3 septembre 2005

[Association Pro Liturgia] La question liturgique après l'entretien de Mgr Fellay avec le pape Benoît XVI

Association Pro Liturgia - 3 septembre 2005

Le lundi 29 août 2005, le pape Benoît XVI a reçu Mgr Bernard Fellay, chef de file du mouvement catholique ultra conservateur fondé par l'évêque excommunié Mgr Marcel Lefebvre. Le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, a souligné que la rencontre entre le Souverain Pontife et le Supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X s'était déroulée "dans un climat d'amour de l'Eglise et un désir d'arriver à une communion parfaite". Malgré les "difficultés", "le désir d'avancer par étapes et dans un délai raisonnable a été manifeste", a-t-il ajouté dans un communiqué.

I. Que représente aujourd'hui la Fraternité Saint-Pie X?

La Fraternité Saint-Pie X représente un mouvement qui n'est pas totalement marginal. Elle compte actuellement près de 450 prêtres dans 59 pays, 200 religieuses, 6 séminaires, 180 maisons, 470 lieux de culte et deux instituts universitaires. La messe "préconciliaire" est célébrée régulièrement dans environ 650 églises.

Le mouvement lefebvriste s'est surtout développé en France et en Suisse; il demeure presque inconnu - ou du moins sans intérêt majeur pour les fidèles - d'autres pays. Le fait que ce phénomène d'ultraconservatisme se soit essentiellement développé dans notre pays permet de comprendre au moins deux choses:

- que les fidèles de France ont été profondément déçus - voir choqués - par la façon avec laquelle leurs habitudes liturgiques ont été souvent bousculées, ignorées, bafouées, sous prétexte d'appliquer les décisions prises par Vatican II;

- pourquoi le cérémonial qui entoure les célébrations liturgiques organisées par les fidèles lefebvristes est très largement tributaire de coutumes françaises héritées des XVIIIème et XIXème siècles: des "habitudes cérémonielles" (comparables à l'étiquette) héritées de l'Ancien Régime et détournées de leur esprit par le romantisme au XIXème siècle, "habitudes" qui, parce qu'elles engendrent des états d'âme, sont souvent confondues avec la "tradition liturgique" authentique.

II. La situation actuelle de la liturgie en France.

La situation actuelle de la liturgie, dans la presque totalité des paroisses françaises, peut se résumer dans les douze points suivants:

1.Une immense majorité des fidèles catholiques - prêtres y compris - ne sait ni ce que le concile Vatican II a vraiment enseigné, ni ce qu'il a voulu que l'on fasse en matière de liturgie;

2. La quasi totalité des fidèles n'a jamais eu l'occasion d'assister et de participer, en paroisse, à des liturgies célébrées comme le Concile a vraiment demandé qu'elles soient célébrées;

3. L'immense majorité des prêtres - évêques y compris - n'ont jamais célébré intégralement la liturgie voulue par le Concile: partout les rites ont été modifiés, adaptés, tronqués... et des parties entières de la liturgie sont tombées dans l'oubli;

4. La quasi totalité des fidèles se trompe lourdement lorsqu'elle croit que ce qui se fait dans les paroisses en matière de liturgie est pleinement conforme aux orientations de Vatican II;

5. La quasi totalité des fidèles confond "messe en latin" avec "messe d'avant Vatican II"; cette confusion est entretenue par des clercs ainsi que par de nombreux journalistes, y compris des journalistes écrivant dans des quotidiens ou des revues catholiques;

6. La majorité des fidèles accepte aujourd'hui n'importe quelle liturgie dans les églises: on fait comme M. le Curé dit de faire et on ne se pose pas - ou plus - de questions... M. le Curé fait bien les choses et respecte la liturgie? Tant mieux. M. le Curé fait les choses de travers et bricole les célébrations? Ce n'est pas grave, après tout, "pourvu que ça plaise aux gens" (même quand "les gens" sont de moins en moins nombreux à aller à l'église).

7. Un très grand nombre de fidèles attachés à la "messe de S. Pie V" (l'ancienne liturgie) serait bien en peine de faire la différence entre la messe actuelle et la messe d'autrefois... quand la messe actuelle est célébrée de façon "classique" - dos au peuple, en latin et en grégorien, et avec un certain faste - ce qui est très légitime; de même, un grand nombre de fidèles se voulant respectueux de Vatican II pensent assister à une liturgie "traditionaliste" quand celle-ci est simplement célébrée dans le respect des livres liturgiques actuels.

8. De très nombreux fidèles attachés à l'ancien rite confondent la "tradition liturgique" avec certaines "habitudes";

9. Les évêques de France, pour des raisons qui demeurent mystérieuses, n'ont jamais respecté le droit des fidèles à pouvoir participer à la liturgie actuelle de l'Eglise célébrée de façon intégrale. Les documents magistériels donnant les pistes à suivre pour le rétablissement d'une liturgie eucharistique célébrée conformément aux livres officiels publiés à la suite Vatican II ne sont jamais ni diffusés ni appliqués dans les diocèses. Quant au Missel romain actuel, il demeure introuvable dans les paroisses de France alors qu'il est disponible dans presque tous les autres pays;

10. Un silence épiscopal est tombé sur les liturgies "classiques" (parfois même en latin!) de grande qualité qui ont été célébrées aux JMJ et qui sont en total décalage avec les célébrations bêtifiantes qu'on impose aux fidèles dans la majorité des paroisses... sous prétexte de "plaire aux jeunes" - grands absents de nos paroisses -;

11. l'Eglise en France apparaît désormais comme éclatée en multiples chapelles (appelées "tradis", "cha-cha", "néo-cat"... ) qui toutes cultivent des particularismes liturgiques plus ou moins marqués et souvent déroutantes pour le fidèle de passage qui n'a pas été "initié" par le groupe d'accueil; ici on distribue la communion tout de suite après la consécration, là on prend du pain ordinaire pour l'Eucharistie, ailleurs les fidèles sont invités à faire une ronde autour de l'autel pendant la prière eucharistique... etc.

12. Des "équipes" qui se sont arrogées des droits et des pouvoirs en matière d'agencement de la liturgie, et qui sont composées de fidèles incompétents (même s'ils sont de bonne volonté) ayant eux-mêmes perdu les repères, assurent désormais dans les paroisses une omniprésence dont les résultats sont généralement catastrophique.

III. Benoît XVI: fidélité au concile Vatican II.

Le pape Benoît XVI a annoncé, dès le début de son pontificat, qu'il serait fidèle au Concile. Une fidélité qui risque de gêner aussi bien certains "traditionalistes" qui ont toujours critiqué Vatican II, qu'un clergé local qui se croit "conciliaire" mais qui, depuis plus de 40 ans, fait n'importe quoi... au nom de Vatican II.
Posons alors cette question toute simple: que dit la Constitution sur la Liturgie à laquelle Benoît XVI nous demande de nous référer lorsqu'il déclare lui-même qu'il est nécessaire de revenir au Concile? Nous allons citer les points essentiels de cette Constitution Sacrosantum Concilium:

"Puisque le saint Concile se propose de faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles (...) il estime qu'il lui revient à un titre particulier de veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie."

" (...) Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu'ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu'ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu'il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, effective et communautaire (...)"

"Le gouvernement de la liturgie dépend uniquement de l'autorité de l'Eglise (...) c'est pourquoi absolument personne d'autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie."

"Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l'Eglise (...). C'est pourquoi elles appartiennent au Corps tout entier de l'Eglise, elles le manifestent et elles l'affectent; mais elles atteignent chacun de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions, et de la participation effective."

"Les rites manifesteront une noble simplicité, seront transparents du fait de leur brièveté et éviteront les répétitions inutiles (...). Il n'y aura pas besoin de nombreuses explications pour les comprendre."
"L'usage de la langue latine (...) sera conservé dans les rites latins. Toutefois (...) l'emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple; on pourra donc lui accorder une plus large place (...)"

" Le rituel de la messe sera révisé (...). En gardant fidèlement la substance des rites, on les simplifiera; on omettra ce qui, au cours des âges, a été redoublé ou a été ajouté sans grande utilité; on rétablira (...) certaines choses qui ont disparu sous les atteintes du temps, dans la mesure où cela apparaîtra opportun ou nécessaire."
"L'homélie est fortement recommandée (...) comme faisant partie de la liturgie elle-même (...)"

"On veillera (...) à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble, en langue latine aussi, les parties de l'Ordinaire de la messe qui leur reviennent."

"La concélébration, qui manifeste heureusement l'unité du sacerdoce, est restée en usage jusqu'à maintenant dans l'Eglise, en Orient comme en Occident. Aussi le Concile a-t-il décidé d'étendre la faculté de concélébrer aux cas suivants: (suivent 5 cas parmi lesquels ne figure pas la concélébration par n'importe quel prêtre de passage à n'importe quelle messe paroissiale - n.d.l.r. -)"

"L'Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine; c'est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d'ailleurs, doit occuper la première place."

"Les Ordinaires (i.e. les évêques - n.d.l.r. -) veilleront à ce que, en promouvant et en favorisant un art véritablement sacré, ils aient en vue une noble beauté plutôt que la seule somptuosité. Ce que l'on doit entendre aussi des vêtements et des ornements sacrés. Les évêques veilleront aussi à ce que les oeuvres artistiques qui sont inconciliables avec la foi et les moeurs ainsi qu'avec la piété chrétienne, qui blessent le sens vraiment religieux, ou par la dépravation des formes, ou par l'insuffisance, la médiocrité ou le mensonge de leur art, soient nettement écartées des maisons de Dieu et des autres lieux sacrés."

Et la Constitution sur la liturgie - dont nous venons de voir rapidement quelques points essentiels - s'achève par la formule suivante signée du pape Paul VI: "Tout l'ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette Constitution ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans les Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu. Rome, à Saint-Pierre, le 4 décembre 1963. Moi, Paul, évêque de l'Eglise catholique." Suivent les signatures des Pères conciliaires.

IV. Et après?

... et après viennent les questions suivantes:

1. Quels ont été les travaux réalisés par le Consilium (le Conseil) chargé de la mise en oeuvre de la restauration liturgique voulue par le Concile?

2. Qu'a donné le Consilium aux prêtres pour qu'ils puissent célébrer la messe conformément à la liturgie restaurée à la suite de Vatican II?

3. Qu'ont fait les prêtres? Qu'ont fait les évêques (en France)?

Moins de deux ans après la signature de la Constitution sur la Sainte Liturgie (le 15 février 1965 très exactement), le P. Bugnini, cheville ouvrière - très contestée par les fidèles "traditionalistes"... et par bien d'autres - écrit dans les Notitiae, sous le titre "Quo vadis liturgia?", les lignes suivantes:

"Bien souvent, en matière de liturgie, on entend dire des choses étonnantes; dans les revues et les journaux, on lit des choses étonnantes; sur les photographies, on voit des choses étonnantes; dans les conférences, les déclarations, les discussions, on dit des choses étonnantes. Bien souvent, je dois l'avouer, mes cheveux se dressent sur la tête (cf. Job, 4, 15). Où vas-tu, liturgie? On plutôt: où conduisez-vous la liturgie, spécialistes de la liturgie ou de la pastorale?

Peut-être, sans tomber dans le conformisme, faut-il résister à la tentation des "expériences". Cette tentation vient certainement du Malin; elle n'est pas une inspiration d'en haut.

La voie sûre, lumineuse, large et spacieuse du renouveau est indiquée par l'Eglise, par le Pasteur suprême; toute autre voie est fausse. Les publications doivent soutenir les efforts de renouveau sans tomber dans la tentation de vouloir faire ou dire du nouveau pour intéresser leurs lecteurs, car elles risquent de les décevoir sans pour cela les édifier.

Que tous en ce moment, et particulièrement les membres du Consilium, prennent conscience de leurs responsabilités."

Curieuses paroles pour quelqu'un qui passe pour avoir été un "fossoyeur de la liturgie"! On aimerait trouver de telles lignes sous la plume de nos évêques d'aujourd'hui...

Remarquons bien les choses suivantes: au moment où le P. Bugnini écrit ces lignes, le missel romain restauré à la suite de Vatican II n'existe pas encore. Personne ne l'a vu. Et il se trouve portant des prêtres - si l'on en croit ce qu'écrit le P. Bugnini - qui font déjà n'importe quoi en liturgie!

Qui sont ces prêtres? Souvent de pieux abbés formés à la liturgie bien avant le Concile: de ces clercs qui pour rien au monde n'auraient permis autre chose que du latin et n'auraient toléré qu'on change quoi que ce soit aux rubriques de la messe... et qui du jour au lendemain se mettent à dérailler et à faire tout ce qui leur passe par la tête. N'est-ce pas là la preuve évidente qu'il y avait comme un malaise dans le clergé déjà avant Vatican II? N'est-ce pas la preuve qu'avant le Concile, certains prêtres ne respectaient les rites liturgiques que par habitude, ou parce qu'il leur était difficile de faire autremlent, mais sans plus y croire?

Que donne le Consilium aux prêtres pour qu'ils puissent correctement célébrer la liturgie restaurée? Il leur donne le "Missel romain" - oui, "romain" - que plus tard on appellera "de Paul VI" pour le distinguer du "Missel romain" en usage avant le Concile et qu'on appellera "de Pie V".

Ce nouveau missel est promulgué dans le sillage de Vatican II et est approuvé par Paul VI, selon les termes de la Constitution apostolique Missale romanum dont voici quelques lignes éclairantes:

"Le Missel romain, promulgué en 1570 par Notre prédécesseur saint Pie V, sur l'ordre du Concile de Trente, a été reçu par tous comme l'un des fruits nombreux et admirables que ce saint Concile a répandus dans l'Eglise du Christ tout entière. Durant quatre siècles, en effet, non seulement il a fourni aux prêtres du rite latin la norme de la célébration du sacrifice eucharistique, mais encore les saints prédicateurs de l'Evangile l'ont répandu dans presque tout l'univers. De plus, d'innombrables saints ont abondamment nourri leur piété envers Dieu par ses lectures des Saintes Ecritures ou par ses prières, dont l'ordonnance générale remontait pour l'essentiel à saint Grégoire le Grand.

(...) Le récent IIème Concile oecuménique du Vatican, en promulguant la Constitution Sacrosanctum Concilium, a établi les bases de la révision générale du Missel romain (...). Présentons maintenant, dans ses grandes lignes, la nouvelle composition du Missel romain. Tout d'abord, dans une Institution générale, qui sert de préface, on expose les règles nouvelles de la célébration du Sacrifice eucharistique, tant en ce qui concerne les rites et les fonctions de chacun des participants qu'en ce qui traite du mobilier et des lieux sacrés.

L'innovation majeure porte sur ce qu'on appelle la prière eucharistique. Si le rite romain a toujours admis que la première partie de cette prière, la préface, conserve diverses formulations au cours des siècles, la seconde partie, au contraire, appelée "la règle de l'action sacrée", le Canon Actionis, a reçu une forme invariable entre le IVème et le Vème siècle; par contre, les liturgies orientales admettaient cette même variété dans les anaphores elles-mêmes. Tout en enrichissant la prière eucharistique d'un grand nombre de préfaces, puisées à l'antique tradition de l'Eglise romaine ou nouvellement composées (...) Nous avons décidé d'ajouter trois nouveaux canons à cette prière. Toutefois, pour des raisons d'ordre pastoral, et afin de faciliter la concélébration, Nous avons voulu que les paroles du Seigneur soient identiques dans chaque formulaire du canon. Ainsi, en chaque prière eucharistique, on dira les paroles suivantes:
- sur le pain: accipite et manducate ex hoc omnes: hoc est enim corpus meum, quod pro vobis tradetur.
- sur le calice: accipite et bibite ex eo omnes: hic est enim calix sanguinis mei novi et aeterni testamenti, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum. hoc facite in meam commemorationem.

L'expression mysterium fidei, tirée du contexte des paroles du Christ Seigneur, et dite par le prêtre, sert d'introduction à l'acclamation des fidèles.

En ce qui concerne l'Ordo de la messe, "tout en gardant fidèlement la substance des rites, on les a simplifiés". On a aussi fait disparaître "ceux qui, au cours des âges, ont été redoublés ou ajoutés sans grande utilité", surtout dans les rites d'offrande du pain et du vin, et dans ceux de la fraction du pain et de la communion. On a aussi "rétabli, selon l'ancienne norme des saints Pères, certaines choses qui avaient disparu sous les atteintes du temps", par exemple l'homélie, la prière universelle ou prière des fidèles, le rite pénitentiel ou acte de réconciliation avec Dieu et avec les frères au début de la messe, toutes choses qu'on a justement remises en valeur.

Selon la prescription du IIème Concile du Vatican (...) tout l'ensemble des lectures du dimanche est réparti sur un cycle de trois ans. De plus, les dimanches et les fêtes, les lectures de l'Epître et de l'Evangile sont précédées d'une lecture d'Ancien Testament ou, au temps pascal, des Actes des Apôtres. (...)

Dans cette révision du Missel romain, en plus des trois changements signalés plus haut, à savoir la prière eucharistique, l'Ordo de la messe et l'Ordo des lectures, d'autres parties aussi ont été revues et considérablement modifiées: le Temporal, le Sanctoral, le Commun des Saints, les messes rituelles et les messes votives. En tout cela, un soin particulier a été apporté aux oraisons: leur nombre a été augmenté, pour que de nouveaux textes répondent mieux aux besoins nouveaux, mais aussi leur texte a été rétabli sur la foi des sources les plus anciennes.

(...) Pour terminer, Nous voulons donner force de loi à tout ce que Nous avons exposé plus haut sur le nouveau Missel romain. En promulguant l'édition officielle du Missel romain, Notre prédécesseur saint Pie V présentait celui-ci comme un instrument de l'unité liturgique et un témoin de la pureté du culte dans l'Eglise. Tout en laissant la place dans le nouveau Missel, selon l'ordre du IIème Concile du Vatican "à des différences légitimes et à des adaptations", Nous espérons cependant que ce Missel sera reçu par les fidèles comme un signe et un instrument de l'unité mutuelle de tous: de la sorte, dans la grande diversité des langues, une même et unique prière montera vers le Père des cieux, par notre grand-prêtre, Jésus-Christ, dans l'Esprit, comme "un encens d'agréable odeur".

Nous ordonnons que les prescriptions de cette Constitution entrent en vigueur le 30 novembre prochain de cette année, premier dimanche de l'Avent. Nous voulons que ce que Nous avons établi et prescrit soit tenu pour ferme et efficace, maintenant et à l'avenir (...) Donnée à Rome, près de Saint-Pierre, le Jeudi saint in Cena Domini, 3 avril 1969, sixième année de Notre Pontificat. Paul VI, Pape."

Oui mais... lorsque paraissent le missel et la Constitution apostolique de Paul VI, l'habitude d'une certaine pagaille liturgique est déjà prise un peu partout en France: tout le monde fait n'importe quoi... toujours au nom du Concile. Des textes "liturgiques" sauvages sont même publiés avec imprimatur...

Le nouveau missel tombe donc dans une cacophonie généralisée: certains prêtres diocésains ne seront même pas tenu au courant de sa parution.

Que font alors les prêtres, essentiellement les curés de paroisses? Sans formation liturgique, n'ayant jamais pris le soin d'étudier les textes magistériels (ils ne les connaissent que de façon fragmentaire en fonction de ce que la presse leur a donné à lire - avec des commentaires souvent orientés -), ils font ce qu'ils croient devoir faire ou ce qu'ils pensent être en droit de faire, parfois bien, parfois mal, en fonction de leur sensibilité plus que de leurs connaissances théologiques.

Que font de leur côté les évêques diocésains? N'ayant pas non plus été formés à la liturgie restaurée, ils laissent faire tout et n'importe quoi. Dans les meilleurs des cas, ils célèbrent la liturgie restaurée dans l'esprit de l'ancienne liturgie, preuve que pour eux, appliquer Vatican II se limite à changer d'habitudes rituelles. Mais la signification essentielle du Concile, au-delà d'une simple question de rites, il ne semblent pouvoir la comprendre.

Alors, toute la restauration liturgique va se limiter à trois choses:
- célébrer la messe vers le peuple (ce qui revient à destructurer et à dénaturer le choeur de nombreuses églises et à faire croire que la liturgie s'adresse aux fidèles et non plus à Dieu),
- célébrer en langue courante (ce qui revient à éliminer les prières latines et le chant grégorien),
- improviser et modifier sans cesse la liturgie pour susciter l'intérêt (du moins le croit-on) des fidèles et pour imaginer des célébrations plus "participatives" (ce qui revient à banaliser la liturgie issue de Vatican II et à la rendre méconnaissable, désacralisée),
... toutes choses qui, on le sait, n'ont jamais été ni voulue, ni même envisagées par le Concile.

La pagaille s'installe durablement: l'épiscopat français, avec une naïveté déconcertante, se félicite de ce qui se fait au nom d'une liturgie plus "vivante" - il déchantera très vite - et jette le discrédit sur certains fidèles qui osent faire remarquer que ce qui se fait n'est pas conforme à ce qu'a voulu Vatican II. D'autres fidèles, voyant que les évêques sont atteints de cécité dès qu'on leur présente la réalité, quittent les paroisses et vont grossir les rangs des fidèles qui suivent Mgr Lefevbre.

Ainsi se produit, le 30 juin 1988, un schisme.

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir informé les évêques des dangers qu'ils faisaient courrir à l'Eglise en feignant d'ignorer les dérives liturgiques: bien avant que ne se produise le schisme lefebvriste, de nombreux fidèles en appelaient à leurs évêques pour signaler des manquements graves aux règles de la célébration eucharistique. Mais les réponses obtenues - quand réponse il y avait! - étaient toutes du même genre dans leurs formulations: "Vous exagérez; ce sont des cas isolés que vous signalez; vous n'y comprenez rien. Je prie le Seigneur pour qu'il vous éclaire". Formule épiscopale signifiant à peu près: "Vous me dérangez, vous êtes un imbécile; j'ai autre chose à faire qu'à écouter vos plaintes".

V. Que faire à présent?

La pagaille liturgique a été comme institutionnalisée par un silence épiscopal qui dure depuis plus de 40 ans. Mais ce silence ne peut plus cacher la réalité: l'euphorie des années de l'immédiat après-Concile n'est plus de mise devant les séminaires diocésains fermés les uns après les autres et devant les églises paroissiales désertées. Benoît XVI connaît bien l'ampleur du problème: du temps où, Cardinal Ratzinger, il était à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il a été assailli de plaintes émanant de fidèles (laïcs, prêtres, séminaristes, religieux et religieuses... ) qui n'en pouvaient plus de devoir souffrir silencieusement en participant à des célébrations laides, bavardes, désarticulées, non conformes aux souhaits exprimés par l'Eglise au moment du Concile. Il est donc certain que Benoît XVI a à sa disposition un lourd "dossier liturgie" bien ficelé. Que souhaite-t-il faire? Deux choses: premièrement, comme il l'a souvent répoété, inciter à une redécouverte de Vatican II et à son application effective, et deuxièmement permettre une réintégration dans l'Eglise de celles et de ceux qui, à un moment donné, ont été tentés de suivre Mgr Lefebvre et se sont retrouvés comme marginalisés.

1. Redécouvrir Vatican II.

Il faut, pour redécouvrir Vatican II, étudier les textes conciliaires dans leur totalité (car ils sont en lien les uns avec les autres) et à la lumière de la grande tradition de l'Eglise (ce qui fut du reste clairement demandé à tous les fidèles - et pas seulement les "traditionalistes" - par Jean-Paul II dans son Motu proprio Ecclesia Dei).

Et après avoir compris les textes et la raison profonde du Concile, il faut vouloir et pouvoir appliquer les décisions prises par l'Eglise. "Vouloir": c'est la première difficulté, car il faut effectivement "vouloir" faire autre chose que ce qu'on a fait jusqu'à présent et qu'on a fait passer pour "conciliaire". Il faut donc sauter à pieds joints par-dessus son amour-propre et faire un grand mea culpa collectif... "Pouvoir": c'est la seconde difficulté, car de nombreux prêtres ne sont plus maîtres de la liturgie en leurs paroisses. Les principales commandes, en effet, ont été mises entre les mains de fidèles qui donnent souvent l'impression de se conduire, dans le choeur de nos églises, comme des frustrés de la "Star Academy". En outre, des idées totalement fausses sur la liturgie sont depuis longtemps diffusées par le biais de revues nationales ou diocésaines qui ont, au sein des "équipes liturgiques" locales, bien plus de succès que le missel romain lui-même.
Tout reste donc à inventer pour changer les mentalités et les (trop mauvaises) habitudes.

2. Réintégrer les fidèles "traditionalistes" dans la communion de toute l'Eglise.

On l'a dit plus haut: les fidèles "traditionalistes" - qu'ils aient suivi Mgr Lefebvre ou qu'ils aient bénéficié des dispositions du Motu proprio Ecclesia Dei - sont attachés à la liturgie d'avant Vatican II, peu importe ici pour quelles raisons. Mais nous ne devons pas oublier que, comme l'a souligné Mgr Schick, Evêque de Bamberg (Allemagne): "Nombreux sont ceux qui aimeraient retrouver les messes d'avant le Concile. Non par simple nostalgie ou parce qu'ils rejetteraient la liturgie issue de Vatican II, ni même à cause d'un certain scepticisme à l'égard du Concile. Non, ils aimeraient simplement pouvoir considérer à nouveau la liturgie comme le lieu de la méditation personnelle et de la prière, un lieu où ils ne seraient pas sans cesse bousculés par des textes, des chants, des actions, sans trouver le temps de s'adresser personnellement à Dieu."

Quelles sont les marges de manoeuvre dont dispose aujourd'hui Benoît XVI pour mener, dans le domaine de la liturgie, une "réforme de la réforme" selon l'expression qu'il a lui-même employée? Analysons rapidement plusieurs solutions envisageables - sans pour autant manquer de faire confiance à l'Esprit-Saint qui assiste le Saint-Père dans sa mission délicate -:
a) Faut-il remettre en cause la Constitution conciliaire sur la liturgie?
Cela ne paraît pas envisageable, pour plusieurs raisons: premièrement, parce que la Constitution Sacrosanctum Concilium est un texte qu'on ne peut pas isoler du reste des documents conciliaires. Vatican II forme un ensemble dans lequel la Constitution sur la liturgie a sa place. Et Benoît XVI l'a bien dit: il souhaite l'application du Concile, donc également de la Constitution Sacrosanctum Concilium.

Mettre la Constitution sur la liturgie entre parenthèses reviendrait à faire naître dans l'esprit des fidèles l'idée que les textes de Vatican II sont optionnels et que chacun peut leur faire dire ce qu'on veut qu'ils disent. C'est proprement impensable et il est nécessaire - et éclairant - de rappeler ici les termes de la "Présentation générale du Missel romain" (actuel) approuvée en 2002 par le pape Jean-Paul II. Ces propos expriment clairement le fait que la forme de la liturgie n'est pas "optionnelle": "La nature sacrificielle de la messe, solennellement affirmée par le Concile de Trente, et en accord avec toute la Tradition de l´Église, a été à nouveau professée par le Concile Vatican II (...). Ce qui est ainsi enseigné par le Concile, est exprimé de façon analogue par les formules de la messe. (...) Ainsi, dans le nouveau Missel, la lex orandi (règle de prière) de l'Eglise correspond à sa constante lex credendi (règle de foi). (...) De la même façon, le mystère étonnant de la Présence réelle du Seigneur sous les espèces eucharistiques est affirmé de nouveau par le IIème concile du Vatican et les autres documents du magistère de l´Église comme le Concile de Trente l'avait proposé à notre foi. Dans la célébration de la messe, ce mystère est mis en lumière non seulement par les paroles de la Consécration permettant au Christ de se rendre présent par transsubstantiation, mais aussi par le sentiment et l´expression extérieure de souverain respect et d'adoration manifestés au cours de la liturgie eucharistique.

(...) En énonçant les règles selon lesquelles le rite de la messe serait révisé, le Concile de Vatican II a précisé, entre autres, que certains rites "seraient rétablis selon l´ancienne norme des Pères. Il reprenait là les mots mêmes employés par S. Pie V, dans la Constitution apostolique Quo primum par laquelle, en 1570, il promulguait le Missel du Concile de Trente.

Par l'emploi d'une formule identique, on peut noter comment les deux Missels romains, pourtant séparés par quatre siècles, procèdent d'une Tradition semblable et égale. A condition d'apprécier les éléments profonds de cette Tradition, on comprendra combien le second Missel parfait le premier d´une manière très heureuse. (...) Par contre, aujourd'hui, cette "ancienne norme des Pères" que visaient les correcteurs du Missel de saint Pie V s´est enrichie d'innombrables études faites par des érudits. En effet, après la première édition du sacramentaire grégorien, en 1571, les anciens sacramentaires romains et ambrosiens ont été l´objet de nombreuses éditions critiques, tout comme les anciens livres liturgiques hispaniques et gallicans. On a ainsi pu mettre au grand jour une quantité de prières d´une grande qualité spirituelle qui avaient été ignorées jusque-là. (...) Voilà pourquoi la "norme des Pères" ne demande pas seulement que l'on conserve la tradition telle qu'elle a été léguée par nos prédécesseurs immédiats; elle demande aussi que l'on embrasse et que l'on examine de plus haut l'ensemble du passé de l'Eglise, ainsi toutes les manières dont la foi unique s´est manifestée dans des formes de culture humaine et profane aussi variées que celles qui ont eu cours chez les Sémites, les Grecs, les Latins. Une telle recherche, plus vaste, permet de voir comment l'Esprit Saint accorde au peuple de Dieu une fidélité merveilleuse lui permettant conserver l´immuable dépôt de la foi à travers la considérable diversité des prières et des rites.

(...) Lorsque les Pères du Concile de Vatican II ont repris les affirmations dogmatiques du Concile de Trente, ils ont parlé à une époque très différente de l'histoire du monde. Voilà pourquoi ils ont pu apporter dans le domaine pastoral des suggestions et des conseils que l´on n'imaginait pas quatre siècles auparavant. (...) C´est pourquoi, rassemblé dans le but d'adapter l'Eglise aux conditions de sa fonction apostolique à notre époque, le Concile de Vatican II a scruté profondément, tout comme celui de Trente, la nature didactique et pastorale de la liturgie. (...) Ainsi, alors que l´Église demeure fidèle à sa charge de maîtresse de vérité en gardant "ce qui est ancien" - c´est-à-dire le dépôt de la Tradition - elle accomplit aussi son devoir d´examiner "ce qui est nouveau" pour pouvoir l'adopter prudemment (cf. Mt 13, 52). C'est pourquoi une partie du nouveau Missel établit plus clairement un lien entre les prières de l'Eglise et les besoins de notre temps. (...) C'est ainsi que les normes liturgiques héritées du Concile de Trente ont été, sur bien des points, complétées et parachevées par les normes du Concile de Vatican II; ce dernier a conduit à son terme les efforts visant à rapprocher les fidèles de la liturgie, efforts entrepris durant quatre siècles, et surtout à l'époque contemporaine grâce au zèle liturgique déployé tant par S. Pie X que par ses successeurs.

Voilà pourquoi le Missel romain (...) doit être désormais reçu comme un instrument et un signe éclatant de l'intégrité et de l'unité du rite romain."
b) Autoriser l'usage de deux missels romains: l'ancien et l'actuel?

Il est difficile d'imaginer qu'un tel "biritualisme" puisse être une solution envisageable et même souhaitable à long terme, quand on sait que l'Eglise a toujours recherché l'unité au sein d'une même famille rituelle.

Il serait à craindre, en outre, qu'une officialisation de la coexistence de plusieurs formes d'un unique et même rite, dans le délicat contexte actuel, n'enferme les partisans de chaque "type" de liturgie dans une juxtaposition de chapelles, pour finir par les "scléroser" dans leurs habitudes rituelles respectives - bonnes aussi bien que mauvaises -. On voit assez mal, en effet, les partisans de la messe "tridentine" - en latin et grégorien - se sentir à l'aise dans une messe "charismatique" exubérante... et vice-versa. On voit mal un "ex-lefebvriste" sautiller et chanter en levant les mains au ciel... avant de participer à une séance de shake your hands au moment du partage de la Paix.

D'autre part, l'institution d'un "biritualisme" ne risquerait-il pas de bloquer pour longtemps le principe d'une restauration générale de la liturgie romaine tellement souhaitée? La situation actuelle doit autant que faire se peut éviter à tout prix que ceux qui n'ont de cesse de stigmatiser - à bon droit - une volonté restauratrice, puissent devenir malgré eux ceux qui barrent la route à cette restauration liturgique qu'ils envisagent et souhaitent. Dans le délicat contexte liturgique actuel, le "biritualisme" ne saurait donc être qu'une solution transitoire (toujours susceptible d'être temporairement élargie): solution transitoire d'ailleurs clairement évoquée dans le Motu proprio Ecclesia Dei du pape Jean-Paul II.

c) Prévoir des "options" dans le missel romain actuel?


En soit, cette solution paraît la meilleure à première vue, dans la mesure où, de plus, elle est tout à fait possible car envisagée dans les textes conciliaires aussi bien que dans les documents magistériels postérieurs.

La Constitution Sacrosanctum Concilium parle d' "ouverture à un progrès légitime" et d' "admission de différences légitimes" ainsi que d' "adaptations à la diversité des assemblées" "dans les limites fixées par les éditions typiques des livres liturgiques". Quant à Jean-Paul II, il consacre dans sa lettre apostolique pour le 25ème anniversaire de la Constitution Sacrosanctum Concilium, plusieurs lignes à l' "adaptation" de certains rites et à l' "attention aux problèmes nouveaux" rencontrés par la liturgie actuelle.

Ne serait-ce pas dans cette direction qu'il convient de regarder et de s'orienter progressivement? Le missel romain actuel existe sous la forme d'une troisième édition corrigée et améliorée (introuvable en France à l'heure où ces lignes sont écrites): c'est un fait et l'on ne voit pas le Saint-Siège mettre cette dernière édition au pilon sous prétexte qu'il faut, une fois de plus, "changer" le missel. Par contre, rien n'interdirait d'insérer dans cette ultime éditions un encart offrant des choix pour telle ou telle partie de la liturgie eucharistique. Quelles seraient les parties susceptibles d'être concernées?

- l'Asperges me qui pourrait être placé au choix avant la messe (rite ancien) ou pendant la messe comme acte pénitentiel (rite actuel);
- l'offertoire, qui pourrait comporter une forme développée avec reprise de certaines prières de l'ancien missel (Suscipe sante Pater... Deus qui humanae substantiae... Suscipe sancta Trinitas...), et une forme simple avec les prières du missel actuel;
- le Canon (Prière eucharistique), qui pourrait être chanté en tout ou en partie (rite actuel) ou dit à voix basse (rite ancien).
- le "dernier Evangile" (Prologue de S. Jean) dont la lecture pourrait être faite - si le célébrant le souhaite - après l'Ite missa est maintenu sous sa forme actuelle, plus logique.

En outre, pour la liturgie des funérailles, il serait bon de rétablir une absoute digne de ce nom à la place des insipides rites de "dernier adieu" qui, sous leur forme actuelle, font toujours penser qu'on a hâte de se débarrasser du défunt pour pouvoir enfin passer à autre chose.

d) Redéfinir la place et la forme des autels.


La généralisation des autels "face-au-peuple" dans les églises de France à conduit aux situations suivantes:
- généralement, deux autels coexistent: l'ancien (pour célébrée "dos tourné au peuple) et un nouveau (pour célébrer "face au peuple");
- parfois, il n'existe plus qu'un seul autel "face au peuple", l'ancien, sans grande valeur artistique, ayant été supprimé;
- souvent, l'ancien autel est abandonné (sans nappes, sans cierges...) tandis que le nouvel autel est disposé le plus près possible de la nef, sur une construction plus ou moins bancale qui ne permet pas de déployer tous les rites liturgiques (dans de nombreuses églises, l'encensement est devenu impossible, faute de place);
- de nombreux autels érigés pour permettre la célébration "face au peuple" ressemblent à des caisses, à des tables de salon, à des tréteaux... mais pas à des autels;
- l'environnement immédiat des nouveaux autels "face au peuple" est très souvent encombré de pupitres, de fils électriques, de lutrins, de micros, de panneaux d'affichage, de chaises dépareillées... etc.

Ne serait-il pas souhaitable que des solutions définitives soient enfin adoptées pour redonner unité et dignité aux sanctuaires? Quelles sont-elles?
- Là où existe un ancien autel "dos au peuple" de valeur, il conviendrait de l'utiliser: rien n'empêche de faire toute la première partie de la liturgie "face au peuple" au siège du célébrant et à l'ambon, placés en avant du sanctuaire, généralement près de l'emplacement de l'ancien banc de communion, puis, à partir de l'offertoire, d'aller à l'autel. On peut ensuite revenir au siège pour les rites finaux (oraison, bénédiction), après la communion;
- là où l'ancien autel "dos au peuple" n'a aucune valeur, il conviendrait de s'en séparer pour construire un nouvel autel ou de l'avancer. Cet autel unique devrait être érigé de sorte qu'on puisse en faire le tour et célébrer facilement aussi bien "face au peuple" que "dos au peuple". En fait, cette solution-là est exactement celle qui est demandée par le missel romain actuel, édition de 2002... Pourquoi ne pas y souscrire? Elle a déjà été adoptée avec bonheur par de nombreuses communautés monastiques, dont celle du Barroux que l'on sait attachée à la liturgie ancienne.

Mais, à côté de ces propositions, d'autres questions demeurent: devra-t-on rétablir le sous-diaconat? Devra-t-on "adapter" aussi le Cérémonial des Evêques? Comment envisager un calendrier unique ainsi qu'un même lectionnaire? Comment faire correspondre le temporal de l'ancien missel avec celui du nouveau missel?

Enfin, (question ô combien importante!) quels fidèles - quels célébrants - se montreront respectueux de ces nouvelles normes et de ces possibilités légitimes de choix?

VI. Réfléchir beaucoup... et prier encore plus!

Pour orienter la réflexion et en guise de conclusion, redonnons ici quelques propos du Cardinal Ratzinger sur la liturgie:

- "Il est nécessaire de restaurer non pas certaines cérémonies, mais l'idée fondamentale de la liturgie. Car dans la liturgie, ce n'est pas nous-mêmes qui nous représentons, mais le Christ et son Eglise (...). De manière plus générale je pense que la traduction de la liturgie dans les langues parlées a été une bonne chose pour faire que les célébrations soient comprises et pour que les fidèles puissent y participer; mais je pense aussi que l'on peut participer autrement: par l'esprit. Certains temps forts en latin me sembleraient utiles pour restituer cette dimension universelle de la liturgie (...). Si le langage populaire est une solution, le maintien du latin pourrait l'accompagner pour retrouver cette dimension."

- "L'effrayant appauvrissement qui se manifeste là où l'on chasse la beauté et où l'on assujettit [la liturgie] seulement à l'utile, est devenu de plus en plus évident. L'expérience a montré que le fait de s'en tenir à la seule notion d' "accessible à tous" n'a pas rendu les liturgies véritablement plus compréhensibles ou plus ouvertes, mais seulement plus indigentes. Liturgie "simple" ne signifie pas misérable ou à bon marché; il y a une simplicité qui vient du banal, et une autre qui découle de la richesse spirituelle, culturelle et historique."

- "Si la liturgie devient enseignement, son critère est de se faire comprendre, ce qui aboutit bien souvent à la banalisation du mystère, à la prévalence de nos paroles, à la répétition de phraséologies qui semblent plus accessibles et plus agréables aux gens. Mais il s'agit d'une erreur non seulement théologique, mais aussi psychologique et pastorale."

- "Le Concile a été tout simplement dépassé, lui qui, par exemple, avait dit que la langue du rite romain restait le latin, mais qu'il fallait accorder aux langues nationales la place qui convenait."

- "(...) dans l'histoire de l'après-Concile, la Constitution sur la Liturgie ne fut plus comprise à partir du primat fondamental de l'adoration, mais plutôt comme un livre de recettes sur ce qu'on peut faire avec la Liturgie. Entre temps, il semble que soit sortie de l'esprit des créateurs de la liturgie (...) l'idée selon laquelle la liturgie est faite pour Dieu et non pour nous-mêmes."

- "La réforme liturgique, dans sa réalisation concrète, s'est éloignée toujours plus de ce que voulait Vatican II. On a une liturgie dégénérée en show où l'on essaie de rendre la religion intéressante à l'aide de bêtises à la mode et de maximes moralisatrices aguichantes, avec des succès momentanés dans le groupe des fabricants de liturgies, et une attitude de recul d'autant plus prononcée chez ceux qui cherchent dans la liturgie non pas le showmaster spirituel, mais la rencontre avec le Dieu vivant devant qui tout le "faire" devient insignifiant."

- "Bien qu'il y ait de nombreux motifs qui peuvent avoir poussé un grand nombre de fidèles à trouver refuge dans la liturgie traditionnelle, le plus important d'entre eux est qu'ils y trouvent préservée la dignité du sacré. Après le Concile, de nombreux prêtres ont délibérément érigé la désacralisation au niveau d'un programme d'action. (...) Animés par de telles idées, ils ont rejeté les vêtements sacrés; autant qu'ils ont pu, ils ont dépouillé les églises de leurs splendeurs qui rappelaient le sacré, et ils ont réduit la liturgie au langage et aux gestes de la vie de tous les jours par le moyen de salutations, de signes d'amitié et autres éléments."

- "La liturgie n'est pas un show, un spectacle qui ait besoin de metteurs en scène géniaux, ni d'acteur de talent. La liturgie ne vit pas de surprises sympathiques, de trouvailles captivantes mais de répétitions solennelles. Elle ne doit pas exprimer l'actualité et ce qu'elle a d'éphémère, mais le mystère du sacré."

- "On aurait besoin pour le moins d'une nouvelle conscience liturgique, pour faire disparaître cet esprit de bricolage. On en est arrivé à ce que des cercles liturgiques se bricolent eux-mêmes une liturgie du dimanche. Ce qui en résulte, c'est certainement la production de quelques intellectuels doués qui se sont imaginé quelque chose. Je ne rencontre plus par là le Tout-Autre, le Saint, qui se donne à moi, mais les capacités de quelques uns. Je m'aperçois que ce n'est pas cela que je cherche. C'est trop peu, c'est autre chose. Ce qu'il y a de plus important aujourd'hui, c'est le respect de la liturgie et du fait qu'on ne peut pas la manipuler. C'est de réapprendre à la considérer comme un organisme vivant et offert, par lequel nous participons à la liturgie céleste. C'est de ne pas y chercher notre propre accomplissement, mais le don qui nous advient. Je crois que ce qui est prioritaire c'est que cette manière de faire personnelle et arbitraire disparaisse et que s'éveille le sens intérieur pour le sacré. Dans une deuxième étape, on pourrait voir dans quel domaine on a supprimé trop de choses, et que la cohérence avec toute l'histoire puisse redevenir plus évidente et plus vivante."

- "(...) Si le Saint Siège autorisera le rite ancien de nouveau mondialement et sans limitation" (...) n'est pas si facile à dire: trop de catholiques partagent encore une attitude négative - endoctrinée depuis des années - envers la liturgie "traditionnelle", qu'ils appellent orgueilleusement "pré-conciliaire", et beaucoup d'évêques s'opposeraient massivement à une autorisation générale du rite ancien. La situation est différente si l'on n'envisage qu'une autorisation limitée; car la demande de la liturgie ancienne est limitée. (...) je crois que dans l'avenir l'Eglise romaine ne devra avoir qu'un seul rite, l'existence de deux rites étant difficilement "gérable" pour les évêques et les prêtres. Le rite romain de l'avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais basé entièrement dans la tradition du rite ancien. Il pourrait intégrer quelques nouveaux éléments qui ont fait leurs preuves, quelques préfaces, des lectures plus larges - plus de choix qu'avant, mais pas trop - une "Oratio fidelium", cela veut dire une litanie de prières d'intercessions après l'Oremus, avant l'offertoire, ou est sa place primitive. (...)"

- "(...) Il n'y a en effet pas de liturgie tridentine et, jusqu'en 1965, personne n'aurait su dire ce que recouvrait cette appellation. Le concile de Trente n'a "fabriqué" aucune liturgie . Et, au sens strict, il n'y a pas non plus de missel de saint Pie V. Le missel qui parut en 1570 sur l'odre de saint Pie V ne se différenciait que par d'infimes détails de la première édition imprimée du Missale Romanum publié juste cent ans plus tôt. La réforme de saint Pie V n'a consisté en fait qu'à écarter les proliférations du Moyen-Âge finissant qui s'étaient répandues un peu partout, ainsi que les fautes dues aux copistes et aux réimpressions et ce, en rendant obligatoire pour toute l'Eglise le missel de la ville de Rome qui avait été en grande partie épargnée par ce phénomène. (...) Dès 1614 parut, sous Urbain VIII, une nouvelle édition du missel contenant à son tout diverses corrections et c'est ainsi qu'avant comme après saint Pie V, chaque siècle a laissé ses traces dans le missel, qui n'a jamais cessé d'être purifié, ni de croître, tout en restant pourtant toujours le même. Etant donné ces faits, on peut traiter d'irréalistes ceux qui persistent à vouloir s'en tenir au "missel tridentin", mais on peut aussi critiquer la forme sous laquelle on a présenté le missel renouvelé. Aux "tridentinistes", il faut répondre que la liturgie est, comme l'Eglise, toujours vivante, et donc aussi engagée dans un processus de maturation au cours duquel il peut y avoir des tournants plus ou moins brusques. Pour la liturgie catholique, quatre cents ans d'âge seraient beaucoup trop peu: elle remonte réellement au Christ et aux Apôtres et, de là, nous est parvenue à travers un processus unique et continu; on ne peut pas plus momifeir le missel que l'Eglise elle-même. Mais en même temps, il faut constater que le nouveau missel, quels que soient tous ses avantages, a été publié comme un ouvrage réélaboré par des professeurs et non comme une étape au cours d'une croissance continue. Rien de semblable ne s'est jamais produit sous cette forme; cela est contraire au caractère propre de l'évolution liturgique et c'est de là qu'est sortie l'idée absurde que le concile de Trente et saint Pie V auraient de leur côté composé un missel il y a quatre cents ans. La liturgie catholique a ainsi été rabaissée à n'être qu'un produit du début des temps modernes, et on a suscité ainsi un déplacement de perspective inquiétant.

(...) Pour éviter tout malentendu, je dirai que je suis très reconnaissant au nouveau missel pour son contenu (mis à part quelques critiques!) (...). Mais c'est un malheur, à mon avis, d'avoir donné l'impression qu'il s'agissait là d'un livre nouveau, au lieu de replacer l'ensemble dans l'unité de l'histoire liturgique. Je crois donc qu'une nouvelle édition devra montrer et dire clairement que le missel de Paul VI n'est rien d'autre qu'une version nouvelle du missel auquel avaient déjà travaillé saint Pie X, Urbain VIII, saint Pie V et leurs prédécesseurs en remontant jusqu'à l'Eglise primitive. La conscience de l'unité interne ininterrompue de l'histoire de la foi, unité qui s'exprime dans l'unité toujours présente de la prière issue de cette histoire, est essentielle pour l'Eglise. Cette conscience se volatilise tout autant si l'on accorde ses suffrages à un livre liturgique qui aurait été composé il y a quatre cents ans, que si l'on souhaite une liturgie sortie aussi fraîche que possible d'une confection maison. (...)"

Veni Sancte Spiritus, et emitte caelitus Lucis tuae radium.
Veni Pater pauperum, veni dator munerum, veni lumen cordium.
(...) Lava quod est sordidum, riga quod est aridum, sana quod est saucium; flecte quod est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium... Amen. Alleluia.