11 janvier 2006

[Sensus Fidei] A propos des négociations entre Benoît XVI et la Fraternité Saint Pie X

SOURCE - Sensus Fidei - 11 janvier 2006

Une étude sur la négociation entre Rome et la Fraternité, par un adhérent de Sensus Fidei
Introduction
J’ai lu avec amusement dans la dernière livraison de Fideliter (N° 168, Novembre-Décembre 2005) un article de l’abbé Célier sur l’abrégé du Catéchisme de l’Eglise catholique, le « Compendium », premier écrit officiel d’importance du nouveau pape Benoît XVI. Mais j’ai lu aussi, dans l’éditorial « Affronter le Concile », page 10, que « cette étude...a été remise par Mgr Fellay au pape comme un symbole des difficultés doctrinales actuelles » et là, je me suis posé des questions. L’axe de l’article de l’abbé Célier est le suivant. A première lecture, le Compendium soulève l’enthousiasme, en particulier parce qu’il évite de citer le concile Vatican II. (L’abbé de Cacqueray, dans son éditorial du même numéro de Fideliter,nous rappelle que l’édition complète du Catéchisme cite « le » concile 800 fois en 600 pages). Mais, à la seconde lecture, c’est l’horreur, car l’abbé Célier découvre que, si les indications de leur provenance ont été enlevées, le texte reprend parfois mot à mot des phrases du Concile. Aussi bien sans hésiter nous recommande-t-on d’éviter le Compendium et de revenir au bon catéchisme du concile de Trente. La satisfaction de l’abbé d’avoir débusqué ces emprunts au Concile Vatican II a quelque chose de rafraîchissant. On sent qu’il a pris goût, depuis le livre qu’il a publié sous le nom de Paul Sernine (anagramme d’Arsène Lupin), à la casquette du détective. Mon interrogation est toutefois la suivante : de quelle utilité un tel texte peut-il être dans les discussions entre la Fraternité et le pape ? Franchement, je ne le vois pas. Le pape n’aura évidemment rien appris en lisant qu’une partie du texte du Compendium reprend les formules du concile. Il aura sans doute appris davantage en entendant de la bouche de Monseigneur Fellay les raisons pour lesquelles ce dernier juge ces formules inacceptables. Mais, finalement, est-il bien utile, au moment où nous sommes, de rabâcher nos critiques de Vatican II ? Est-ce vraiment ce point qui est le plus important, au moment, je le répète, où le monde traditionaliste (je déteste ce mot de « traditionaliste » ; nous sommes des catholiques tout court, mais comme d’autres, dont il convient de nous distinguer, ont la même prétention, il faut bien accepter cette cotte mal taillée) devrait focaliser son attention dans les négociations avec le Souverain Pontife ? Aux yeux de la Fraternité, à lire les déclarations aussi bien de l’abbé de Cacqueray que de Monseigneur Fellay, c’est une évidence. Qu’il me soit permis, cependant, de défendre ici une thèse différente.

Mais tout d’abord un aveu et une revendication. L’aveu, c’est que l’auteur du présent texte n’est pas membre de l’Eglise enseignante. La revendication, c’est d’être lu malgré tout avec un minimum d’attention. Même en matière de foi, ont remarqué les théologiens, le sentiment commun des fidèles est loin d’être sans signification. Personne ne soutiendra, évidemment, que l’Eglise enseignante ait à se ranger à l’opinion des laïcs, si instruits et fidèles soient-ils. Cependant c’est un devoir et une sécurité pour elle de s’informer « avec déférence » (c’est ce qu’écrit, par exemple, Melchior Cano), de celle-ci, pour la bonne raison que le corps des croyants est un des témoins de la tradition et que aucun des canaux par lesquels s’exprime la tradition ne peut être traité sans respect. Mon souhait est que les lecteurs des lignes qui suivent y cherchent une indication de ce qui est peut-être le sentiment d’une plus grande portion du peuple de Dieu que beaucoup ne le pensent.

Je procéderai en trois points, que voici. Premier point : c’est une perte de temps, au moment où nous sommes, d’attaquer le concile sur le plan de son orthodoxie. Le drame du concile concerne la praxis Le drame n’est pas ce qu’il a dit - qui, de toute façon est ambigu et, par conséquent, peut être remis à l’endroit, mais les pratiques qu’il a imposées autoritairement et qui sont délétères. Second point : il est vain d’insister pour que l’Eglise désavoue formellement le concile. Le mieux qui puisse être espéré est que ce funeste événement tombe peu à peu dans l’oubli. Ce qui est urgent est une remise en ordre des pratiques de l’Eglise. Cela ne sera pas facile à obtenir. Tout ce qui risque de détourner de cet objectif prioritaire est plus nocif qu’utile. Troisième point : ce que l’on peut savoir aujourd’hui des intentions du pape semble indiquer qu’elle sont en ligne avec notre second point. Le devoir des représentants de l’univers traditionaliste est, dans un premier temps, de vérifier sans a priori si cette impression est fondée et, si c’est le cas, de se mettre sans arrière-pensée à la disposition de Benoît XVI pour l’aider à oeuvrer au rétablissement de la chrétienté.
Premier point : Il est vain d’attaquer le Concile sur le point de son orthodoxie, le point central étant la praxis à laquelle il a conduit.
Le terme de praxis a été mis à la mode par les marxistes, mais la chose est vieille comme l’humanité. L’homme est chair et esprit - automate autant qu’esprit, dit même Pascal, d’où l’importance des lois, des règlements, des moeurs, du culte, des cérémonies. « Lex orandi, lex credendi » , dit l’Eglise. Si l’Islam a connu le succès que l’on sait, en dépit d’une théologie bizarre, c’est grâce à une série d’interdits sociaux, maintenus impitoyablement, il est vrai, pendant des siècles. Sans atteindre à la même perfection, bien d’autres structures autoritaires ont emprunté le même chemin, accordant plus d’importance au modelage de l’esprit du citoyen, par le contrôle de l’éducation, de l’économie et de la culture, qu’à l’idéologie proprement dite, que l’on voit souvent évoluer radicalement au cours du temps. En ce qui concerne l’évolution récente - et désastreuse - de la chrétienté, il est évident que c’est au Concile de Vatican II que nous la devons. Mais est-ce directement à sa théologie ? Je veux dire ceci. Le concile a-t-il adopté des positions théologiques qui auraient automatiquement, une fois transformées en guide d’action pratique par l’administration catholique, par la machinerie que constitue l’ensemble des cardinaux, évêques, théologiens, professeurs de séminaires et membres des diverses curies, conduit à la catastrophe que nous savons ? Plus clairement, peut-on penser que la machinerie catholique est demeurée, dans l’Eglise post-conciliaire, telle qu’elle avait toujours été, et que si on lui avait proposé une bonne théologie, elle aurait fourni des guides d’action corrects ? L’importance de la question est considérable. Si la machinerie est demeurée intacte, il suffira, pour redresser l’Eglise, d’amender la théologie des documents conciliaires, et les applications suivront. Si par contre la machinerie elle-même a été faussée, alors, le problème est différent, les priorités changent. C’est à la réparation de la machinerie qu’il convient de s’atteler en premier. Qu’on ne me fasse pas dire que la théologie du Concile n’est pas critiquable. Elle est franchement erronée sur certains points, au moins dans l’interprétation qui en est donnée par les théologiens les plus aimés des medias. Toutefois ses formulations sont ambiguës et peuvent, par conséquent être ré-orientées dans un sens orthodoxe. La praxis imposée à l’occasion du Concile, par contre, n’a rien d’ambigu : elle conduit l’Eglise à la ruine (« A vue humaine, l’Eglise est perdue », disait le cardinal Liénard sur son lit de mort). Elle est non seulement critiquable, mais inacceptable sur un certain nombre de points faciles à identifier. C’est à elle qu’il est urgent de nous attaquer. Pour parler en termes simples, comment a procédé ce concile pour modifier l’attitude de la chrétienté et vider nos églises ? Il a dit : « Jusqu’ici, nous nous opposions au monde. Désormais, nous voulons être en amitié avec lui ». C’est la première faute. Il a alors ajouté : « Pour prouver que nous sommes sincères, nous reconnaissons que, fondamentalement, ce que le monde fait est bon, et même génial ». Seconde faute. Et il a conclu : « Dans ces conditions, nous, l’Eglise - ou plutôt l’administration dirigeante de l’Eglise- prenons la résolution de nous aligner sur les façons de faire du monde pour conduire les chrétiens, et, plus généralement, l’humanité entière, avec une efficacité que l’on n’a jamais connue dans le passé, vers des horizons heureux ». C’est la troisième faute, le couronnement des deux premières.
Rechercher l’amitié du monde
Il était au moins naïf de chercher l’amitié du monde quand le Christ a fait le contraire et qu’Il nous a répété et démontré à quel point le monde nous hait - ou plus exactement Le hait. Il y a un proverbe qui dit « Ce n’est pas toi qui désigne ton ennemi. Et si c’est l’autre qui se veut ton ennemi à quoi bon faire comme il était ton ami ? ». Je sais qu’il est de bon ton de se gausser des tenants de la « théorie du complot ». Mais il y a évidemment un complot : celui de Satan, « le Prince de ce monde » contre la volonté de Dieu de se gagner l’amitié des hommes. Il est ridicule de se dire l’ami du monde. Le monde nous hait. La maçonnerie nous hait. Les tenants des cultes satanistes nous haïssent. L’Islam nous hait. C’est une chose de travailler au salut des victimes de ces organisations anti-chrétiennes. C’en est une toute différente - c’est une sottise et plus qu’une sottise, une trahison - que de prétendre dialoguer avec l’erreur elle-même.
Admirer le monde
Quant à l’admiration professée par le concile pour les façons de faire du monde, elle est proprement incompréhensible. Il y a en particulier dans les textes conciliaires une série de phrases louangeant les efforts déployés à notre époque en faveur de la paix - comme si notre malheureux siècle n’était pas un des plus sanglants de l’histoire, marqué par les guerres mondiales, les massacres, les campagnes de haine, les déplacements massifs de population, les génocides. Il ne faut pas être bien observateur pour constater que la terre est ravagée par la violence, les famines et les catastrophes environementales comme elle ne l’avait jamais été, et que les chantres autoproclamés de la paix, la fraternité et la lutte contre la pauvreté en sont généralement les premiers coupables. Il faut être complice pour ignorer les abominations de l’avortement, des campagnes massives de stérilisation et demain sans doute, la mise à mort des populations jugées par nos soi-disant élites incapables de contribuer à l’avènement du monde qu’ils souhaitent ou tout bêtement excédentaires. Il faut être volontairement aveugle pour ne pas voir que les plus éloquents à exalter la « Liberté » avec un grand « L » sont également les plus obstinés à nous enlever les libertés concrètes (celles qu’ils qualifient de « bourgeoises »), à commencer par celle d’élever nos enfants dans notre religion et notre culture, d’utiliser comme cela nous semble raisonnable une proportion décente de l’argent que nous avons pu gagner honnêtement, de nous défendre des malfaiteurs, d’écarter des affaires publiques les corrompus, les ambitieux sans scrupules et les utopistes autoritaires - probablement les plus dangereux de tous. Il faut fermer volontairement les yeux pour ne pas voir que les progrès des sciences et des techniques de domination de la nature sont systématiquement dévoyés par les politiques, les savants sans conscience, les candidats conquérants, les adorateurs de l’argent. L’homme, celui qui, en pratique, domine ce qu’on appelle le monde, non seulement n’est pas bon, mais il est orgueilleux et impitoyable. « S’il existait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas un dieu » dit Nietzche. Mais il veut être un dieu, ou à tout le moins un surhomme. Il veut dominer. « Jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, dit Marx, il s’agit maintenant de le transformer ». Et tant pis pour ceux pour qui cette transformation signifiera le martyre, Nous avons vu et nous n’avons pas fini de voir le résultat de cet orgueil. Ce n’a pas, apparemment, été le cas des pères conciliaires.
Imiter le monde
Mais le comble a été que les Pères du Concile, non contents de s’illusionner sur la réalité du monde, ont entrepris d’en copier les méthodes. Ici, je suppose qu’il convient que je développe quelque peu ma pensée, par crainte qu’on m’accuse d’exagération. Augustin Cochin, nous a bien montré l’influence des société de pensée sur l’évolution des pays Européens vers ce type de dictature hypocrite qui se prétend démocratique mais n’a de cesse d’étendre sur toutes les activités humaines un contrôle de plus en plus tâtillon. L’arme essentielle de ces nouvelles maîtresses du monde n’est autre que la manipulation, que l’on pourrait définir comme suit : le remplacement systématique des lois divines et naturelles par des réglementations élaborées dans le seul but de promouvoir les ambition propres de leurs auteurs, réglementations que l’on décore de la belle appellation de « droit positif », que l’on impose généralement par la ruse mais que l’on n’hésitera pas à défendre par la violence. Ces ambitions peuvent être la promotion d’une idéologie ou d’une religion particulière, la lutte, au contraire contre une religion établie - par exemple, le catholicisme - mais souvent, à en juger par les évolutions parfois considérables des idéologies proclamées, on est en droit de penser que la seule et vraie ambition est tout simplement de s’emparer du pouvoir et de le garder. Le pouvoir, qui, dans la logique des choses, devrait être le moyen, devient ainsi le but, ce qui est assez fascinant. L’Eglise conciliaire semble malheureusement s’être laissé fasciner.

Contrairement à la propagande dont on nous accable, l’Eglise est une société où la liberté - entendue dans son sens vrai, de liberté de faire notre devoir, conformément à notre nature - a toujours été en grande faveur, où l’intérêt des individus est sacré, où l’opinion des laïcs, ainsi que je le rappelais plus haut, a toujours été reçue avec déférence. Aussi est-ce une évolution étonnante que celle que nous avons vue avec le concile : une cristallisation de l’administration ecclésiastique en un bloc autoritaire, fermé à toute autre voix que la sienne et fulminant obligations, interdits, directives culturelles déstabilisantes et mesures administratives arbitraires - tout en se proclamant ouvert au monde extérieur comme jamais l’Eglise des siècle passé ne l’aurait été. Un des grands succès (si l’on peut dire) des sociétés de pensées a été l’établissement de la dictature communiste en Russie. Je me dis parfois que lorsque la Sainte Vierge disait à Lucie que si l’Eglise ne consacrait pas ce malheureux pays à son coeur immaculé, ses idées se répandraient dans le monde entier, c’est à cette logique de conquête du pouvoir propre aux sociétés de pensée qu’elle pensait. Si c’est le cas, les idées de la Russie se sont répandues non seulement dans le monde entier, mais jusqu’au Vatican. Depuis 1965, nous avons vu tomber de Rome des interdictions inouïes telles celle de célébrer la messe de toujours ou, pour les pays catholiques, de reconnaître le catholicisme comme religion d’Etat. Nous avons vu des obligations absurdes, telle celle faite aux évêques de dissoudre leur autorité dans des conférences épiscopales irresponsables. Nous avons vu la disparition du droit, des interdits non justifiés, des excommunications sauvages, le limogeage des professeurs de séminaires jugés trop traditionnels, la mise à la retraite des clercs trop lents à se plier aux courants nouveaux, le remplacement des directeurs de périodiques classés trop « à droite » etc.. Nous nous sommes vu imposer des initiatives culturelles et cultuelles imbéciles, des traductions vicieuses des textes bibliques, le massacre des ornements liturgiques, la chasse aux statues qui autrefois ornaient nos églises, le déplacement des tabernacles et des autels, le remplacement systématique des prie-Dieu par des sièges ne permettant pas l’agenouillement, des cérémonies oecuméniques loufoques et sacrilèges. Nous avons entendu des encouragements à la construction de mosquées, des délires de repentance absurde. Nous avons vu nos hiérarques concentrer l’enseignement catholique entre quelques mains bien contrôlées et nous forcer à l’adoption des programmes d’éducation concoctés par des Etats anti-chrétiens. Or toutes ces mesures, en parfaite contradiction avec les façons de faire auxquelles l’Eglise nous avait habitués depuis les origines, ont été imposées artificieusement et autoritairement par une minorité qui a eu l’impudence de se qualifier elle-même de libérale. Ce n’est en rien une exagération que de dire que l’Eglise - ou plus exactement la minorité active qui a connu son apogée au concile et dans les années qui ont suivi - a calqué simplement ses façons de faire sur celles des clubs plus ou moins secrets qui, depuis quelques siècles dominent nos malheureux pays (au moins depuis la Régence en France, depuis l’avènement du Protestantisme en Allemagne et en Angleterre, depuis les guerres péninsulaires et le triomphe de la franc-maçonnerie dans les pays de langue espagnole). Du reste l’allégeance de plusieurs prélats de la Curie Romaine, parmi lesquels certains occupant des positions éminentes, à des sociétés secrètes antichrétienne n’est-elle pas de notoriété publique ?

On a beaucoup critiqué ceux qui ont dit que le concile pouvait être interprété à la lumière de la tradition, mais que c’était l’application de l’après-concile qui avait vidé les églises. En fait, le diagnostic est exact. On peut naturellement chipoter sur l’expression d’ »après concile ». C’est bien au concile même, en effet, qu’ont été lancés les mots d’ordre et distillées les petites phrases qui ont plongé la chrétienté dans son état de sidération actuel, mais il est vrai que c’est la perversion de la machinerie ecclésiastique qui a tout changé. Et la principale objection à Vatican II est bien là. Ce sont les pratiques imposées dans sa foulée qui ont privé les chrétiens de sacrement, vidé les églises, rendu plus difficile l’éducation de leurs enfants et, on peut le craindre, augmenté le nombre des âmes perdues pour l’éternité.

Quant à la doctrine conciliaire, encore une fois, qu’on ne nous fasse pas dire qu’elle est sans reproche. Mais enfin, ses pères n’ont pas osé y introduire de franches hérésies. C’eût en contradiction avec la logique même de manipulation à laquelle ils (ou du moins ceux qui tenaient les rênes) s’étaient convertis. Leur technique a consisté à parsemer les textes de phrases ambiguës. Or, ainsi qu’indiqué plus haut, l’avantage des phrases ambiguës est qu’on peut les redresser pour peu qu’on en ait la volonté. Mais quel serait l’intérêt de corriger ces ambiguïtés si la machinerie de l’Eglise conciliaire demeure la même ? Si l’on va au fond des choses, il est clair que cette machinerie dévoyée n’a pas besoin d’une théologie mauvaise pour pousser à ses fins. Dans le domaine des communications, le canadien Mc Luhan a trouvé une formule qui est devenue populaire : « c’est le media qui est le message ». En d’autres termes : peu importe ce que disent les media, c’est leur existence même qui influence la société. Je décalquerais volontiers la formule dans le cas présent : « c’est la machinerie conciliaire qui est la théologie ». Et, dans ces conditions, la conclusion s’impose. C’est à la machinerie qu’il faut s’attaquer en priorité.
Second point : il est vain d’insister pour que l’Eglise désavoue formellement le concile. Le mieux qui puisse être espéré est que ce funeste événement tombe peu à peu dans l’oubli.
Les administrations ont horreur d’être désavouées ou de reconnaître leurs errements. Cela part d’un constat simple : l’autorité, pour être légitime aux yeux des administrés, doit toujours se raccrocher à quelque chose qui dépasse l’humain ordinaire. Reconnaître ses torts ramène au plan humain ordinaire et constitue donc un danger pour l’autorité, à moins, naturellement, que celle-ci puisse se référer à une autorité plus haute. On nous dira que tel est bien le cas de l’Eglise catholique. Le pape n’est que le vicaire du Christ, les évêques ne sont que les serviteurs des serviteurs de Dieu. L’expérience montre cependant que, sauf le cas des saints, rares sont ceux qui acceptent de reconnaître leurs erreurs et de supprimer, par exemple, de leurs écrits les pages désavouées par la hiérarchie ou susceptibles de causer du scandale. Et pour ce qui est plus particulièrement de notre temps, la Sainte Vierge nous a bien dit de ne nous faire aucune illusion : « Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres par leur mauvaise vie, par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les saints mystères, par l’amour de l’argent, l’amour de l’honneur et des plaisirs, les prêtres sont devenus des cloaques d’impureté », nous a-t-elle dit à La Salette, et, à Garabandal (le 18 juin 1965), elle a fait dire par l’archange Saint Michel (parce que cela lui faisait trop de peine de le dire elle-même) « Les Cardinaux, Evêques et Prêtres marchent nombreux sur le chemin de la perdition » Dans ces conditions, on ne peut qu’être d’accord avec l’abbé de Cacqueray quand il juge (dans son éditorial de numéro de Fidéliter déjà cité) extrêmement improbable ce qu’il appelle, à la suite des Romains antiques une « damnatio memoriae » - l’effacement de a mémoire - du concile.

D’ailleurs, même dans le meilleur des cas, celui d’une conversion subite de tous les théologiens et tous les évêques, une condamnation formelle des textes litigieux du concile ne serait pas facile, étant donné que ces textes ne sont généralement pas formellement hérétiques, mais ambigus. Entrer en discussion pour une ré-édition des textes conciliaire serait dans ces conditions s’engager dans un processus extrêmement long, ce que, dans les circonstances présentes, la chrétienté peut difficilement se permettre.
Prenons quelques exemples.
Premier exemple : le texte du Concile contient, et le Compendium reprend (Question 163) la proposition suivante « dans les Eglises et Communautés ecclésiales qui se sont séparées de la pleine communion de l’Eglise catholique, se rencontrent de nombreux éléments de sanctification et de vérité ». Scandale. On sait, évidemment à quels abus ont conduit l’oecuménisme délirant de ces dernières années. Mais le texte de la proposition est-il si évidemment condamnable ? Considérons un cas historique. Celui de la conversion du Cardinal Manning. Le 6 avril 1851, Henry Edouard Manning, jusque là archidiacre de l’Eglise Anglicane, était reçu dans l’Eglise catholique. Deux mois plus tard, le 14 juin 1851, il était ordonné prêtre par le Cardinal Wiseman (qui, lui n’était pas un converti, mais un catholique de naissance très proche du pape Pie IX), lequel avait considéré que son ministère au sein de l’Eglise Anglicane avait constitué une préparation adéquate au sacerdoce tant sur le plan de la sainteté personnelle que celui des connaissances théologiques. Il me semble que cet exemple donne un certain poids à la déclaration conciliaire. Du reste Saint Pierre Canisius faisait déjà une distinction entre les protestants de la première génération et ceux des générations suivantes, pour qui il avait les plus grandes indulgences. Il me semble dans ces conditions que porter le débat sur la reformulation de cette proposition conduirait à des discussions interminables.

Second exemple. L’opinion d’Urs von Balthasar sur la population de l’enfer. Le père Urs von Balthasar n’a pas participé personnellement au concile, mais le moins que l’on puisse dire est que son influence s’y est fait fortement sentir. On lui prête une déclaration selon laquelle l’enfer existerait bien, mais serait vide. Cette opinion a provoqué des dégâts immenses dans la mesure où « La crainte de l’enfer est le commencement de la sagesse ». Il est regrettable qu’un grand esprit comme ce théologien se soit prêté à des déclarations dont le démon pouvait aussi aisément faire son profit. Cependant, ces déclarations, faut-il que Rome les désavoue explicitement ? Peut-être, mais la tâche ne serait pas aussi simple qu’on pourrait le penser. Pour commencer, Urs von Balthasar n’a pas dit, comme on le répète, que l’enfer était vide. Ce qu’il a dit est qu’il était plus chrétien de souhaiter qu’il le soit que de prendre plaisir à l’imaginer peuplé. Bien entendu, au moment où elle a été faite, cette déclaration était mal venue et le père aurait mieux fait de s’en abstenir. Mais comment réagir utilement ? L’attaquer cette opinion sur le plan de l’orthodoxie n’est pas vraiment la bonne idée. Il ne s’agit pas d’une de ces hérésies coulées dans le bronze dont on doive considérer l’auteur comme un excommunié. Après tout l’Eglise, qui a proclamé la sainteté de tant de ses enfants, s’est toujours défendu de proclamer la damnation de quiconque (quoi qu’on puisse discuter la chose dans le cas de Judas). En vérité, ce qui est détestable dans cette opinion c’est le trouble qu’ont provoqué ceux qui l’ont reprise pour l’exagérer afin d’évacuer la crainte de l’enfer dans le bon peuple. Réagir en théologien conduirait dans ce cas-ci encore à des débats interminables, alors que ce qui est urgent est de s’en prendre à la machinerie, à l’état d’esprit qui a conduit des clercs dévoyés à utiliser cette opinion douteuse pour détruire la foi des simples.

Troisième exemple. Le problème de la liberté religieuse. Encore une fois, les applications que l’on a faites en pratique de ce qu’a dit le concile sont injustifiables. Qu’il suffise de rappeler que lorsque le Général Franco s’est vu sommer par le Vatican d’ôter de la constitution espagnole la référence au catholicisme comme religion d’Etat, il a été si choqué qu’il a exigé d’en recevoir la demande par écrit (et il l’a reçue). Ceci dit, le texte, tel que résumé dans le Compendium est le suivant (Q 365) : « ...le droit d’exercer sa liberté...doit toujours être respecté, notamment en matière morale et religieuse. Il doit être civilement reconnu et protégé dans les limites du bien commun et de l’ordre public. ». Le texte est critiquable. Bien. Alors, que souhaitons-nous ? Supprimer carrément la liberté religieuse comme le fait l’Islam ? Bien sûr que non. Ce que nous voudrions est un texte plus attentif à indiquer que si la vérité a des droits, l’erreur, en soi, n’a droit qu’à la tolérance. Ce serait souhaitable en effet. Mais est-il bien intelligent encore une fois de mettre la priorité sur l’obtention d’un texte plus acceptable plutôt que de persuader l’autorité de mettre fin à aux abus de l’œcuménisme ? D’autant que ces abus, les impies qui se sont emparés des commandes de l’Eglise sont bien décidés à perpétuer quand bien même l’on procéderait à une édition révisée des textes du Concile et du Catéchisme de l’Eglise catholique.

Il me semble, au terme de ses réflexions, que ce qui importe avant tout, au moment où nous sommes, c’est de ne pas nous tromper sur les priorités. Que les spécialistes et théologiens exagérément soucieux de l’emporter dans une polémique où, bien entendu, l’Eglise finira bien par leur donner raison, acceptent de faire preuve de patience. Qu’ils ouvrent les yeux et regardent dans quelles conditions le malheureux peuple chrétien est forcé de vivre (ou, comme aurait dit Paul VI, de ‘subsister’). Qu’ils acceptent de voir ces églises paroissiales désespérément vides alors que les prêtres des villes s’assemblent à douze ou vingt pour des concélébrations clownesques. Qu’ils pensent à tous ces chrétiens dans l’incapacité de trouver un confesseur ou un prêtre disposé à apporter les derniers sacrements à leurs parents qui s’éteignent. Qu’ils pensent à ces familles choquées de voir leurs enfants sortir d’une école dite catholique mieux instruits du Coran et du Boudisme que de leur propre foi, incapables de réciter le Pater. Qu’ils pensent à ces pères et mères désespérés de voir leurs enfants vivre dans le concubinage et l’indifférence religieuse. Qu’ils essaient d’imaginer ce que peut être l’indignation du chrétien de base quand il voit la Sécurité sociale utiliser ses cotisations obligatoires pour financer le crime de l’avortement, le fils d’un journaliste catholique célèbre s’ériger en défenseur d’une loi proscrivant l’homophobie, les impôts utilisés à promouvoir l’instauration d’une république islamique sur nos terres autrefois chrétiennes, et tout cela sans une protestation, sans une remarque, sans un appel à la prière de la part de nos soi-disant évêques. Nous vivons dans un monde ou, quand le Roi des Belges a refusé d’avaliser la loi autorisant l’avortement, il n’a reçu aucun soutien de la hiérarchie, où, quand le Président des Etats-Unis a proposé au Vatican de lancer une campagne conjointe contre l’avortement, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir, où lorsque les catholique Italiens ont tenté de revenir par référendum sur les lois infanticides, ils n’ont obtenu aucun soutien ni du pape ni de leurs évêques. Et c’est alors que nous sommes confrontés à des horreurs pareilles que des prêtres voudraient que nous mettions la priorité sur la reformulation de quelques textes ambigus. Il y a des moments où les intellectuels font réellement horreur.

En fait, ce qui nous paraîtrait le plus opportun concernant les discussions avec le Saint Siège serait de tâcher d’obtenir une sorte de « gentleman’s agreement » par lequel les deux parties se promettent de garder, autant que possible, le silence sur le malheureux Concile Vatican II et de se consacrer à la préparation de quelques mesures pratiques. Lesquelles ? Eh bien, en premier lieu, naturellement la levée de l’interdiction de la messe de Saint Pie V. Peut-être - car la résistance sera dure et il y a tant de faces à sauver ! - peut-être faudra-t-il accepter certains compromis, par exemple, le maintien de la prière universelle à la messe dominicale. Il y aura là une négociation à préparer. Il faudra distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Ensuite, on pourrait penser à d’autres mesures, telles que :

- le rétablissement de la responsabilité personnelle des évêques et la mise en sourdine des conférences épiscopales (le principe des conférences épiscopales fait penser à l’affaire du sida en France, où l’administration avait pris la décision de mélanger les réserves sanguines de toutes origines pour s’étonner ensuite de trouver l’ensemble contaminé - de façon analogue, dans les conférences épiscopales, un seul avis négatif suffit à paralyser tout un épiscopat. En son genre, c’est génial)

- la reconnaissance formelle que nos chefs d’Etat, après avoir imposé l’avortement, favorisé l’immoralité, refusé toute allusion aux racines chrétiennes de l’Europe et maintenant leur obstination à nous imposer l’Islam et la Turquie, se sont retirés d’eux-mêmes de la communauté des chrétiens et ont rejoint les rangs des Néron, Dioclétien, Mahomet et autres persécuteurs de l’Eglise

- la mise hors circuit des mauvais ecclésiastiques, quel que soit leur rang, de la même façon qu’ont été écartés sans ménagement les bons ecclésiastiques par les tenants de l’idéologie dominante de l’après-concile

- le retour au prosélytisme et la fin des coquetteries à l’égard d’un Islam redevenu conquérant

On pourrait, évidemment ajouter pas mal d’autres mesures, mais il vaudrait mieux s’en abstenir. Cette liste est déjà trop longue. La résistance des mauvais sera telle qu’il sera sans doute bien difficile d’obtenir la victoire sur plus d’un seul point. Dans ce cas, bien évidemment, la priorité ne peut être que le premier : le rétablissement de la vraie messe. De ce rétablissement pourra du reste être espéré un rétablissement de la circulation de la grâce qui, à terme peut-être pas si lointain, conduira à l’assainissement de toute la machinerie de l’Eglise.
Troisième point : ce que l’on peut savoir aujourd’hui des intentions du pape est encourageant. Si cela se confirme, la priorité est d’aider Benoît XVI à oeuvrer au rétablissement de la chrétienté.
Les critiques envers le Cardinal Ratzinger (aujourd’hui Benoît XVI) que l’on peut trouver dans les revues et sur les sites internet des milieux traditionalistes et sédévacantistes sont parfois affligeantes, au point qu’on se demande parfois si le principal souci de certains n’est pas tout simplement de maintenir leur petit commerce. Bien sûr, là, j’exagère. Aux yeux de tout catholique il est évidemment préférable (c’est d’ailleurs une question de salut) d’être le dernier dans l’Eglise de Dieu que le premier ailleurs. Il est clair que, après les déceptions que nous avons connues, la prudence s’impose. Cependant il y a une complaisance dans l’amertume qui s’apparente de très près à l’obstination coupable.

On peut comprendre que les Français aient parfois du mal à s’adapter aux méandres de la pensée d’un Allemand. Il n’est pas toujours facile d’admettre qu’une citation d’un penseur germanique faisant moins d’une page ne peut être qu’une citation tronquée. Le cardinal Ratzinger, en particulier, est tellement attentif, dans ses écrits, à explorer toutes les possibilités de solution aux problèmes qu’il traite qu’il est extrêmement aisé d’y trouver telle ou telle ligne damnable. La simple honnêteté demande cependant qu’on vérifie avec soin alors si cette ligne représente bien sa pensée à lui. Cela n’est pas toujours fait. D’autre part, les activités du Cardinal l’ont amené à connaître et souvent à se lier d’amitié avec d’autres intellectuels, dont la pensée a pu avoir un caractère un peu trop aventureux. Un certain nombre de publications de chez nous s’en autorisent parfois pour lui prêter les opinions contestables de ceux-ci - c’est le cas par exemple en ce qui concerne les opinions d’Urs von Balthasar. Il s’agit, là encore, d’une légèreté coupable. La palme de la mauvaise humeur me semble revenir au jugement que s’est autorisé un périodique ami après la parution des Mémoires du cardinal. A un certain moment le Cardinal évoque sa faim de connaissances lors de ses années de séminaire à Freising au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le commentaire est le suivant : « Cette faim de connaissance semblait dirigée vers le profane. Où était l’inspiration de servir Dieu et de sauver les âmes en quittant tout ? Au contraire, une large place était accordée à la littérature et à la pensée philosophico-scientifique contemporaine, faussement qualifiée de recherche ‘sur le chemin de Dieu’ ». Ce type de jugement téméraire est inacceptable.

Aujourd’hui cependant, le cardinal Ratzinger s’éloigne dans le passé, et c’est devant Benoît XVI que nous nous trouvons. Même dans le monde profane, personne ne peut prévoir la façon dont un être évoluera dès lors qu’il accède à un poste de commandement et l’on considère comme un devoir de saluer cette accession avec un a priori favorable. Que dire dans le cas du poste le plus élevé qui soit sur terre, celui de vicaire de Jésus-Christ ?.

Un certain nombre d’événements du passé de Benoît XVI encouragent d’ailleurs à un a priori favorable. C’est sa patte que l’on trouve derrière un certain nombre des meilleurs documents du pontificat de Jean-Paul II, son nom n’a jamais figuré sur aucune des listes qui ont circulé pour dénoncer les prélats inféodés aux sociétés secrètes, et l’on a remarqué l’astuce avec laquelle il a su se démarquer de quelques unes des initiatives les plus critiquables de son prédécesseur - la première réunion oecuménique d’Assise, en particulier. Ceci, diront les esprits chagrins est cependant bien peu de chose au regard des thèses contestables défendues dans ses livres. J’ai la faiblesse de considérer que les critiques des écrits du Cardinal Ratzinger sont souvent exagérément sévères, mais passons. Aujourd’hui Ratzinger n’est plus sous l’obéissance d’un supérieur. Les initiatives de ses premiers mois de pontificat sont-elles ou non encourageantes ?

Franchement, il me semble que oui, et je donnerai quelques illustrations :

- Il y a tout d’abord la parution du Compendium. Pour la première fois depuis la mort de Pie XII, voici que la catholicité reçoit un catéchisme compréhensible, net dans ses questions et réponses, et adapté aux besoins d’aujourd’hui. Pour la première fois, nous voyons une condamnation claire de l’avortement, des manipulations sur l’embryon humain, de l’homosexualité, de la pornographie, du refus de la fécondité, de l’euthanasie, des pratiques commerciales sauvages. Pour la première fois depuis près de soixante ans ! Comment bouder son plaisir. D’autant qu’au passage, le Compendium fait litière d’un certain nombre d’idées fausses propagées sous le manteau du Concile (par exemple la question 208 nous rappelle l’existence du purgatoire et d’un enfer éternel) et fait évoluer dans un sens orthodoxe un certain nombre des termes ambigus du Concile (ainsi, la question 112 nous définit le mystère pascal comme comprenant la passion, la mort, la résurrection et la glorification de Notre-Seigneur, précisant que le « dessein sauveur de Dieu s’est accompli une fois pour toute par la mort rédemptrice de Jésus-Christ », et la question 512 précise que la doctrine sociale de l’Eglise réfute « les idéologies associées au cours de la période moderne au « communisme » ou aux autres formes athées et totalitaires de ‘socialisme’ » .... ) Par ailleurs, ne faut-il pas voir dans la disparition des références explicites aux textes conciliaires non pas une hypocrisie, mais comme une perche qui nous serait tendue ?

- Il y a ensuite un certain nombre de prises de position politiques : l’encouragement à la résistance civile des catholiques espagnols à la loi permettant le mariage entre homosexuels, en est une éclatante ; l’opposition à l’entrée de la Turquie dans la communauté Européenne en est une autre.

- Il y a certains gestes de piété, comme l’hommage solennel rendu au Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge lors des JMJ de cet été, dans cette Allemagne où le Protestantisme demeure si présent.

- Il y a enfin la rencontre organisée avec les représentants de la Fraternité Saint Pie X, l’esprit dans lequel cette rencontre s’est déroulée et la volonté du pape d’entrer dans un processus de discussions formelles.

Voilà, me semble-t-il, des gestes qui nous permettent légitimement de penser que la long intervalle de folie qui nous a fait perdre confiance en ce qui nous arrivait du Vatican touche à sa fin. Certes tout n’est pas parfait. D’aucun s’inquiètent, et peut-être légitimement, des rencontres organisées avec les Juifs et (quoique avec beaucoup moins de solennité) les Musulmans d’Allemagne, de la réception accordée à Hans Kung, de l’absence, dans les conclusions du récent synode épiscopal d’une recommandation en faveur du rétablissement de la messe traditionnelle. Cependant l’abbé Célier, dans l’article cité plus haut, a une comparaison excellente. Parlant d’une voiture roulant au 100 à l’heure, il observe que la situation est totalement différente si avant de rouler à cette vitesse, elle faisait du 150 ou si elle faisait du 50. La dérivée, diraient les ingénieurs est négative dans un cas, positive dans l’autre. Ce n’est pas se faire illusion que de penser que, depuis l’élection de Benoit XVI, la situation a évolué dans le bon sens.

La crainte de beaucoup est que Benoît XVI soit paralysé dans son action par ses amitiés intellectuelles. On connaît la réaction de Saint Thomas consulté sur l’élection du supérieur d’un monastère. « Nous avons élu le plus savant », lui dit-on. « S’il est le plus savant, confiez-lui votre école », dit Saint Thomas. « Nous avons élu le plus saint » - « Si c’est le plus saint, c’est à la chapelle qu’il vous sera le plus utile ». Et finalement, sur les conseils de Saint Thomas, celui qui, en définitive fut élu, ce fut le plus prudent. Bien entendu, Benoît XVI est un intellectuel (et, soit dit sans offenser personne, un intellectuel plus grand que plusieurs de ses critiques les plus bruyants), mais ce que l’on ne devrait pas oublier c’est qu’il a une longue expérience du gouvernement. Certes, sa vie en paroisse a été brève. Mais il est demeuré de longues années à la tête de l’archevêché de Munich, c’est à dire d’une administration plus nombreuse que celle du Vatican lui-même. Et ces années ont été un succès, en somme, une démonstration de prudence, tant sur le plan administratif que sur le plan spirituel. Pour qui connaît le désordre dans lequel fonctionne la Curie romaine, voilà un sérieux motif d’espoir!
Conclusion
Il me semble que ce que nous pouvons commencer à deviner de l’action de Benoît XVI est qu’elle sera à la fois prudente et persévérante, évitant les coups d’éclats inutiles, mais inflexible dans sa volonté de restaurer une piété vraie et soutenue par des moeurs chrétiennes. Je ne crois pas que l’on puisse s’attendre de sa part à un désaveu solennel du concile. A quoi bon d’ailleurs ? Je crois simplement, et cela me paraît essentiel, que nous avons en ce pape un interlocuteur disposé à s’accorder avec l’univers dit traditionaliste sur un certain nombre de points pratiques, et en particulier la messe.

Il est cependant évident qu’il faut s’attendre à une résistance féroce à son action. Certaines réflexions entendues dans les hautes sphères de l’épiscopat ne laissent planer aucun doute la-dessus. L’attitude des medias non plus. Dans ces conditions, ne peut-on pas penser que le mieux que nous ayons à faire, nous, catholiques, est de nous ranger sans condition derrière le pape pour l’aider à redresser l’Eglise dans la pratique sans l’embarrasser de critiques stériles à propos du défunt concile ? L’aider ne veut pas dire « aller à Canossa » au sens où l’entend Monseigneur Fellay. S’ il était évidemment de nécessité chrétienne pour l’Empereur d’Allemagne de s’humilier comme il l’a fait à Canossa, notre désobéissance à nous répondait à un état de nécessité dont il est évidemment nécessaire de vérifier la disparition avant d’imiter l’empereur Henri IV, comme nous serons probablement amenés à le faire - avec joie - un jour prochain. Le danger auquel nous sommes confrontés dans l’immédiat est de nous tromper en définissant les garanties que nous avons le droit et le devoir d’obtenir du Souverain Pontife avant de mettre fin à ce qui, sans être évidemment un schisme, n’en est pas moins une situation anormale. Ce serait une faute très grave que de multiplier ces garanties au point d’en faire des conditions inacceptables. Si la Fraternité ne doit pas « aller à Canossa », ce n’est pas non plus au pape de le faire.

Peut-être ici une comparaison sera-t-elle éclairante. Lorsqu’une femme revient à son mari après l’avoir trompé (je parle par ouï dire), la préoccupation principale du mari est de faire tomber la faute de son épouse dans l’oubli. Notez qu’il ne s’agit pas de l’oublier lui-même. Il s’agit d’amener sa femme à l’oublier. Que l’on y réfléchisse : la partie lésée est la seule qui soit en position de faire tomber la faute dans l’oubli. Cela demande à la fois de la magnanimité et beaucoup de doigté. Nous sommes la partie lésée. Quant à la femme coupable... Nous qui sommes sorti de l’obéissance devrions faire un effort pour réaliser le trouble, la souffrance et le sentiment de culpabilité de ceux qui ont cru devoir y rester. Peut-on penser qu’ils ne soient pas tristes et humiliés, les prélats honnêtes qui n’ont pas pu s’opposer au déferlement de sottises et d’infamies qui ont réduit l’Eglise à cet état de déchéance que déplorait le cardinal Ratzinger lui-même à la veille de la mort de Jean-Paul II ?

De la magnanimité et du doigté. C’est ce que nous demandons dans nos prières pour les supérieurs de la Fraternité.