ?" Est-ce qu’on veut inventer, ou est-ce qu’on veut réclamer un miracle continuel de Notre-Seigneur ? Cela peut arriver, mais le chemin habituel du Bon Dieu c’est d’utiliser les causes secondes pour toucher les âmes. Encore une fois, sans vouloir nous donner de rôle spectaculaire ou extraordinaire, nous sommes dans les circonstances de l’histoire où le Bon Dieu nous a placés, où il nous faut accomplir notre devoir d’état de prêtre, d’évêque, chacun à sa place, en essayant d’obtenir le maximum de bien de ces autorités qui sont certes encore enténébrées.

Prions ! Prions le Bon Dieu que cette lumière que nous saluons en Notre-Seigneur éclate de nouveau dans l’Église. Ayons vraiment un cœur d’apôtre. Le Bon Dieu a insisté auprès des apôtres pour dire que cette lumière, on ne la mettait pas sous le boisseau. Elle doit éclairer ; il faut avoir au cœur ce désir de convertir les âmes. Si le Bon Dieu nous a donné, à nous, cette grâce d’y voir clair, eh bien ! c’est un péché que de la garder pour soi. Nous devons avoir au fond du cœur ce désir de gagner toutes les âmes - selon bien sûr les dispositions du Bon Dieu -, mais il faut travailler, avoir un cœur grand comme le cœur de Notre-Seigneur. C’est notre modèle. Chaque jour le prêtre, à la messe, célèbre un sacrifice d’une valeur infinie, d’une puissance, on peut dire, universelle. Les grâces de la messe touchent le monde entier, toute l’Église. Ce serait quand même ridicule de voir un prêtre qui, en même temps qu’il fait cet acte si immense, réduise son cœur à une toute petite chose. Bien sûr, il aura des intentions particulières, mais il doit garder ces intentions immenses qu’il prononce lui-même tout au début du Canon : il prie pour toute l’Église ; à l’offertoire il prie pour tous les fidèles du monde entier. Gardons cet esprit, et demandons-le tous les jours plus grand, à exercer ensuite tous les jours, - avec évidemment la prudence, sous la lumière toujours de Notre-Seigneur, de la divine Providence.

Confions donc toutes ces grandes intentions, intentions de nos jeunes séminaristes, les grandes intentions de l’Église à Notre Dame en ce jour. Qu’elle nous protège, qu’elle nous présente à Dieu tous les jours toujours plus purifiés comme on le demande dans l’oraison afin que, plaisant chaque jour davantage à Dieu, nous obtenions, par notre coopération à sa grâce, de nous sanctifier et de sanctifier les autres. Ainsi soit-il !