8 septembre 2003

[Aletheia n°45] Pie XII, pape révisionniste?

Aletheia n°45 - 8 septembre 2003
PIE XII, REVISIONNISTE ?
Citer le seul nom de Robert Faurisson, si on ne l’accompagne pas d’épithètes accablantes, paraît devoir disqualifier pour toujours celui qui s’y risque. Robert Faurisson semble s’être discrédité à jamais aux yeux, non seulement des médias mais aussi de la communauté des historiens, par sa négation, argumentée à travers des milliers de pages, de l’existence de chambres à gaz homicides dans les camps de concentration allemands durant la Seconde Guerre mondiale.
Je n’entrerai pas ici dans cette controverse historique. En revanche, puisque Robert Faurisson publie un ouvrage intitulé Le révisionnisme de Pie XII[1] (121 pages, 15 ¤), je le présente ici, en toute liberté, assuré de n’être imité en France que par un nombre réduit de confrères, dont le nombre se comptera sans doute sur les doigts d’une seule main.
Robert Faurisson part d’un constat. Alors que la Seconde guerre mondiale venait de se terminer en Europe, Pie XII, dans une célèbre allocution devant le Sacré-Collège, le 2 juin 1945, s’est montré impitoyable envers Hitler et le régime nazi. Il a flétri “ les méthodes les plus raffinées pour torturer ou supprimer des personnes souvent innocentes ” mais, remarque Robert Faurisson, “ il n’a pas un mot pour un processus d’extermination physique des Juifs ou pour l’emploi de chambres à gaz d’exécution ”. Faurisson ajoute : “ Sur le sujet, il se taira jusqu’à sa mort, en 1958. ”
Selon Robert Faurisson, si Pie XII n’a jamais dénoncé pendant la guerre, après la guerre et jusqu’à sa mort, les chambres à gaz, c’est qu’il ne croyait pas à leur existence historique. Certes, pendant la guerre, il a déploré vivement le sort fait aux Juifs, et à d’autres victimes, mais jamais sans les nommer directement ni sans entrer dans le détail des moyens de persécution employés contre eux. La veille de Noël 1942, dans un radio-message, il évoque les “ centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, quelquefois seulement pour raison de nationalité ou de race, sont vouées à la mort ou à dépérissement progressif. [2]” Le 2 juin 1943, dans une allocution au Sacré-Collège cette fois, le Pape déplorera les “ contraintes exterminatrices ” auxquelles sont voués “ parfois ” ceux qui sont “ tourmentés en raison de leur nationalité ou de leur race ”.
Robert Faurisson entend montrer – et il cite, à ce propos, un rapport diplomatique américain intéressant –  que si Pie XII, pendant la guerre, n’a pas dénoncé les chambres à gaz homicides, ce n’est pas “ parce qu’il ne savait pas ”, mais parce qu’il n’y “ croyait ” pas. Et après-guerre, le Pape n’aurait toujours pas été davantage persuadé de l’emploi de ce moyen d’extermination par les Allemands et de l’existence d’une politique génocidaire de Hitler.
Les textes et documents que cite Robert Faurisson éclairent bien le sujet. Quiconque étudie l’attitude de l’Eglise pendant la Seconde Guerre mondiale lira avec profit cette étude. Mais Robert Faurisson ne peut produire aucun document (discours ou autre), même les trois textes cités, où Pie XII aurait nié ce qu’il n’a pas affirmé. La nuance est de taille. Qui plus est, un pape n’avait sans doute pas à entrer dans ce genre de controverse historique. Pie XII s’était-il seulement fait une conviction sur le sujet, dans un sens ou dans l’autre ? Peut-être pas.
En tout cas, et Robert Faurisson ne le nie pas, il l’affirme même, Pie XII fut “ profondément hostile à l’antisémitisme ” (p. 32) et “ efficace dans son aide aux Juifs ” (p. 38).
Robert Faurisson établit aussi un lien entre le “ révisionnisme ” de Pie XII et la campagne contre son prétendu “ silence ” qui ne cesse d’être relancée. Robert Faurisson estime : “ Pie XII a, jusqu’au bout, résisté à la pression des organisations juives. Il a refusé de cautionner aussi bien la religion naissante de l’“Holocauste“ (une imposture) que la création de l’Etat d’Israël (une autre imposture, directement liée à la première). Il allait payer cher son audace, mais à titre posthume. ”
Dans l’annexe 3 de son livre (l’annexe 2 étant mal venue dans ce volume, me semble-t-il), Robert Faurisson souhaiterait ouvrir un autre dossier : sainte Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith Stein dans le siècle) est-elle morte gazée à Auschwitz en 1942 ? N’aurait-elle pas été victime de l’épidémie de typhus qui ravageait alors le camp ? Robert Faurisson, après avoir relevé différentes imprécisions et contradictions, estime : “ Des diverses publications que j’ai consultées, il ressort qu’en réalité on ne sait ni où, ni quand, ni comment sont disparues E. Stein et sa sœur ” (p. 103, souligné dans le texte).
Robert Faurisson cite six ouvrages ou articles consacrés à Edith Stein. Je lui conseillerais de s’adresser au Postulateur général de l’Ordre des carmes déchaux, le P. Simeone della Sacra Famiglia, et de consulter les nombreux volumes de la cause de canonisation, notamment la “ Positio super Virtutibus et super Martyrio ” présentée devant la Congrégation pour la Cause des saints le 2 avril 1986. Peut-être y trouvera-t-il réponse à ses questions ?
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Nouveautés romaines
. Domenico Del Rio, Karol il Grande. Storia di Giovanni Paolo II, Paoline, 312 pages, 18 euros.
Les biographies de Jean-Paul II sont déjà innombrables et la bibliographie sur Jean-Paul II constituerait à elle seule un volume. Ce nouvel ouvrage se signale par diverses particularités. L’auteur, décédé quelques mois avant la parution de son livre, avait été jadis religieux franciscain avant d’obtenir, en 1975, sa réduction à l’état laïc et de se marier. Il était devenu alors devenu journaliste au quotidien la Repubblica et un “ vaticaniste ” estimé. Il a publié rien moins que six livres consacrés à Jean-Paul II. Du premier (Wojtyla il nuovo Mosè, écrit en collaboration avec Luigi Accattoli et publié chez Mondadori en 1988) à celui-ci (Karol il Grande), on voit que l’auteur n’hésitait pas à user de l’hyperbole. Il se justifie, cette fois, en se référant au Time de New York, qui, en 1994, avait désigné Jean-Paul II comme “ l’homme de l’année ” et avait écrit : “ Ses idées sont très différentes de celles de la majeure partie des mortels. Elles sont plus grandes. ”
L’Histoire a accordé l’épithète de “ Grand ” à peu de papes. L’Annuario pontificio, dans la liste des souverains pontifes qui ouvre, chaque année, le volume, ne retient pas ce genre d’épithètes. En revanche, il signale les papes qui ont été béatifiés ou canonisés. C’est un autre critère. Sur les neuf papes qui ont exercé leur Magistère au XXe siècle, cinq ont été canonisés, béatifiés ou voient leur cause introduite. C’est beaucoup.
Pour en revenir au livre de Domenico Del Rio, on appréciera la chronologie biographique détaillée de Jean-Paul II qui termine le volume et les listes, déjà incomplètes, des encycliques et des voyages apostoliques.
On se doute bien que réaliser en trois cents pages la biographie d’un pape qui va atteindre les vingt-cinq ans de son pontificat, conduit à faire des choix. Dans cette biographie, sans notes, sans références ni bibliographie, on trouvera donc un récit des grands événements, un récit brillant, agréable, avec des vues originales, plus qu’une analyse et une mise en perspective historique.
. Evi Crotti et Andrea Tornielli, Dalla penna dei Papi, Gribaudi, 103 pages, 7,50 euros.
Jadis, Carlo Falconi s’était risqué à dresser le portrait psychanalytique de certains papes (I Papi sul divano. L’autoanilisi dei pontefici testimoni di se stessi, SugarCo Edizioni, Milan, 1975, 399 pages). Le pontificat de saint Pie X fut ainsi caractérisé, selon l’auteur, par “ le sadisme de l’autorité ”…
Aujourd’hui, c’est à la lumière de la graphologie qu’Evi Crotti, psychologue, pédagogue et graphologue, et Andrea Tornielli, vaticaniste du quotidien Il Giornale, passent en revue les papes du XXe siècle. Les analyses faites de manière systématique pour chacun d’eux (de Léon XIII à Jean-Paul II) sont résumées ensuite dans un tableau à sept entrées : “ humanité ”, “ objectivité ”, “ détermination ”, “ cohérence avec son propre credo ”, “ souplesse mentale ”, “ conscience de soi ”, “ humilité scientifique ”. Chacune de ces caractéristiques, décelables paraît-il à travers l’écriture, est évaluée sur une échelle de 0 à 4.
Une telle analyse faite sur l’écriture de personnages publics, des décennies après leur mort et après que leur œuvre ait déjà fait l’objet d’amples jugements historiques, est forcément conditionnée par ces jugements. Définir, soi-disant d’après son écriture, le tempérament de saint Pie X comme “ introverti, rigide et intransigeant, avec une bonne capacité assimilative et exécutive ”, est-ce de la graphologie ou la répétition d’une vulgate simpliste qui résume le pontificat du pape Sarto à la lutte antimoderniste ?
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Revue des revues
. Le Baptistère (25-27 rue Lecourbe, 75015 Paris, 3 euros le numéro) se présente comme un “ Bulletin d’information et de formation ”. À l’évidence, cette publication, dirigée par des laïcs, est proche de la Fraternité Saint-Pierre. On y trouve des informations, des documents et des témoignages sur la vie de l’Eglise. Par exemple, dans le n° 2, juin-juillet 2003, l’abbé Michel de Fommervault, de la Fraternité Saint-Pierre, poursuit la publication de son “ Parcours ”. On trouve aussi, sur deux pleines pages, un reportage photographique en couleurs sur la messe historique du 24 mai dernier dans la Basilique Sainte Marie Majeure.
. D.I.C.I. (Etoile du Matin, 57230 Eguelshardt, 2 ¤ le numéro) publie, dans son n° 79, la récente Note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles. Le document est publié dans son intégralité mais le bulletin de la FSSPX le fait précéder d’un avertissement :
“ Nous livrons ce document qui présente de nombreux éléments positifs. Les unions contre nature sont clairement condamnées et repoussées jusque dans les conséquences pratiques. Cependant, un point négatif mérite d’être souligné. Le numéro 2 énumère les deux fins principales du mariage (procréation et soutien mutuel) dans l’ordre inverse de celui qui est donné par toute la tradition, laissant entendre que la seconde serait la fin primaire, à laquelle la première serait subordonnée. L’on découvre le germe de cette inversion au Concile lors de la discussion sur le schéma de l’Eglise dans le monde moderne (Gaudium et spes). Les cardinaux Brown et Ottaviani luttèrent vigoureusement contre cette nouveauté, mais il fallut l’intervention expresse de Paul VI pour la repousser (Cf. Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, Editions du Cèdre, 4e éd., 1982, p. 267). Cependant le nouveau Code va consacrer l’inversion des fins du mariage à la suite du concile Vatican II. Là où le code traditionnel précise que “la fin primaire du mariage est la procréation et l’éducation des enfants ; la fin secondaire est l’aide mutuelle et le remède à la concupiscence“ (canon 1013), le nouveau code définit le mariage comme “une communauté de toute la vie ordonnée, par son caractère naturel, au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants“ (canon 1055). Nous retrouvons cette inversion dans le Catéchisme de l’Eglise catholique (cf. §§ 1601, 2201 et 2368) entraînant un flou de mauvais aloi sur l’attitude que le catholique doit observer vis-à-vis de la régulation des naissances. ”
. Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 2,50 euros le numéro), publie, dans son n° 76, un entretien avec l’abbé de Cacqueray, supérieur du district de France de la FSSPX. L’abbé de Cacqueray reconnaît, au cours de l’entretien : “ sur la question épineuse entre toutes de la messe traditionnelle, nous arrivons à certains résultats ”. Il souhaite, à propos du concile Vatican II, “ accomplir le même genre de travail ” et il évoque le second symposium sur Vatican II qui se tiendra à Paris les 5 et 6 octobre prochains. Il précise : “ ce symposium est conçu comme un canon à quatre coups. Nous nous réunirons tous les ans jusqu’en 2005, pour fêter à notre manière les quarante ans de la clôture du Concile. ”
Sur le concile, on peut aussi signaler l’ouvrage de l’abbé de Tanoüarn, Vatican II et l’Evangile (Editions Servir, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris, 332 pages, 15 euros). Un ouvrage qui contient des analyses impressionnantes, mais avec lequel on ne sera pas toujours d’accord. Nous y reviendrons.
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[1] En français mais auprès d’un éditeur italien :
Graphos
Campetto, 4
I – 16123 Genova
[2] Le passage est souligné par R. Faurisson qui cite le texte original italien, “ progressivo deperimento ”, souvent traduit par “ extermination progressive ”.